Les drones armés doivent être utilisés dans le respect des lois

10-05-2013 Interview

L'utilisation de drones dans les conflits armés s'est considérablement développée ces dernières années, ce qui soulève des préoccupations de plusieurs ordres, notamment humanitaire et juridique. Peter Maurer, président du CICR, explique les enjeux et la nécessité de respecter le droit.

Ces armes sont-elles licites ? Sont-elles compatibles avec l'obligation de veiller constamment à épargner les personnes civiles ? En cas de violation du droit, qui doit être tenu responsable ? Le président du CICR, Peter Maurer, analyse les défis qui découlent de cette situation, et la nécessité, pour les États, d'évaluer les conséquences humanitaires des nouvelles technologies et des nouveaux types d'armes avant de les développer ou de les déployer.

Les drones armés sont-ils autorisés par la loi ?

Le droit international humanitaire – les règles de la guerre, c'est-à-dire les lois qui régissent les conflits armés – ne prohibe pas expressément les drones et ne les considère pas non plus comme des armes frappant sans discrimination ou perfides. À cet égard, les drones ne diffèrent pas des armes lancées à partir d'aéronefs avec pilote, tels que les hélicoptères ou les avions de combat. Il convient toutefois de souligner que, si les drones ne sont pas illicites en eux-mêmes, leur utilisation relève du droit international.

Précisons que tous les drones ne sont pas armés ou destinés au combat. Les drones de surveillance – non armés – peuvent être utilisés à des fins civiles. Ils peuvent, par exemple, contribuer à détecter des incendies, et, partant, à sauver des vies. Ils peuvent aussi être utilisés pour collecter des informations d'importance vitale pour le personnel engagé dans des opérations de secours déployées à la suite d'une catastrophe naturelle. À l'avenir, il n'est pas exclu qu'on ait aussi recours aux drones pour apporter l'aide d'urgence dans les zones reculées. Même les drones militaires sont pour la plupart non armés et dévolus à des fonctions de surveillance, en particulier pour le repérage et l’identification des cibles.

Néanmoins, si un débat a lieu actuellement, c'est en grande partie parce que des drones armés ont été utilisés dans des opérations de combat, en Afghanistan, à Gaza ou au Yémen, par exemple. Les partisans de leur utilisation font valoir que les attaques par drone offrent plus de précision, ce qui réduit le nombre de victimes et cause moins de dommages matériels. Mais par ailleurs, on affirme aussi que des civils sont trop souvent tués ou blessés de façon accidentelle dans ce type d'attaques.

Que dit le droit ?

Il n'est pas spécifiquement fait mention des drones dans les traités sur les armes ou les autres instruments juridiques du droit international humanitaire. Cela étant, dans une situation de conflit armé, l'utilisation de tout système d'armes, y compris les drones armés, est clairement régie par les règles du droit international humanitaire. Cela implique notamment que si elles utilisent des drones, les parties à un conflit doivent toujours faire la distinction entre combattants et civils, et entre objectifs militaires et biens de caractère civil. Les parties doivent prendre toutes les précautions pratiquement possibles afin d'épargner la population et les infrastructures civiles, et elles doivent suspendre ou annuler une attaque lorsque l'on peut attendre qu'elle cause incidemment des blessures aux personnes civiles et des dommages aux biens de caractère civil qui seraient excessifs par rapport à l'avantage militaire concret attendu. De même, les drones ne peuvent en aucun cas être utilisés pour transporter des armes prohibées, telles que des agents chimiques ou biologiques. Par ailleurs, du point de vue du droit international humanitaire, il convient de privilégier les armes permettant de mener des attaques plus précises et d'éviter ou de réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil. C'est le contexte qui déterminera si le recours aux drones armés présente ces avantages. Cette question fait actuellement débat, car la plupart du temps, aucune donnée n'est disponible sur les effets des attaques par drone.

Lorsque des drones sont utilisés dans une situation autre qu'un conflit armé, ce n'est pas le droit international humanitaire qui s’applique, mais la législation nationale en vigueur et le droit international relatif aux droits de l’homme, notamment ses normes sur l'application de la loi.

Doit-on en déduire que l'utilisation de drones est licite dans toutes les situations ?

Cela dépendra de la branche du droit qui s'applique en l'espèce et donc des règles à suivre. Il est fondamental de considérer chaque situation à part entière. La question de savoir si une situation relève d'un conflit armé, et donc exige que soient appliquées les règles de la guerre, peut être l'objet de désaccords, même entre le CICR et des États. Les distinctions entre les différents types de situations de violence sont de plus en plus floues. Le champ d'application géographique du droit international humanitaire est devenu un sujet de débat. Il est important que nous continuions d'en discuter, mais nous considérons qu'il n'y a pas d'approche universelle. Le CICR adopte une approche au cas par cas pour déterminer quelle branche du droit s'applique dans telle situation de violence et, partant, quelles règles doivent être suivies. Ce sont ces règles qui fixent le caractère légal de l'utilisation de drones dans un contexte donné. En général, le CICR commence par communiquer les résultats de ses analyses aux États et à d'autres parties au conflit.

Les drones ne font pas que tuer. Qu'en est-il du traumatisme psychologique qu'ils sembleraient causer en survolant un endroit durant des heures, voire des jours entiers ?

Les conséquences psychologiques potentielles de l'utilisation de drones est une préoccupation que le CICR partage avec d'autres organisations humanitaires. Quel est le niveau de stress provoqué par les drones ? Quelles sont les répercussions de leur présence constante dans le ciel sur la santé mentale des populations qu'ils survolent ? Malheureusement, il n'est pas toujours possible d'avoir accès à des informations de première main, surtout quand les drones sont utilisés dans des zones où, pour des raisons de sécurité, il est difficile de conduire des évaluations indépendantes et poussées de leur impact. Malgré cela, nous nous employons à évaluer les effets de leur utilisation et à vérifier si celle-ci viole les règles du droit international humanitaire – comme nous le ferions avec n'importe quelle autre arme. Dans les situations où nous sommes en mesure de collecter des informations, nous nous efforçons d'aborder cette question avec d'autres préoccupations humanitaires dans un cadre bilatéral avec les autorités compétentes, en vue de réduire l'ampleur des souffrances humaines.

Qui peut être pris pour cible au regard du droit international humanitaire ?

En droit international humanitaire, la force létale peut être employée dans les conflits armés contre des combattants et des civils participant directement aux hostilités.

Ce qui est plus complexe, c'est le cas d'une personne qui participe directement à des hostilités depuis le territoire d’un État non belligérant ou se déplace sur le territoire d'un État non belligérant après avoir pris part à un conflit armé. La question est de savoir si la force létale peut être utilisée de manière légale contre cette personne et dans quel cadre juridique. Les opinions divergent. Le CICR est d'avis que le droit international humanitaire ne serait pas applicable dans une telle situation, ce qui signifie que cette personne ne devrait pas être considérée comme une cible légitime au regard du droit de la guerre. Émettre l'opinion inverse signifierait que le monde entier est un champ de bataille potentiel et que toute personne, où qu'elle se trouve, est une cible légitime au regard du droit international humanitaire. Évidemment, la personne en question peut avoir à répondre de ses actes, et nous estimons que le droit relatif aux droits de l’homme s'appliquerait à tout recours à la force qui se révélerait nécessaire.

Les opérateurs de drones ne se trouvent pas nécessairement physiquement sur le champ de bataille. Dès lors, qui est responsable ? Les opérateurs de drones peuvent-ils être pris pour cibles au regard du droit international humanitaire ?

Bien que les opérateurs de systèmes d’armes téléguidés, tels que les drones, puissent se trouver loin du champ de bataille, ce sont eux qui mettent en œuvre le système, identifient les cibles et tirent les missiles. Ils opèrent généralement sous la conduite d'un commandement responsable. Ainsi, au regard du droit international humanitaire, ce sont les opérateurs de drones et leur chaîne de commandement qui sont tenus responsables. Le fait qu'ils se trouvent à des milliers de kilomètres du champ de bataille ne les décharge pas de leurs responsabilités, qui impliquent de respecter les principes de distinction et de proportionnalité et de prendre toutes les précautions nécessaires dans le cadre d'une attaque. Le statut des opérateurs de drones n'est donc pas différent de celui des pilotes d'aéronefs – tels que les hélicoptères ou les avions de combat –, s'agissant de l'obligation qui leur incombe de respecter le droit international humanitaire. De même, ils peuvent aussi être pris pour cibles, au titre des règles du droit international humanitaire.

 

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