L'aide humanitaire de l'Union européenne après le Consensus

29-01-2008 Déclaration

Déclaration de Angelo Gnaedinger, Directeur général du CICR, Audition publique de la commission du développement, Parlement Européen, Bruxelles, 29 janvier 2008

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Chers Collègues,

L'adoption, le 18 décembre dernier, du Consensus européen sur l'aide humanitaire représente un signal fort. Ce texte consacre une approche unifiée de tous les acteurs institutionnels de l'Union européenne et propose une lecture commune des défis auxquels ils sont amenés à faire face quotidiennement. Il affirme la compréhension de l'aide humanitaire comme un impératif moral et une expression fondamentale de solidarité entre les peuples; cette " solidarité de fait " , espérance de paix qui est au cœur même du projet européen.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ne peut que se féliciter d'une telle initiative et c'est avec enthousiasme que nous avons participé à cette consultation lancée par la Commission européenne. Elle s'inscrit au cœur de l'excellente relation qu'entretient le CICR avec la DG ECHO, qui a décidé de nous accorder sa confiance depuis de nombreuses années et qui devient, pour 2007, le 2ème donateur pour nos activités sur le terrain. Mes remerciements s'adressent également aux présidences successives, en particulier la présidence portugaise de l'Union européenne, ainsi qu'à Monsieur Thierry Cornillet, rapporteur permanent du Parlement européen pour les questions humanitaires, qui a pris ce dossier à bras le corps.

En ayant à l'esprit la longue expérience du CICR, je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur le thème de cette audition. Organisation impartiale, neutre et indépendante , le CICR a la mission exclusivement humanitaire de protéger la vie et la dignité des victimes de la guerre et de la violence interne, et de leur porter assistance. Il dirige et coordonne les activités internationales de secours du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans les situations de conflit. Il s'efforce également de prévenir la souffrance par la promotion et le renforcement du droit international humanitaire (DIH) et des principes humanitaires universels.

Tel est le mandat qui lui a été confié par la communauté internationale. Telle est la mission que nous nous efforçons de réaliser quotidiennement.

A l'heure actuelle, de nombreux acteurs ayant des objectifs et des modes opératoires différents interviennent dans les situations de conflit armé et de violence interne : des acteurs gouvernementaux, des organisations internationales et de nombreuses organisations non gouvernementales. Aujourd'hui, aucune organisation à vocation humanitaire ne peut prétendre à elle seule pouvoir répondre à tous les besoins issus des situations d'urgence. Tenant compte de ce constat, la diversité des acteurs devrait donc être un atout pour mieux faire face à ces défis. Encore faut-il que tous les besoins soient couverts et qu'il n'y ait ni lacunes ni duplications dans la réponse humanitaire. Une coordination est donc nécessaire, mais à notre avis pas n'importe quelle coordination.

Certains prônent l'approche uniformisée comme réponse à la confusion et aux risques de duplication. Le consensus européen a heureusement su éviter cet écueil, en mettant en exergue, à plusieurs reprises dans le texte, les trois grandes familles, celle des Nations Unies, celle du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et celle des ONGs ainsi que les particularités qui les distinguent. Le CICR ne peut que s'en féliciter. Cette diversité d'acteurs et d'approches ne pe ut que contribuer à mieux apaiser les souffrances des victimes, pour autant, bien entendu, que ces acteurs réussissent à travailler de façon complémentaire, en fonction de leurs capacités opérationnelles respectives. Ceci en prenant en compte également leurs mandats respectifs et les droits et les obligations qui en découlent.

C'est ainsi que le CICR défend, pour ce qui concerne ses propres activités, un " modus operandi " particulier, basé avant tout sur la persuasion et renforcé par sa neutralité et son indépendance, toutes deux spécifiques, en raison de la nature de sa gouvernance qui n'est contrôlée par aucun gouvernement. La persuasion qui implique une relation de confiance entre l'Institution et les parties au conflit, est fondée sur un double postulat. D'une part, il est nécessaire que les parties au conflit s'engagent clairement à respecter leurs obligations selon le droit humanitaire et d'autre part, qu'elles disposent d'un pouvoir hiérarchique, d'une chaîne de commandement pour imposer le respect des mesures qu'elles auront prises en faveur des populations affectées et aussi pour assurer la sécurité des représentants du CICR qui viennent à leur aide. Les avantages nombreux d'une telle approche, en termes d'accès au territoire et surtout aux victimes elles-mêmes, engagent le CICR à privilégier le dialogue bilatéral confidentiel avec toutes les parties au conflit qu'il s'agisse d'autorités gouvernementales ou d'acteurs non-étatiques.

Les faits montrent que ce " modus operandi " particulier a fait ses preuves. Tout au long de l'année 2007 et encore tout récemment, le CICR a ainsi pu jouer son rôle d'institution et d'intermédiaire humanitaire spécifiquement neutres et indépendants, comme illustré dans la libération d'otages en Afghanistan, en Ethiopie, au Niger ou encore en Colombie.

Ceci dit, nous notons avec intérêt que le consensus européen se veut d'insister sur la qualité de l'action humanitaire dans son ensemble. Il est en effet fondamental de souligner que seule une complémentarité effective entre acteurs humanitaires permet de placer les populations affectées et leurs besoins au centre de nos préoccupations. Toutes les organisations ne suivent pas les mêmes principes, ni n'appliquent une approche neutre et indépendante pour leur action humanitaire. Ceci n'empêche pas qu'une coopération fondée sur le respect mutuel, la transparence, la concertation et la complémentarité peut contribuer à optimiser les bénéfices de l'action humanitaire pour les personnes qu'elle vise à protéger et assister.

Pour le CICR, l'importance est d'assurer une coordination réaliste, qui soit fondée sur les ressources humaines et logistiques réellement disponibles et qui tienne compte des priorités claires et partagées, selon les contextes où il faut agir.

La présence du CICR dans plus de quatre-vingts pays lui permet, en général, de réagir rapidement sur la base de sa propre analyse de la situation et des besoins humanitaires. A ce titre, dans bien des situations de conflits armés ou de violence interne, la Société nationale de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge du pays concerné est un partenaire privilégié du CICR.

C'est ainsi que dans sa réponse à la situation post-électorale au Kenya, le CICR coopère étroitement avec la Croix-Rouge de ce pays. Après avoir évalué les besoins des nombreuses personnes touchées par les flambées de violence, le CICR a soutenu les efforts de la Croix-Rouge kenyane, visant à leur venir en aide, en fournissant du matériel médical pour soigner les blessés, ainsi que des vivres et des secours non alimentaires d'urgence pour les personnes qui ont été contraintes de fuir leur foyer.

L'Afghanistan, la Colombie, la Somalie et les Territoires palestiniens occ upés sont d'autres bons exemples de coopération intense entre le CICR et les Sociétés nationales de Croix-Rouge ou de Croissant-Rouge respectives. Ces partenariats nous ont permis d'élargir de manière significative le cadre de notre aide aux populations affectées dans ces contextes.

Comme le souligne le consensus européen, le soutien aux organisations locales est absolument essentiel, mais il importe de tenir compte de leur potentiel spécifique ainsi que de leurs limites particulières. Ainsi, il y a des actions que seules les Sociétés nationales peuvent mener à bien et il y a des domaines d'activité dans lesquels elles peuvent aller plus loin, en raison de leur proximité avec les populations et de la manière dont elles sont perçues dans les communautés. A d'autres moments et surtout dans les situations de conflits internes, c'est le CICR, qui parvient à avoir un meilleur accès à ces zones, ceci grâce au fait qu'il est extérieur au pays et qu'il est perçu comme spécifiquement neutre. L'ensemble de ces deux approches nous permet d'atteindre beaucoup plus de personnes que nous ne pourrions le faire autrement.

Nous souhaiterions aussi nous féliciter de la teneur du consensus européen au sujet de l'utilisation des capacités militaires (à savoir en dernier ressort, selon les lignes directrices existantes des NU) ainsi que celles de protection civile dans la gestion des crises (à titre exceptionnel dans les situations de crises complexes/conflits) et réitérer la position du CICR concernant la nature de l'interaction entre l'intervention militaire et l'action humanitaire : en effet, les activités humanitaires sont exposées à certains risques liés à l'action d'autres intervenants, politiques et militaires. Le risque d'instrumentalisation et de confusion est grand lorsque les acteurs en présence veulent à tout prix intégrer l'action humanitaire dans une stratégie politique. Une telle intégration associe – aux yeux des parties au conflit comme des populations affectées – les organisations humanitaires à des objectifs politiques ou militaires qui sont souvent controversés. Cette intégration fait ainsi courir aux organisations humanitaires le risque de perdre leur neutralité et par là leur acceptabilité auprès de certains groupes et parties présents sur le terrain.

La mission première des interventions militaires devrait être d'instaurer et de préserver la sécurité et de contribuer à un règlement politique global. L'action humanitaire par contre a une mission plus limitée qui est de protéger la dignité humaine et de sauver des vies – et ceci même pendant que le conflit bat son plein. Elle doit se dérouler parallèlement à un processus politique qui s'attaque aux causes sous-jacentes du conflit et qui cherche à déboucher sur un règlement politique. Les organisations humanitaires doivent être autorisées à préserver leur indépendance de décision et d'action, tout en maintenant une consultation étroite avec les forces armées à chaque étape et à tous les échelons.

Il est donc impératif que les opérations militaires soient toujours clairement distinctes des activités humanitaires.

Finalement, le CICR en tant que promoteur et gardien du droit international humanitaire (DIH), ne peut que se féliciter que dans le consensus humanitaire une référence très forte soit faite au respect du droit international et en particulier du DIH. Nous nous réjouissons que l'UE souhaite opérationnaliser, dans ses relations extérieures, les lignes directrices sur la promotion du respect du DIH, adoptées en 2005.

Mesdames et Messieurs, merci pour votre attention.