Les palmiers endommagés pendant la guerre Iran-Irak n'ont pas repoussé – MikeKhalaf/CICR

En Irak, une crise climatique et environnementale s'ajoute aux conséquences d'un conflit dévastateur

Alors que le monde se prépare à la 26e session de la Conférence des Parties (COP 26) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui se tiendra au Royaume-Uni dans le courant de cette année, l’action climatique ne doit pas négliger les communautés touchées par les conflits. A ce titre, l’Irak mérite toute notre attention.
Article 20 juillet 2021 Irak

Quelles images vous viennent à l'esprit lorsque vous pensez à la guerre en Irak ? Une ville entièrement rasée ? Une famille en deuil ? Des soldats en patrouille dans une rue ?

Imaginez-vous des palmiers morts par centaines ? Ou des terres marécageuses et stériles ? Peut-être ne les associeriez-vous pas automatiquement à la guerre.

Pourtant, ces paysages sont l'expression des dommages dévastateurs que le conflit a infligés à l'environnement dans le sud de l'Irak.

« La guerre peut affaiblir l'environnement et chambouler les vies longtemps après que les canons se sont tus », explique Igor Malgrati, conseiller régional Eau et Habitat du CICR.

« L'environnement du sud de l'Irak a été mis à mal par des années de conflit, une gestion de l'environnement médiocre et une gouvernance faible. À ce cocktail redoutable viennent encore s'ajouter les changements climatiques. »

Un paysage meurtri

Situées à la jonction des fleuves Euphrate et Tigre, les terres marécageuses d'Irak sont une zone humide à l'écosystème unique.

Au début des années 1990, elles ont été intentionnellement asséchées à titre de représailles contre un groupe de population considéré comme rebelle.

Le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) estime qu'en 2001, 90 % de ces terres marécageuses avaient disparu, entraînant ainsi une perte de biodiversité et des déplacements à grande échelle.

Des dizaines de palmiers abattus sont visibles le long de la route de Bassora à Fao.
Des dizaines de palmiers abattus sont visibles le long de la route de Bassora à Fao. MikeKhalaf/CICR

Plus loin dans le temps encore, pendant la guerre Iran-Irak des années 1980, les palmiers dattiers, arbres emblématiques du pays, étaient abattus à des fins militaires, par exemple à Fao, au sud de Bassorah.

« Avant la guerre Iran-Irak, on comptait plus de 30 millions de palmiers dattiers dans le pays ; aujourd'hui, il en reste moins de la moitié », indique Adel Al-Attar, conseiller régional Eau et Habitat du CICR originaire de Bassorah.

« Les conflits, la négligence et la salinité des sols sont autant de raisons qui ont contribué à la perte de ces palmiers dattiers. C'est affligeant, et c'est tout l'environnement qui s'en trouve transformé. »

« Les palmiers dattiers ne sont pas seulement porteurs de fruits. Ils donnent de l'ombre à certaines cultures. On se sert de leurs feuilles pour fabriquer des meubles comme des chaises et des lits. Sans eux, il n'y a plus d'activité commerciale possible, et les habitants partent pour la ville en quête de travail. »

La perte des palmiers dattiers et l'assèchement des terres marécageuses rappellent de manière visible les dégâts que la guerre a directement infligés à l'environnement dans le sud de l'Irak.

Quant aux conséquences indirectes de la guerre, que ce soit en Irak ou ailleurs, elles ont beau être moins visibles, elles sont certainement plus préjudiciables encore.

Ainsi, les conflits réduisent souvent la capacité d'un gouvernement de gérer les ressources naturelles, l'environnement et les infrastructures.
Les restes de guerre, comme les munitions et mines anti-personnel non explosées, peuvent rendre des terres inutilisables et nuire à la faune et la flore sauvages. Les camps mis sur pied pour les personnes déracinées par des conflits exercent une pression accrue sur l'environnement alentours.

Des changements climatiques

En Irak, la température moyenne a augmenté d'au moins 0,7 °C au cours du siècle passé, et les épisodes de chaleur extrême sont devenus plus fréquents. Les précipitations sont légèrement à la baisse dans le sud-est du pays.

Selon le Groupe de la Banque mondiale, la température moyenne annuelle devrait augmenter de 2 °C d'ici 2050, ce qui fait que les précipitations moyennes annuelles devraient diminuer de 9 %.

« J'ai vécu toute ma vie à Bassorah », raconte Al-Attar. « Quand j'étais enfant, les températures estivales ne dépassaient jamais 40 °C et quelque. Aujourd'hui, il arrive qu'elles dépassent 50 °C. »

Les tempêtes de sable ou de poussière sont en outre devenues bien plus fréquentes, dû en grande partie à la dégradation des sols.

Les terres arables disparaissent dans le sud de l'Irak.
Les terres arables disparaissent dans le sud de l'Irak. MikeKhalaf/CICR

D'après les données des Nations unies, entre 1951 et 1990, des tempêtes de sable se produisaient 24 jours par an en moyenne en Irak, contre 122 jours en 2013. Les projections réalisées indiquent qu'elles vont elles aussi probablement augmenter en fréquence.

« Si les précipitations ou la végétation sont insuffisantes, les couches supérieures du sol deviennent moins compactes, ce qui accroît la probabilité de tempêtes de sable ou de poussière », explique Al-Attar.

« Ces événements météorologiques contribuent au phénomène de désertification, c'est-à-dire que des sols fertiles se transforment en déserts. »

Selon les autorités locales, des régions historiquement fertiles du sud de l'Irak sont en train de disparaître. À Fao, la superficie des terres arables est passée de 7,5 à 3,75 km2, tandis que dans la province de Thi Qar, elle est passée de 100 à seulement 12,50 km2.

La désertification du sud du pays a décimé le secteur agricole, qui employait auparavant une part considérable de la population.

Quand les habitants ne peuvent plus dépendre de la terre pour leur subsistance, ils migrent vers des zones urbaines comme Bassorah ou Nadjaf à la recherche d'emplois.

Par exemple, dans la ville portuaire de Fao, la population est passée de 400 000 à 50 000 personnes en 40 ans, à mesure que les habitants se sont installés dans des villes plus grandes.

« L'avenir, c'est l'émigration », dit Al-Attar. « Cela fait de la peine de voir les jeunes générations quitter des zones rurales pour trouver des emplois non qualifiés en milieu urbain ou dans les champs pétroliers. »

« Il n'y a pas suffisamment d'emplois pour ces jeunes dans ces secteurs. Le taux de chômage est élevé, et les tensions sont fortes, ce qui présage mal du relèvement et de la stabilité. »

Trop de sel

La salinité des sols et de l'eau est un autre problème de taille qui contribue à fragiliser l'environnement. Ce problème est depuis longtemps répandu en Irak, mais dans le sud, la situation empire pour plusieurs raisons.

Plus de 50 pour cent de l'eau utilisée en Irak provient de Turquie, de Syrie ou d'Iran. Les pratiques nationales et régionales de gestion de l'eau font que les fleuves Tigre et Euphrate transportent aujourd'hui moins d'eau jusqu'au sud du pays.

Ces deux fleuves traversent de plus l'une des zones les plus sèches de la région. L'évaporation joue alors un rôle dans l'augmentation de la salinité, même si elle n'en est pas la cause principale.

Dans le sud de l'Irak, la qualité de l'eau disponible est médiocre, avec des niveaux élevés de sel et de contamination provenant des eaux usées et de l'agriculture.
Dans le sud de l'Irak, la qualité de l'eau disponible est médiocre, avec des niveaux élevés de sel et de contamination provenant des eaux usées et de l'agriculture. MikeKhalaf/CICR

Lorsque le niveau des fleuves baisse, l'eau de la mer pénètre plus loin dans l'estuaire du Chatt-el-Arab, jusqu'à atteindre des canaux d'irrigation qui servent à l'agriculture et à l'élevage de bétail.

« La salinité de l'eau et des sols porte préjudice aux cultures, aux animaux et aux êtres humains », dit Malgrati.

« À ce problème vient s'ajouter la présence de grandes quantités d'autres polluants. Cette association crée un réel danger pour la santé publique. »

D'après Human Rights Watch, plus de 100 000 habitants du gouvernorat de Bassorah ont été hospitalisés en raison de symptômes dus à une mauvaise qualité de l'eau en 2018.

 

 

Appel à l'aide

Le CICR a œuvré pendant plus de 10 ans dans le sud de l'Irak pour, entre autres, aider les populations à accéder à de l'eau salubre.

Aujourd'hui, il intervient principalement dans le nord du pays, qui a davantage été touché par des conflits ces dernières années, mais il continue d'apporter un soutien au Croissant-Rouge irakien dans le sud de l'Irak.

L'an dernier, le Croissant-Rouge irakien a entamé un programme qui vise à installer huit unités de traitement de l'eau par osmose inverse, toutes alimentées en énergie solaire, et ainsi à aider près de 20 000 personnes à accéder à de l'eau potable. Le Croissant-Rouge irakien bénéficie à cette fin de l'appui financier et technique du CICR.

 

Le procédé de traitement de l'eau par osmose inverse est onéreux et à capacité limitée, mais il est nécessaire, car l'eau manque.

« Ces unités éliminent le sel de l'eau afin que plus personne n'ait à acheter de l'eau potable », explique Al-Attar.
 

Les unités fonctionnent à l'énergie solaire et devraient aider environ 20 000 personnes à avoir accès à de l'eau potable.

Il est crucial d'aider les communautés du monde entier à s'adapter aux changements climatiques. Or, la majorité des financements destinés à l'action climatique appuient des activités de réduction des émissions de carbone.

« S'il est indispensable de réduire les émissions de gaz à effet de serre, il est aussi impératif de compléter ces efforts en aidant les communautés à s'adapter à l'évolution du climat et de l'environnement, afin qu'elles puissent faire face aux risques actuels et à venir », souligne Catherine-Lune Grayson, conseillère stratégique Changements climatiques et Conflits du CICR.

« À l'heure actuelle, les pays touchés par des conflits ont beau être particulièrement vulnérables face à l'impact des changements climatiques, ils sont aussi largement négligés par le financement de l'action climatique, et en particulier par les fonds destinés à l'adaptation. Il faut que cela change. »

 

L'environnement du sud de l'Irak a été mis à mal par des années de conflit, une gestion de l'environnement médiocre et une gouvernance faible. À ce cocktail redoutable viennent encore s'ajouter les changements climatiques.