La guerre a des limites. Il est temps que nous nous mobilisions pour les faire respecter

08 décembre 2015
La guerre a des limites. Il est temps que nous nous mobilisions pour les faire respecter

Le Moyen-Orient est dans la tourmente. La guerre fait rage en Afrique. L'Europe de l'Est est engloutie dans les conflits. Dans les grandes villes occidentales, comme Paris, la population vit dans la peur. Des centaines de milliers de personnes sont sur les routes. Un désastre humanitaire sans précédent se déroule sous nos yeux. La peur et l'incertitude dominent le débat public.

Cette réalité prévalait au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, et pourtant, les similitudes avec l'actuelle réalité sont manifestes.

Cinq années de guerre en Syrie, et une douzaine d'autres conflits à travers le monde, ont laissé dans leur sillage bien plus qu'une vague massive de souffrance humaine, elles on laissé d'innombrables personnes désorientées et effrayées.

Les conflits sont aujourd'hui plus complexes et plus interconnectés. Les dommages qu'ils causent aux populations et à l'infrastructure civile sont profonds et durables.

Et ces conflits débordent dans les régions voisines. Nous ne pouvons plus rester à l'écart. Ces conflits nous affectent tous.

Sur le plan humanitaire, il est clair que les solutions de fortune sur le court terme ne sont plus viables. Il faut faire beaucoup plus !

La communauté internationale tente, non sans peine, de trouver des solutions.

Cette semaine, une nouvelle tentative sera menée à Genève pour trouver des réponses et tracer une voie à suivre dans le cadre de la rencontre exceptionnelle regroupant les représentants de près de deux cents gouvernements et les membres du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Cette conférence spéciale, qui se tient tous les quatre ans, examine les enjeux humanitaires les plus urgents de notre époque. Migration, violence sexuelle et attaques contre les soins de santé figureront parmi les thèmes de cette année.

Cependant, une proposition majeure visant à relever un des défis humanitaires les plus pressants du moment sera au centre des débats : comment explorer et identifier les moyens de renforcer le respect du droit de la guerre ?

Les conflits humainement atroces ne sont hélas pas chose nouvelle. Les abus à l'encontre de civils et de combattants sont commis depuis l'aube des temps. La souffrance humaine est-elle plus grande aujourd'hui qu'elle ne l'était hier ? Probablement pas. Mais certaines choses ont changé, et ces changements exigent une réponse.

Tout d'abord, notre champ de connaissances s'est considérablement élargi. Dans notre monde de la fibre optique, des tweets et des tablettes, nous avons une connaissance plus grande du monde qui nous entoure. La violence en technicolor et les abus humanitaires d'aujourd'hui apparaissent d'un léger effleurement d'écran.

Dans nos maisons, dans le train, dans les cafés, nous la voyons, nous la sentons, nous la connaissons. Tous. Tout le temps. La souffrance humaine est visible, en permanence.

Mais ce n'est pas le seul et unique changement. La grande différence entre le moment le plus fort de la Seconde Guerre mondiale et aujourd'hui, c'est l'existence d'un cadre par lequel nous pouvons effectivement mesurer et tenter de réduire l'inhumanité de l'homme envers son semblable. Nous avons un point de référence : les 'Conventions de Genève'.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a contribué à leur création en 1949, elles sont signées par la quasi-totalité des pays de la planète et marquent l'un des plus grands acquis juridiques du XXe siècle dans le domaine humanitaire.

Elles fixent des limites à la guerre, offrent protection aux civils, et constituent les paramètres de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas sur le champ de bataille et au-delà.

Il est indéniable que notre nouveau champ de connaissances fondé sur les technologies, et notre capacité à mesurer et classer les conséquences des conflits, sont deux avancées majeures. Ce sont les signes qui nous permettent de voir que la société mûrit, que nous sommes prêts à nous regarder en face dans le miroir et à porter un jugement sur nous-mêmes.

Mais ces avancées induisent aussi une responsabilité. Elles nous poussent à intervenir lorsque nous agissons avec autant d'inhumanité les uns envers les autres.

Et, il est vrai que nous n'arrivons pas à trouver de réponses satisfaisantes.

Trop peu de pays, trop peu d'armées, trop peu de groupes armés, respectent ces valeurs humaines fondamentales consacrées par les Conventions de Genève.

Nous devons faire plus, beaucoup plus, pour assurer la conformité à ces mêmes principes auxquels nous avons tous souscrits dans les moments de tristesse et de désolation qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.

Et c'est pourquoi, au premier rang des priorités de l'ordre du jour de la Conférence internationale du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge figurera une proposition visant à remédier à cette situation.

Ces quatre dernières années, le CICR et la Suisse ont mené d'intenses consultations avec les États au sujet de la création d'un 'mécanisme de contrôle du respect des dispositions' (Compliance Mechanism), c'est-à-dire, un espace non politisé dans le cadre duquel les États apprennent les uns des autres comment veiller à ce que le droit de la guerre demeure aussi pertinent et utile que possible.

Lors de la Conférence, il sera demandé aux États de soutenir un système volontaire, à savoir 'la pièce manquante' du paysage juridique actuel, un mécanisme qui permette l'échange des bonnes pratiques et de l'expertise technique, échange si nécessaire dans les conflits complexes qui sévissent de nos jours.

En bref, cette tentative vise à doter les Conventions de Genève de ce qui leur fait défaut depuis plus de 60 ans : un mécanisme spécifique qui rende compte de la manière dont le droit international humanitaire est appliqué. C'est une étape essentielle pour réaffirmer que les guerres ont des limites, et que ces limites doivent être respectées.

Si ce nouveau mécanisme est approuvé, il constituera une avancée majeure du droit international humanitaire.

Il faut comprendre que les Conventions de Genève ne sont pas juste des documents historiques nés à une autre époque, avec un objectif autre. La pertinence et l'importance des Conventions sont aujourd'hui d'une actualité brûlante. Et nous devons veiller à ce qu'elles soient utilisées dans ce sens.


Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge

Première publication de cet article dans The Guardian