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Au cœur des ténèbres en Syrie

Il voulait rentrer chez lui. Quand il est décédé, j'ai eu l'impression de l'avoir abandonné.

Conduire des actions humanitaires dans les régions reculées de Syrie permet de découvrir un autre monde, habité par des personnes courageuses et résilientes réduites au désespoir. Tout ce dont ces personnes ont besoin, c'est une existence plus juste.

Le 21 avril, j'ai entrepris ma sixième mission dans une zone assiégée de Syrie, Rastan, à une demi-heure de route au nord de Homs. Je faisais partie d'une équipe commune dépêchée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Croissant-Rouge arabe syrien pour acheminer de l'aide humanitaire à plus de 120 000 personnes pour la première fois depuis plus d'un an.

Nous avons traversé la ligne de front pendant la journée – contrairement à d'autres missions où nous ne sommes autorisés à pénétrer dans les zones assiégées qu'une fois la nuit tombée – et sommes restés sur place jusqu'au milieu de la nuit. Les missions de ce type présentent des difficultés particulières, mais elles ne sont rien comparé aux épreuves quotidiennes que doivent endurer les habitants des zones assiégées.

Hélas, les endroits comme Rastan, où les civils sont pris au piège entre les parties au conflit, sont devenus une réalité courante du conflit en Syrie. Les habitants paient un lourd tribut et doivent lutter pour survivre dans des zones dangereuses où la nourriture, l'eau, les soins de santé et la sécurité font cruellement défaut.

Rastan est une très jolie ville verte, dont les collines abritent des terres agricoles dédiées aux oliviers et aux légumes. Les pierres noires qui la caractérisent s'étendent à perte de vue jusqu'aux montagnes qui pointent à l'horizon. Avant la guerre, les habitants menaient une existence tranquille.

Plus maintenant. Les terres agricoles de Rastan sont devenues des lignes de front. Autrefois sources de revenus, les olives sont désormais un aliment de base. Pour les personnes qui ont décidé de continuer leurs activités de culture, la vie est devenue une lutte périlleuse pour survivre dans une zone assiégée.

Un médecin de la région décrivait l'état de siège comme une existence dépourvue de vie : on se réveille, on vaque à ses activités quotidiennes, mais on ne « vit » pas vraiment. Il est impossible d'évoluer. L'accès aux livres est inexistant, et il n'y a plus ni séminaires ni colloques de spécialistes. Le but est uniquement de sauver des vies, si on a de la chance, mais très souvent ce n'est pas le cas. Alors il n'y a plus qu'à attendre, pendant un, deux ou cinq ans, que le calvaire passe.

Début février, nous avons attendu des heures aux portes de Moadamiyah, une autre localité assiégée près de Damas. Des milliers de personnes s'étaient rassemblées au bord de la zone tampon à l'extérieur de la ville, en attendant que nous apportions des vivres et des médicaments.

Une fois à l'intérieur, j'ai rencontré Salam, une adolescente de 14 ans qui souffrait de problèmes de foie. Les soins et les médicaments dont elle avait besoin sont absolument introuvables dans une zone en état de siège. La voix cassée et en larmes, elle s'est confiée, m'expliquant notamment que la vie n'avait aucun sens. Elle se demandait pourquoi elle allait encore à l'école alors qu'elle n'entrevoyait aucun avenir. Le désespoir est très fréquent chez les personnes que je rencontre dans les zones assiégées.

Les gens attendent souvent des organisations internationales qu'elles lèvent le siège et soulagent leurs souffrances. Ils nous en veulent d'être lents et de ne pas acheminer suffisamment de denrées. Pourtant, nous essayons ! Cela dit, ils n'ont pas tort, car la levée du siège est la seule solution à leurs problèmes. La résolution du conflit en Syrie ne peut être que politique. En tant qu'humanitaires, nous faisons ce qui est entre nos mains, mais ce ne sera jamais assez tant qu'il y aura des zones assiégées.

La ville de Madaya se trouve à quelques dizaines de kilomètres de Damas, mais à cause des contrôles de sécurité, il faut des heures pour y arriver. Elle fait partie des dizaines de villes pour le contrôle desquelles les forces gouvernementales et les groupes d'opposition armée s'affrontent depuis des années. En janvier, je faisais partie d'un convoi qui a mis six heures pour parvenir à cette zone.

Il faisait un froid mordant lorsque nous sommes entrés dans Madaya, et la nuit commençait à tomber. L'espoir et l'incrédulité se lisaient sur le visage des personnes qui nous ont accueillis. Elles n'avaient qu'une question à la bouche : « Avez-vous de la nourriture ? » Même un biscuit ou un morceau de pain sont devenus un luxe à Madaya. Une mère m'a dit qu'elle ne savait pas comment expliquer à ses enfants qu'ils ne feraient qu'un repas par jour.

Madaya compte plus de 40 000 habitants. La ville est en ruines, et il n'y a ni eau courante ni électricité. Les habitants dépendent d'une seule structure de santé – partiellement fonctionnelle et mal équipée – dirigée par un médecin et quelques soignants.

Là, un vieillard très malade qui avait fait une attaque m'a pris la main et a murmuré qu'il voulait rentrer chez lui. Le personnel médical m'a expliqué à voix basse que l'homme ne voulait pas mourir à l'hôpital. Quelques jours plus tard, j'ai reçu un appel du médecin : l'homme était décédé à son domicile. Il avait eu besoin de fournitures médicales spécifiques, et tout ce que j'avais pu faire, c'était lui tenir la main. J'ai eu l'impression de l'avoir abandonné.

Nous avons passé une nuit entière à Madaya pour décharger notre cargaison vitale de vivres et de médicaments. Nous avons parlé à des dizaines de personnes, et chacune nous racontait sa douleur d'être ainsi prise au piège. Toutes craignaient que nous ne soyons pas autorisés à revenir. En fait, nous avons réussi à retourner à Madaya, mais cela a demandé des semaines de négociations ainsi qu'une synchronisation avec des livraisons vers d'autres zones, ce qui rend les opérations de secours particulièrement difficiles.

Si les combats en Syrie connaissent actuellement une accalmie, la vie du demi-million d'habitants dans les zones assiégées ou difficiles d'accès a peu évolué. L'aide n'est pas assez importante et elle n'atteint que trop peu de zones. Certains endroits sont des villes en ruines, telles que Zabadani. D'autres, comme Moadamiyah ou Madaya, sont des villes en grande partie désertées mais pas abandonnées, dans lesquelles nous ne pouvons entrer que la nuit. D'autres encore, telles que Deir Ezzor, sont des zones urbaines très peuplées. Rastan, Al-Houleh, Foua et Kefraya font quant à elles partie des nombreuses petites localités entourées de terres agricoles non exploitées. Ces lieux sont tous différents et pourtant similaires : ils sont comme des petites prisons perdues au milieu d'un paysage de guerre.

Courageux et résilients, les habitants de ces endroits possèdent une voix et une âme. Tout ce dont ils ont besoin, c'est une existence plus juste.

La version originale de cet article, en anglais, a été publiée sur le site The Guardian.