Déclaration

Il est essentiel de bâtir des communautés résilientes tout en veillant à protéger celles-ci de la violence

Déclaration écrite de Patrick Youssef, Directeur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour la région Afrique à l’occasion du débat public sur le climat et la sécurité en Afrique organisé par le Conseil de sécurité de l’ONU – 12 octobre 2022.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se félicite de l'important débat sur le climat et l'Afrique qui se tient aujourd'hui à l'initiative du Gabon, et qui est présidé par le Ministre Moussa-Adamo.

M. le Président,

Les représentants du CICR, notamment l'ancien Président Peter Maurer, ont fait savoir au Conseil que la convergence des risques climatiques, de la dégradation de l'environnement et des conflits armés constituait une menace pour la vie et la santé des populations et aggravait l'insécurité alimentaire, économique et hydrique.

Nous avons par ailleurs souligné que les changements climatiques décuplaient les vulnérabilités et les inégalités existantes dans les zones de conflit, et que les incidences d'un tel chevauchement pouvaient influer sur la mobilité humaine et l'accès aux ressources à l'échelle régionale.

En outre, nous avons fait remarquer que l'environnement naturel était une « victime silencieuse de la guerre » et attiré l'attention sur les incidences de la dégradation de l'environnement sur les populations touchées par les conflits, ce qui inclut une résilience moins grande aux chocs climatiques.

À l'heure actuelle, le CICR en Afrique et le Mouvement de la Croix-Rouge dans son ensemble travaillent étroitement avec les communautés pour lesquelles ces risques conjugués ne sont pas une abstraction, mais bien une réalité.
Le constat est manifeste :

  • Premièrement, la majorité des pays considérés comme étant les plus vulnérables aux changements climatiques et les moins à même de s'adapter à l'évolution climatique sont aussi les pays touchés par des conflits armés.

  • Deuxièmement, ces chocs convergents pèsent très considérablement sur la vie des populations ainsi que sur les institutions et la cohésion sociale, ce qui ne fait que prolonger les tensions existantes et entretenir les fragilités.

  • Troisièmement, les acteurs les plus aptes à financer l'action climatique et à soutenir l'adaptation aux changements climatiques font souvent défaut dans ces zones en raison des risques de sécurité, et ce bien que les besoins y soient manifestes.

Les changements climatiques ont par ailleurs eu des incidences sur l'action humanitaire dans les zones de conflit, où la nécessité d'assurer la mise en œuvre d'actions préventives à plus long terme pour renforcer la résilience et les capacités d'adaptation des populations ne s'est jamais fait ressentir aussi clairement.

Laissez-moi vous donner quelques exemples :

Dans plusieurs pays du Sahel, nous aidons les agriculteurs et les éleveurs à faire face à la variabilité croissante des précipitations et des périodes de pénurie d'eau. Fournir des pompes à eau fonctionnant à l'énergie solaire et des semences à haut rendement résistantes à la sécheresse, et former des groupes de femmes à la production agricole en serre tout au long de l'année sont quelques-unes de nos activités au Burkina Faso, en République centrafricaine et au Soudan.

Au Mali, nous nous centrons non seulement sur les structures, mais aussi sur l'information. Cela consiste à mettre des données climatiques et météorologiques fiables entre les mains des personnes qui en ont besoin – les 80 % de la population qui dépendent de l'agriculture pluviale et du pacage. Choisir le bon moment importe par ailleurs beaucoup : nous travaillons en partenariat avec le département météorologique national pour garantir que les données soient non seulement accessibles, mais aussi qu'elles puissent être comprises et appliquées aux activités de subsistance.

Au Niger, où le conflit oblige tant les communautés d'accueil que les communautés déplacées à se regrouper dans des zones où les ressources sont limitées, nous mettons au point un programme d'irrigation, d'agroforesterie et d'agropastoralisme destiné à renforcer les moyens de subsistance et à enrayer la dégradation de l'environnement. Ce programme repose sur l'idée que pour être résiliente, une communauté doit vivre dans un environnement qui soit lui-même résilient.

En Somalie, les changements climatiques, notamment les graves sécheresses, conjugués à trois décennies de conflit viennent aggraver une situation humanitaire déjà dramatique qui, par la nature récurrente des chocs, laisse peu de temps aux populations pour s'adapter. Le CICR a appuyé la création de coopératives agricoles en proposant des formations, des cultures résistantes à la sécheresse, des outils agricoles, et des fonds pour l'acquisition des combustibles nécessaires à l'irrigation. Ces coopératives ont aidé les populations à œuvrer ensemble, l'objectif étant de renforcer la résilience dans les zones où le captage des eaux souterraines est essentiel.

Estimé(e)s collègues,

L'action humanitaire de première ligne est un facteur de stabilisation crucial dans les environnements fragmentés et un élément constitutif des efforts de consolidation de la paix.

Toutefois, les humanitaires ne peuvent endosser les responsabilités qui incombent aux artisans de la paix et faire face seuls aux nombreuses difficultés à surmonter pour parvenir à une paix durable.

Comme le suggère à juste titre le document de réflexion d'aujourd'hui, notre défi commun est d'affronter ensemble, de façon complémentaire et à différentes échelles, les effets conjugués des changements climatiques et des conflits armés.

Nous nous heurtons toutefois à la question de savoir comment mener notre action collective sans sursécuriser la réponse apportée ou emprunter des raccourcis susceptibles de conduire, à terme, à une mauvaise adaptation.

Le Conseil de sécurité de l'ONU ainsi que le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine sont des organes internationaux aptes à concevoir des réponses aux conflits armés qui soient adaptées au climat.

Permettez-moi de faire trois suggestions qui pourraient contribuer à assurer la complémentarité et à garantir un impact durable :

  • Premièrement, pour faire face de façon appropriée aux risques climatiques croissants dans les situations de conflit, nous devons concevoir des réponses adaptées au contexte qui tiennent compte des besoins et des caractéristiques propres à chaque individu. En la matière, il n'existe pas de solution passe-partout.

  • Deuxièmement, nous devrions partager nos connaissances et harmoniser nos expériences – le Conseil de sécurité peut y veiller en organisant plus régulièrement et systématiquement des discussions, notamment avec des organisations régionales et sous-régionales. Les organisations humanitaires peuvent par ailleurs aider d'autres acteurs à intégrer une approche tenant compte des risques de conflit à leurs propres activités et à faire face à certains des risques qui limitent leur action.

  • Troisièmement, un plus grand respect des dispositions du droit international humanitaire qui régissent la protection de l'environnement naturel peut limiter la dégradation de celui-ci, et réduire ainsi les préjudices que subissent les communautés touchées par des conflits et les risques auxquels celles-ci font face, en raison des changements climatiques notamment.

M. le Président,

Au niveau local, dans les zones où nous menons nos activités, la volonté de trouver les moyens de faire face à l'évolution du climat ne manque pas. Toutefois, sans l'appui décisif de la communauté internationale, ce qui se passe actuellement dans de nombreuses régions d'Afrique ne fera qu'empirer, et les vulnérabilités existantes se multiplieront.

Bâtir des communautés résilientes tout en veillant à protéger celles-ci de la violence est essentiel. Cela suppose notamment d'affecter davantage de ressources aux activités d'adaptation, en particulier dans les pays touchés par les conflits armés.
Les personnes les plus exposées aux risques doivent être notre priorité absolue.

Je vous remercie.