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Cameroun : Doudou, agricultrice, 69 ans, veuve et six enfants

À 69 ans, Doudou Gaïgaï revient de loin. Les affrontements armés dans sa région, puis la disparition brutale de son mari, l'ont forcée à se battre seule pour assurer la survie de sa famille. Portrait d'une femme courageuse.

Avec son mari, l'agriculture avait toujours été leur principale source de revenus. « Mes enfants n'avaient jamais connu la famine, notre grenier était toujours plein. Nous avions toujours assez de vivres pour nourrir toute la famille jusqu'à la prochaine récolte », se souvient-elle.

En 2014, tout bascule pour Doudou et sa famille lorsque le conflit éclate à Ziler, son village situé dans la région de l'Extrême-Nord. Les dégâts sont énormes : maisons, incendiées, biens volés, bétail tué... rester sur place est impossible. Alors Doudou, son mari et ses enfants s'enfuient à la quête d'un endroit qui leur assurera une sécurité.

Un traumatisme permanent

Mais en arrivant à Ouzal, un autre petit village situé quelques kilomètres plus loin, son époux est tué dans une attaque armée. Elle est désormais veuve et seul soutien de ses enfants.

« Mon mari était tout pour moi, je l'ai connu très jeune et il était en même temps mes parents et mon conjoint. On me l'a arraché lors de cette attaque que je revivrai toute ma vie », raconte-t-elle, les yeux plein de larmes.

C'est à Tendeo, toujours dans la région de l'Extrême-Nord, frontalière avec le lac Tchad, que Doudou trouve enfin une certaine stabilité. Comme pour de nombreuses personnes déplacées, une famille locale décide de l'héberger.

« Chaque matin, avec mes enfants, nous aidons les gens à labourer. En fin de journée, ils nous paient entre 500 et 1000 francs CFA (1 à 2 euros). Parfois, on peut gagner jusqu'à 1500 francs. » Cet argent permet à la petite famille d'acheter du mil et du poisson fumé pour le repas du soir.

Après une année dans le village, Doudou a pu également obtenir de la communauté locale une parcelle de terrain à labourer. Habituée aux travaux agricoles, elle y a vu une chance de reprendre une activité à son propre compte.

Doudou peut cultiver à son compte une parcelle de terre prêtée par les habitants de son village d'accueil. Photo : Ousmanou Balkissou/CICR

 Un nouveau départ

Afin d'aider les personnes victimes du conflit à redémarrer leurs activités de production, le CICR a distribué récemment des kits d'intrants agricoles à 5000 bénéficiaires, dont Doudou. Ce kit est constitué d'engrais et de semences de gombo, de maïs, de sorgho et de niébé.

Au total depuis le début de l'année, 130 tonnes de semences vivrières et d'engrais ont été distribuées en faveur de 10 000 ménages (déplacés, retournés et familles d'accueil vulnérables) dans les départements du Mayo Tsanaga, du Mayo Sava et du Logone-et-Chari dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun.

« Nous avons choisi des graines adaptées à l'écosystème de chaque département et aux habitudes alimentaires locales», explique Nouratou Bouba, ingénieure agronome au CICR. « Et dans le but d'améliorer notre assistance, nous avons mis en place des comités d'écoute au sein des communautés. Cela nous permettra de prendre en considération les remarques des bénéficiaires. »

Pour Doudou, comme pour de nombreux autres, c'est un nouveau départ et la promesse d'un meilleur avenir. « Dès demain, nous irons semer les semences d'arachide, de mil, de maïs et de niébé que nous avons reçues. Je suis tellement contente. »

Depuis le début du conflit armé en 2014, les affrontements dans la région de l'Extrême-Nord ont provoqué le déplacement de 300 000 personnes selon les Nations unies. Avec quatre millions d'habitants, cette région est l'une plus peuplées du pays, mais aussi l'une des plus pauvres. L'insécurité et la violence ont gravement perturbé les activités traditionnelles comme l'élevage et l'agriculture, dont dépend la majorité de la population. Si les personnes forcées de fuir ont pu être accueillies dans d'autres villages, leur arrivée provoque souvent une pression supplémentaire sur les maigres ressources disponibles dans les communautés d'accueil.