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Mirjana Spoljaric : "Pas de stabilité, de paix et de relèvement sans protection des civils"

Discours sur la protection des civils prononcé par Mirjana Spoljaric, présidente du Comité international de la Croix-Rouge, devant le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Monsieur le Président Berset, Vos Excellences, Mesdames et Messieurs,

Le Comité international de la Croix-Rouge a toujours considéré la question de la protection des civils comme étant au cœur de son mandat.

Au moment même où je vous parle, d'innombrables civils à travers le monde sont victimes de conflits armés et vivent un véritable enfer.

Ils risquent à tout instant de voir leur maison, l'école de leur quartier ou l'hôpital local, ainsi que tous leurs occupants, réduits à néant par un missile.

Ils vivent dans la crainte que leurs proches soient un jour ou l'autre victimes de mauvais traitements, de viol, de détention arbitraire ou de torture.

Ils se demandent de semaine en semaine avec angoisse s'ils vont pouvoir continuer à se nourrir ou se soigner.

En sept mois d'exercice au poste de présidente du CICR, j'ai visité de nombreux pays en proie à des conflits en Afrique, en Europe et au Proche-Orient, et partout j'ai fait le même constat : la situation humanitaire se dégrade à une vitesse alarmante.

Des régions entières sont prises dans l'étau de conflits qui n'en finissent pas, sans réelle perspective de résolution à l'horizon.

D'après les chiffres dont dispose le CICR, le nombre de conflits armés non internationaux a plus que triplé au cours des 20 dernières années, passant de moins de 30 à plus de 90.

Il s'agit pour la plupart de conflits prolongés, qui engendrent des souffrances sans fin – lesquelles sont encore exacerbées par les chocs climatiques, l'insécurité alimentaire et la précarité économique.

Les civils souffrent d'un grave déficit de protection, comme en témoignent les innombrables attaques, menaces, destructions et impasses politiques dont ils sont immanquablement les premières victimes.

Quand les conflits donnent lieu à des destructions massives et à des violations généralisées du droit international humanitaire, alors le développement et la paix deviennent des objectifs inatteignables.

Une chose est sûre : il ne peut y avoir de stabilité, de paix et de relèvement que si la protection des civils est préalablement assurée.

 

Aujourd'hui, j'adresse aux États trois appels d'urgence.

Premièrement, il est impératif de protéger les civils et les infrastructures essentielles dans les zones urbaines.

La destruction d'innombrables logements et infrastructures vitales par suite d'attaques souvent indiscriminées alourdit le coût de la guerre de façon disproportionnée.

Dans tous les endroits où je me suis rendue ces derniers mois, j'ai vu combien le traumatisme de ne plus avoir de toit était encore aggravé par l'interruption ou l'absence prolongée de services essentiels tels que l'approvisionnement en eau et en électricité, l'accès aux soins de santé et l'éducation.

Partout où les combats se déroulent en ville, comme au Soudan, en Syrie, en Ukraine ou au Yémen, le CICR observe les mêmes phénomènes de destruction massive aux conséquences désastreuses.

Nous devons mettre un terme à ces violations systématiques, et nous n'y parviendrons que si la volonté politique d'agir est là et si des mesures fortes sont prises.

Les parties étatiques et non étatiques doivent faire davantage pour prévenir, réduire ou atténuer les dommages causés par les conflits armés dans les centres urbains. Dans sa résolution 2573, adoptée il y a plus de deux ans, le Conseil de sécurité demandait précisément aux parties aux conflits armés d'en faire plus, et je reprends aujourd'hui cet appel à mon compte.

Le CICR exhorte toutes les parties engagées dans un conflit urbain :

  • à faire de la protection des civils une priorité dans la manière dont elles conduisent les hostilités ;
  • à respecter pleinement les règles du droit international humanitaire, en particulier les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution ;
  • à éviter d'utiliser des armes explosives lourdes dans des zones densément peuplées – et à mettre rigoureusement en œuvre la Déclaration politique sur l'emploi d'armes explosives dans des zones habitées ; et
  • à veiller à ce que la protection des services essentiels englobe les infrastructures, le personnel et les fournitures indispensables au bon fonctionnement des hôpitaux ainsi que des réseaux d'eau et d'électricité.

 

Deuxièmement, les États doivent redoubler d'efforts pour prévenir ou réduire l'insécurité alimentaire dans les zones touchées par un conflit armé.

Lors de la visite que j'ai effectuée dans la Corne de l'Afrique en début d'année, j'ai pu voir de mes propres yeux les effets combinés dévastateurs que les conflits et les chocs climatiques peuvent avoir sur des communautés déjà vulnérables.

En Somalie, plus de sept millions de personnes manquent cruellement d'eau et de nourriture.

Les effets conjugués de la sécheresse, de l'insuffisance des investissements dans l'adaptation au changement climatique dans les zones de conflit, et des répercussions du conflit armé international entre la Fédération de Russie et l'Ukraine, affectent gravement les populations prises dans l'étau des conflits partout dans le monde.

Le CICR appelle les États et les autres acteurs :

  • à respecter et faire respecter le droit international humanitaire, notamment les règles relatives à la conduite des hostilités, pour réduire le risque d'insécurité alimentaire et de famine ; et
  • à investir dans des solutions concrètes et des mesures d'adaptation pour atténuer les effets du changement climatique dans les régions touchées par un conflit.

 
Troisièmement, je demande aux États d'accorder un accès humanitaire neutre et impartial.

Autrement dit : l'accès à tous les civils ayant besoin d'aide, en particulier aux communautés assiégées...

L'accès aux lieux de détention surpeuplés, où nous continuons d'observer des tendances inquiétantes en ce qui concerne les mauvais traitements et la torture...

L'accès aux quelque 175 millions de personnes – selon les estimations – qui vivent dans des régions partiellement ou entièrement contrôlées par des groupes armés...

Il faut pour cela permettre l'instauration d'un dialogue humanitaire avec les groupes armés non étatiques, par exemple en appliquant l'exemption humanitaire aux régimes de sanctions prévus par la résolution 2664 adoptée par ce même Conseil. Pour une organisation comme le CICR, qui maintient un dialogue avec plus de 300 groupes armés à travers le monde, c'est absolument essentiel.

Par ailleurs, dans l'environnement opérationnel qui est le nôtre aujourd'hui, la mésinformation et la désinformation constituent un risque pour les populations et une entrave pour les opérations humanitaires. La mésinformation peut alimenter des clivages communautaires dangereux et compromettre l'acceptation des organisations humanitaires par les communautés.

Nous demandons aux États et aux autres acteurs de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou atténuer les effets néfastes que les informations fallacieuses peuvent avoir sur la sécurité, la dignité et les droits des civils, ainsi que pour préserver l'espace nécessaire à une action humanitaire neutre et impartiale et le protéger de toute instrumentalisation politique.

Enfin, je tiens à souligner que protéger les civils, c'est protéger tout le monde, sans distinction.

Il ne peut y avoir de stabilité ou de sécurité durables si le droit international humanitaire n'est pas respecté indépendamment du genre des personnes.

Le CICR demande aux États :

  • de faire en sorte que toutes les personnes, quel que soit leur genre, soient protégées dans les conflits et puissent bénéficier de l'assistance humanitaire sur un pied d'égalité ;
  • de faire en sorte que l'interdiction absolue de la violence sexuelle, telle que prévue dans le droit international humanitaire, soit intégrée dans la législation nationale ainsi que dans la doctrine et la formation militaires ; et
  • de s'engager à prendre en compte les considérations de genre dans l'application et l'interprétation du droit international humanitaire.

 

Monsieur le Président,

Le CICR continue d'insister sur l'effet préventif et protecteur du droit international humanitaire.

Ce droit protège les civils. Le respecter, c'est prévenir les violations et les abus.

C'est aussi réduire le coût humain de la guerre tout en maintenant ouverte la voie vers des accords de cessez-le-feu, et in fine vers une paix durable, une économie qui fonctionne et un environnement naturel sain.

J'appelle tous les États à faire respecter le droit international humanitaire, y compris en usant de l'influence qu'ils peuvent exercer sur les autres.

En ces temps où des tensions géopolitiques viennent s'ajouter à des tendances mondiales inquiétantes, le respect du droit international humanitaire doit devenir une priorité politique.

Je vous remercie.

 

Relations avec les médias :

Yuriy Shafarenko, CICR New York, tél. : +917 631 1913, yshafarenko@icrc.org