Rapport

Colombie : le conflit armé en 2021, une douleur qui n’en finit pas

L’année 2021 aurait pu commencer sur un ton positif, avec une réduction des conséquences humanitaires du conflit armé et de la violence. Hélas, il n’en a rien été.

On compte en Colombie au moins cinq conflits armés non internationaux qui continuent de marquer le quotidien des civils et d'empêcher ces derniers de vivre dans la dignité.

Le CICR considère que les parties à ces conflits sont la République de Colombie, l'Armée de libération nationale (ELN), l'Armée populaire de libération (EPL), les milices d'Autodéfense gaïtanistes de Colombie (AGC), et les anciennes structures des Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple (FARC-EP) qui ont rejeté l'accord de paix final de 2016 et opèrent sous un commandement centralisé (les fronts 1, 7 et 40 du Bloc occidental).

La pandémie de Covid-19 a exacerbé les craintes des communautés touchées par la violence. D'une part, le virus fait peur, au vu de l'impact qu'il a eu sur des milliers de familles ; d'autre part, au fil des mois, les communautés se sont retrouvées sans protection dans un contexte d'aggravation de la violence armée.

Les personnes qui vivent dans des lieux touchés par un conflit armé et des violences font preuve d'une résilience qui a toute notre admiration. Elles refusent de baisser les bras et s'emploient, en dépit des circonstances, à bâtir un avenir meilleur.

 

 PDF A TELECHARGER - LES DEFIS HUMANTAIRES EN COLOMBIE 2021 (en anglais)

L’an dernier, au moyen d’un dialogue bilatéral confidentiel que nous maintenons avec tous les acteurs armés de Colombie, nous avons contribué à obtenir la libération de 22 personnes.

CICR

Avant-propos

Dans le contexte de la pandémie, les conséquences humanitaires des conflits armés ont empiré, de même que les violences subies par les civils dans certaines régions de Colombie.

Nous sommes particulièrement inquiets de l'augmentation du nombre de victimes de meurtre. Ces personnes sont protégées par le droit international humanitaire (DIH) et d'autres règles humanitaires. Nous sommes aussi préoccupés par la violence accrue exercée par des porteurs d'armes afin de garder le contrôle de la société dans certains territoires.

 

En 2020, grâce à notre coopération avec la Croix-Rouge colombienne et d’autres partenaires, nous avons pu venir en aide à 1 198 000 personnes.

Juan Carlos Ortiz / CICR

Les appels à l'action du CICR en faveur de la Colombie pour 2021

La Colombie est confrontée à une réalité difficile, et des milliers de personnes souffrent du conflit armé et de la violence.

Nos appels à l'action portent sur les problèmes du pays qui nous préoccupent le plus.

 

Les services de santé colombiens sont confrontés à la pandémie et à la violence

L'année 2020 a été particulièrement difficile pour les agents de santé. Ceux-ci ont été confrontés non seulement à une urgence de santé publique provoquée par la pandémie de Covid-19, mais aussi à l'escalade des violences à leur encontre.

Ainsi, en Colombie, on a compté 325 attaques contre des agents de santé, des établissements de santé et des véhicules sanitaires. C'est le plus grand nombre recensé en 24 ans. La moitié de ces actes d'agression ont été commis par des patients, des membres de leur famille et des membres des communautés.

Ces attaques s'expliquent par une discrimination à l'encontre des agents de santé, la peur de contracter le Covid-19, et surtout par les fausses informations. Des agents de santé ont subi des agressions physiques et reçu des menaces de mort de la part de civils, et ont été victimes d'accusations mal inspirées selon lesquelles ils propageaient le virus au sein de leur communauté, voire tiraient un profit financier de la crise.


La violence et le conflit armé ne font qu'empirer la situation. À travers le pays, des attaques perpétrées par des groupes armés contre des services de santé, en infraction au droit humanitaire international (DIH), ont eu de graves conséquences, comme la démission massive d'agents de santé.

Selon les statistiques, les groupes armés sont responsables d'au moins 88 incidents qui ont ciblé du personnel et des établissements de santé.

De par notre travail sur le terrain, nous savons néanmoins que ce nombre est sous-estimé, en raison d'un manque de signalements et de la peur des représailles qui pourraient viser quiconque fait remonter des faits.

Ces attaques ne touchent pas que les agents de santé, mais aussi les patients et des communautés tout entières qui se retrouvent souvent sans accès à des soins de santé.

Les zones touchées par les hostilités, dont le système de santé était déjà affaibli ou non existant, sont celles qui ont le plus souffert. Il est difficile de déterminer l'ampleur du problème et le nombre total de personnes touchées.

Les agents de santé se sont retrouvés extrêmement exposés aux attaques, alors même que leurs services étaient plus que jamais nécessaires. Les perspectives pour l'année 2021 ne laissent actuellement entrevoir aucun signe d'amélioration. L'urgence de santé publique se prolonge et continue d'être exacerbée par des violences et des troubles sociaux.

 

Jesús et Ismael Rodríguez recherchent leur frère Arnulfo, disparu en 1996 dans le département de Norte de Santander. Ils n’ont aucune photo de lui.

Laura Aguilera Jiménez / CICR

120 000 personnes disparues, et autant de raisons de poursuivre les recherches

En 2020, une disparition de personne a été recensée tous les trois jours en Colombie. Entre la signature de l'accord de paix et le 31 décembre 2020, 571 nouveaux cas de disparition de personne dus au conflit armé et à la violence ont été enregistrés.

Ces statistiques sont alarmantes ; pourtant, elles ne rendent pas précisément compte de l'ampleur de la tragédie. Selon toute probabilité, la situation est en réalité bien pire.

C'est dans les départements d'Arauca, de Norte de Santander, de Nariño, de Cauca, d'Antioquia et de Chocó que l'on a compté le plus grand nombre de personnes disparues en 2020. Nos rapports confirment que tous les groupes armés continuent d'avoir recours aux disparitions pour entretenir un climat de peur chez les civils, et ainsi garder le contrôle des territoires et éviter de s'acquitter de l'obligation de traiter les dépouilles humaines conformément à la loi.

La recherche des personnes disparues était déjà chose difficile en Colombie, mais la pandémie a aggravé les choses. Du fait de l'escalade du conflit dans certaines parties du pays, et de la restriction de la liberté de circulation des personnes engendrée par la pandémie, les familles peinent à chercher leurs proches et à obtenir de nouvelles informations auprès d'organismes gouvernementaux concernant leurs recherches.

Deux autres facteurs viennent encore exacerber la situation. D'abord, nombre de proches des 120 000 personnes disparues travaillent dans l'économie informelle et ont été forcés de choisir entre poursuivre leurs recherches et gagner de l'argent pour survivre. Ensuite, les mesures restrictives prises en raison de la pandémie compliquent l'accès à une assistance du gouvernement.

Le problème des disparitions de personnes a détruit la vie de milliers de familles en Colombie.

Si les proches de personnes disparues sont en temps normal déjà confrontés à un parcours long et incertain, la pandémie a davantage compliqué les choses, et le chemin que ces proches doivent parcourir pour exercer leurs droits est devenu plus tortueux encore.

Avant la pandémie, il était déjà difficile de garantir une gestion appropriée des dépouilles non identifiées. L'augmentation des décès dus au Covid-19 a mis en évidence la nécessité de conserver les dépouilles mortelles dans des lieux adaptés pour qu'elles puissent ensuite être identifiées et retournées aux familles dans la dignité.

 

<h2>Dans le département de Norte de Santander, nous distribuons des radios fonctionnant à l’énergie solaire pour que les populations aient accès à des informations utiles qui les aident à identifier des risques dans les zones où des engins explosifs dangereux constituent une menace.</h2>

Laura Aguilera Jiménez / CICR

Les engins explosifs dangereux : une menace silencieuse

En 2020, on a recensé 389 victimes d'engins explosifs. C'est le record de ces quatre dernières années.

La plupart des victimes sont des civils vivant en milieu rural qui tombent sur ces engins explosifs dangereux alors qu'ils vaquent à leurs occupations quotidiennes, vont chercher de l'eau ou marchent le long d'une route. Les accidents recensés ont eu lieu dans 69 municipalités situées dans 17 départements différents.

Certaines municipalités n'ont signalé aucune victime ces dernières années, ce qui laisse supposer que le problème est réapparu dans des régions où il appartenait au passé.

Il est difficile de mesurer la contamination par les engins explosifs dangereux en Colombie. Depuis la signature de l'accord de paix entre les FARC-EP et le gouvernement colombien, le déminage humanitaire a largement avancé, mais dans certaines zones, en particulier celles où le conflit armé et la violence continuent de faire des ravages, il reste très difficile de mener des opérations de décontamination et de fournir aux victimes des garanties de non-répétition.

Dans ces régions, la difficulté est double : non seulement des engins explosifs dangereux sont présents de longue date, mais le conflit armé et les différends territoriaux actuels donnent lieu à une nouvelle contamination par les armes.

En Colombie, la présence d'engins explosifs dangereux entraîne des répercussions directes sur les civils, qui souffrent le plus du conflit armé et de la violence. Parmi ces engins explosifs figurent des mines antipersonnel (type d'engin le plus connu), ainsi que des restes explosifs de guerre, des grenades et des engins explosifs improvisés à déclenchement contrôlé, qui font tous de plus en plus de victimes.

Le nombre de victimes n'est pas le seul indicateur de la gravité du phénomène. Dix-neuf des municipalités où des accidents ont été signalés sont aussi confrontées à des questions de confinement ou de déplacement, ce qui montre que le seul phénomène des engins explosifs dangereux peut avoir de nombreuses répercussions sur le plan humanitaire.

Les engins explosifs dangereux constituent une menace silencieuse et latente pour les communautés rurales. Étant donné que la localisation de chacun est inconnue, les habitants vivent dans la peur et ne peuvent pas se déplacer librement, ce qui compromet leur capacité de gagner leur vie.

 

 

Nous nous employons à répondre aux besoins des habitants des zones touchées par le conflit armé et à atténuer les effets de la pandémie.

Victor Miranda / CICR

Les prisons, la migration et le recours à la force

La pandémie de Covid-19 a exacerbé les problèmes existants dans de nombreux domaines, tels que la gestion de la santé dans les prisons de Colombie et les conséquences humanitaires de la migration.

On a par ailleurs pu constater que des progrès sont encore nécessaires pour que la force soit employée de façon appropriée dans les situations qui n'atteignent pas le niveau d'un conflit armé.

  • Le défi de la réforme carcérale

Nous soulignons depuis à présent plusieurs années la nécessité d'améliorer les conditions carcérales et de modifier la politique pénale.

L'année 2020 a à tout le moins démontré que le report de la réforme carcérale peut dans certaines situations (comme la pandémie de Covid-19) avoir des conséquences dévastatrices. La surpopulation, le manque d'accès aux soins de santé et les conditions insalubres accroissent le risque de propagation du virus dans les lieux de détention et exposent les personnes privées de liberté à un risque accru de contracter le virus.

Le gouvernement colombien a mis en œuvre des mesures visant à lutter contre la pandémie. Si ces mesures étaient nécessaires et appropriées, elles ne se sont pas attaquées au fond du problème.

Il n'est pas suffisant de réagir à posteriori en prenant des mesures occasionnelles ; pour faire face à la crise des prisons, il faut mener une réforme structurelle. Nous ne saurions trop insister sur la nécessité d'adopter de toute urgence une politique pénale et carcérale qui protège les droits et la dignité des personnes privées de liberté.

  • Migrer vers une zone de conflit en temps de pandémie

Entre possibilités d'emploi en diminution et discrimination en augmentation, les migrants ont en 2020 été confrontés à une dure réalité. Ceux arrivés dans le pays sans papiers d'identité qui ont contracté le Covid-19 ont eu des difficultés à accéder à des soins de santé, à moins de nécessiter des soins médicaux urgents.

D'autres qui avaient quitté leur foyer en quête d'une vie meilleure sont arrivés dans des lieux où le conflit armé dicte la vie des habitants. Du fait de leur situation de vulnérabilité, ils se sont retrouvés exposés à un risque accru d'exploitation sexuelle ou de recrutement des enfants, et nombre d'entre eux ont perdu contact avec leurs proches.

Point positif, le gouvernement colombien a décidé d'accorder aux migrants vénézuéliens un statut de protection temporaire. Si celui-ci est correctement mis en œuvre, il offrira une meilleure assistance aux migrants vivant dans les zones touchées par le conflit armé et la violence, et leur permettra d'exercer des droits.

  • Le recours approprié à la force

Les forces publiques de Colombie ont été confrontées à de nombreux défis en 2020. Si la plupart des agents de police ont respecté les normes internationales relatives au bon usage de la force, des allégations ont été formulées selon lesquelles les forces publiques ont fait un usage disproportionné de la force dans des zones urbaines comme rurales. Cela a posé la question de l'enseignement et de l'intégration des normes internationales au sein des services chargés de l'application de la loi, ainsi que du suivi et de la surveillance de la mise en œuvre de ces normes.

Nous continuons de dispenser des formations en ligne sur les normes qui régissent le recours à la force dans le cadre d'activités de maintien de l'ordre.

Nous formulons par ailleurs des recommandations à l'intention de différents organismes sur les moyens d'appliquer les principes humanitaires de façon effective.

Il convient cependant de noter que ces efforts ne suffiront pas si les valeurs et les normes qui protègent les personnes durant les conflits armés et autres situations de violence ne sont pas pleinement adoptées.