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Colombie : vivre dans l’ombre de six conflits armés - Rapport 2021

Des milliers de Colombiens et de Colombiennes continuent de vivre dans l’ombre des conflits armés, subissant les effets d’une situation sur laquelle ils n’ont aucun contrôle.

Alors que toute l'attention s'est focalisée sur la lutte contre les répercussions de la pandémie de Covid-19 sur la santé publique ainsi que sur l'économie et la société dans son ensemble, les conséquences humanitaires des conflits et de la violence en Colombie se sont aggravées.

Selon les chiffres, les effets des conflits armés et de la violence ont été plus importants en 2021 qu'à tout autre moment au cours des cinq dernières années.

Actuellement, six conflits armés sont en cours en Colombie, en plus d'autres types d'actes de violence, tout ceci ayant un impact considérable sur la vie de la population. La reconfiguration des groupes armés non étatiques et l'augmentation des affrontements armés, du contrôle social et des conflits territoriaux ont intensifié les pressions sur la population civile et présenté de nouveaux défis pour l'aide humanitaire.

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Entendre les voix des victimes

Lorenzo Caraffi

 Editorial de Lorenzo Caraffi
Chef de la délégation du CICR en Colombie

Les équipes du CICR ont constaté une recrudescence des conséquences des différents conflits armés dans les régions d'Antioquia, Arauca, Bolívar, Cauca, Chocó, Nariño, Norte de Santander, Putumayo et Valle del Cauca, ainsi que dans diverses zones du sud-est colombien.

Le nombre de victimes d'engins explosifs a augmenté pour la quatrième année consécutive. Au-delà des blessures physiques causées par ces incidents, la menace constante d'explosions a un impact considérable sur la santé mentale des communautés touchées et rend difficile l'accès aux services essentiels ainsi que l'exercice des activités de subsistance. On a également constaté une augmentation du nombre de communautés déplacées ou dont la circulation a été restreinte en raison de la peur et de la violation du droit international humanitaire et des autres normes humanitaires par les groupes armés.

Le non-respect de ces normes continue d'engendrer des morts, des dommages corporels et des disparitions. Tout ceci, en plus d'autres actes tels que, notamment, les violences sexuelles, l'association d'enfants et d'adolescents avec des acteurs armés, la destruction des ressources naturelles et des biens publics, fait de la population civile la première victime des conséquences des affrontements.

Tous les porteurs d'armes doivent respecter et faire respecter les normes humanitaires.

En outre, en 2021, un nombre regrettable d'attaques contre des membres du personnel soignant, des installations ou des véhicules de soins de santé a été enregistré, les citoyens restant les principaux auteurs de ces attaques. Nous avons également constaté que l'aide humanitaire avait être entravée à des moments où elle aurait été le plus nécessaire.

Il est de mon devoir de lancer un appel pressant aux groupes armés et autres porteurs d'armes, aux institutions publiques et aux citoyens pour qu'ils respectent le travail des organisations humanitaires. La présence de ces dernières dans différentes parties du pays est essentielle à la survie des communautés dans ces circonstances difficiles.

En cette année d'élections législatives et présidentielles en Colombie, nous demandons aux élus de tenir compte des victimes des conflits armés et de la violence lorsqu'ils élaboreront leur programme politique.

Quel que soit le résultat des élections, je tiens à réaffirmer notre volonté de mener à bien des actions humanitaires en Colombie – un engagement qui dure maintenant depuis plus de 50 ans.Nous continuerons à assumer avec détermination cette responsabilité mondiale qui est la nôtre, d'atteindre les zones les plus touchées par divers types de violence. Notre équipe de près de 500 travailleurs humanitaires, main dans la main avec nos collègues de la Croix-Rouge colombienne, continuera à faire tout son possible pour répondre aux besoins humanitaires susceptibles d'apparaître dans ce pays.

 

Ricardo Monsalve / CICR

En 2021, notre action humanitaire a bénéficié à 534 000 personnes.

Juan Uribe / Hay Día

En 2021, nous avons enregistré 52 880 personnes déplacées suite à 123 incidents qui se sont déroulés dans 11 départements différents.

Les engins explosifs : une menace latente et insupportable

En 2021, nous avons comptabilisé 486 victimes d'explosion*, soit le nombre le plus élevé de ces cinq dernières années. Le phénomène est en nette aggravation, avec un impact direct sur la population, puisque la plupart des victimes sont des civils.

La présence d'engins explosifs dans diverses parties du pays entraîne de multiples conséquences humanitaires. Les plus visibles sont les blessures, les mutilations et la mort des victimes directes, ce qui révèle la profonde souffrance que de tels incidents peuvent causer.

Les engins explosifs blessent, mutilent ou tuent sans distinction. La majorité des survivants doivent subir des amputations, de multiples opérations, de longues périodes de rééducation physique, ainsi que des répercussions économiques, sociales et psychologiques qui bouleversent leur vie.

L'étendue de la contamination par les engins explosifs en Colombie n'est pas connue avec certitude. Au cours des quatre dernières années, nous avons recensé des victimes dans 131 communes, réparties sur 21 départements. Bien qu'il s'agisse d'un indicateur concret, il ne met en lumière qu'une partie d'un problème complexe.

Les répercussions humanitaires de la présence de ces engins se traduisent également par des déplacements, des confinements, la peur et l'anxiété qui, bien que moins visibles, affectent gravement la vie quotidienne, ainsi que la santé mentale et le développement de communautés entières.

Lorena Hoyos / CICR

13 973 personnes vivant dans des zones touchées par la présence d’engins explosifs ont reçu une formation à la prévention des accidents.

Personnes portées disparues : une tragédie humanitaire à ne pas négliger

Des milliers de familles colombiennes continuent de vivre dans l'incertitude et la douleur de ne pas connaître le sort ni la localisation de l'un ou l'une de leurs proches, cette personne étant, dans de nombreux cas, portée disparue depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies.

Pendant ce temps, de nouveaux cas de disparitions continuent d'être signalés dans tout le pays, alors que les mesures de prévention mises en œuvre sont insuffisantes. Preuve en est qu'en 2021, nous avons recensé en moyenne un nouveau cas de disparition lié aux conflits armés et à la violence tous les deux jours.

Au cœur de cette tragédie humanitaire se trouve la souffrance des proches qui, en plus de faire face à une douleur indescriptible et à une dégradation de leur santé mentale, continuent également d'affronter de multiples obstacles à l'accès aux soins, tels que les barrières juridiques pour accéder aux services institutionnels, la faible présence de l'État dans les zones les plus reculées et la peur de s'adresser aux autorités dans les endroits où la violence est particulièrement intense.

Des analyses de la situation indiquent que tous les acteurs armés continuent de pratiquer les disparitions forcées, le plus souvent pour instiller la peur dans la population civile. Cependant, dans d'autres cas, les porteurs d'armes sont responsables de disparitions simplement par manque de gestion adéquate des dépouilles et des informations relatives aux personnes décédées en lien avec un conflit armé ou des violences.

La recherche de personnes portées disparues pose actuellement des défis aussi multiples que complexes. Une volonté politique de faire de ce problème une priorité et de répondre aux besoins des familles touchées est donc nécessaire.

La société ne peut pas continuer à répondre par l'indifférence à une tragédie qui a déjà et continue de toucher la vie de milliers de personnes.

Laura Aguilera Jiménez / CICR

Grâce à notre soutien, 161 parents de personnes portées disparues ont obtenu des informations sur le lieu où se trouvaient leurs proches. 86 personnes ont été retrouvées vivantes.

Les soins de santé en danger toujours plus menacés

Il est de plus en plus dangereux de prodiguer des soins de santé en Colombie, notamment dans les zones les plus touchées par les conflits armés et la violence. Les attaques contre le personnel, les installations et les véhicules de soins de santé ont considérablement augmenté au cours des trois dernières années. En 2021, le Conseil national de la santé a enregistré 553 attaques de ce type, soit 70 % de plus qu'en 2020.

Le personnel de santé a été agressé aussi bien par des civils que par des porteurs d'armes. L'accumulation de la peur et de la fatigue commence à avoir un impact sur la santé mentale de ces soignants, ce qui par extension rend plus difficile l'accès aux soins de santé.

Les homicides, les privations arbitraires de liberté, les agressions et les menaces comptent parmi les incidents les plus graves. Des cas de stigmatisation, des violations de la confidentialité des patients et du secret professionnel, des dommages matériels causés aux installations de soins de santé, et des cas de soignants forcés à traiter un patient non prioritaire, ont également été rapportés, parmi d'autres faits.

Par ailleurs, un autre type d'incident a pris de l'ampleur cette année en raison des mobilisations sociales : les obstructions d'ambulance, de personnel de santé et de fournitures médicales représentent 56 % des attaques.
La majorité des attaques et des incidents (66 %) ont été perpétrés par des civils, notamment des membres de la communauté ou des patients et leurs proches, un chiffre en augmentation suite aux manifestations qui ont eu lieu au cours de l'année.

Les signalements officiels d'attaques perpétrées par des porteurs d'armes sont également en hausse, atteignant 20 % des cas. Néanmoins, le CICR est convaincu que de nombreux incidents ne sont pas signalés par crainte de représailles.

Une telle absence de signalement en pleine période de conflits armés complique non seulement l'évaluation de l'ampleur réelle du problème, mais signifie également que les incidents les plus graves passent inaperçus et que rien n'est fait pour remédier à leurs conséquences. Certains membres du personnel de santé s'acquittent de leurs tâches dans un silence craintif, non seulement pour sauver leur propre vie et celle de leur famille, mais aussi pour pouvoir continuer à soigner les personnes qui en ont le plus besoin. Certains quittent leur emploi, à cause de la peur ou par épuisement.

Selon des informations que nous avons recueillies dans les zones les plus touchées par les conflits armés, on a par exemple observé des cas de privation arbitraire de liberté, des personnes apportant des armes dans les hôpitaux et exigeant un traitement prioritaire, ou d'autres entrant dans les salles d'urgence pour abattre des ennemis présumés.

En outre, nous avons constaté qu'un nombre croissant de membres du personnel de santé dans ces zones déclarent faire l'objet de menaces ou d'extorsion.

Ces incidents, ainsi que les dommages infligés aux infrastructures de santé lors des affrontements armés, indiquent que les porteurs d'armes ne respectent pas le principe de précaution énoncé dans le droit international humanitaire.

Ceci a de graves conséquences sur les malades et les blessés. Le personnel soignant en arrive souvent à démissionner et à quitter les zones gravement touchées dès que possible, privant en pleine crise les plus vulnérables d'attention médicale et leur compliquant l'exercice de leur droit fondamental d'accès aux soins.

Soigner ne devrait pas être une activité dangereuse ou exigeant du courage. Nous exhortons tous les porteurs d'armes et les civils à respecter le personnel de santé en toutes circonstances. Nous appelons également les institutions publiques à redoubler d'efforts pour protéger et soutenir les professionnels de santé, notamment dans les zones les plus touchées par les conflits armés et la violence.

Juan Duque / CICR

Selon les chiffres du Conseil national de la santé, en 2021, 553 agressions contre des soignants ont été enregistrées.

Prisons, migration et usage de la force

La pandémie de Covid-19 a entraîné des complications dans de nombreux centres de détention en Colombie. Non seulement les détenus ont été frappés par des foyers épidémiques, mais les restrictions de visites ont également eu pour conséquence de réduire les contacts avec les familles, les avocats, les juges et les défenseurs des droits de l'homme, etc.

Prisons

Ces restrictions ont également eu un impact négatif sur la qualité de certains services essentiels fournis aux détenus, notamment en termes d'alimentation, de soins de santé et de garanties judiciaires.

En pleine pandémie, nous réitérons notre engagement, par le biais d'efforts conjoints avec l'Institut national pénitentiaire et carcéral (INPEC) et la Croix-Rouge colombienne, à rétablir le contact entre les membres des familles via des appels vidéo.

Durant cette période, les femmes détenues ont rencontré plus de difficultés que leurs homologues masculins pour maintenir le contact avec leurs proches, en particulier avec leurs enfants. Nous soulignons l'importance d'envisager des alternatives à l'emprisonnement afin que cette mesure ne soit utilisée qu'en dernier recours. Nous appelons également les organes de contrôle et les juges d'application des peines à reprendre le travail en présentiel dans les prisons.

De plus, la fermeture d'établissements de détention a eu un impact direct sur l'augmentation du niveau de surpopulation dans les centres de détention temporaire du pays, qui ne garantissent pas des conditions de vie adéquates pour des séjours prolongés ou pour de trop nombreuses personnes.

Migration

La population migrante ayant vocation à rester s'installe également dans des départements touchés par des conflits armés et la violence, ce qui l'expose au danger en raison de sa méconnaissance du contexte, mais aussi au risque de rejet, de stigmatisation et de xénophobie.

Par ailleurs, ces personnes doivent surmonter divers obstacles institutionnels pour accéder aux soins, à l'assistance et aux réparations dont peuvent bénéficier les victimes de conflits armés, en raison de leur statut irrégulier.

Pendant ce temps, des drames se déroulent sur la côte Pacifique et dans la région du Darién, impliquant des migrants venus de l'étranger qui entreprennent un long voyage épuisant et parfois mortel à travers une jungle dense et d'autres terrains hostiles.

Le CICR félicite le gouvernement pour les mesures prises afin de faire face à la crise migratoire en Colombie, comme l'adoption d'un statut de protection temporaire, qui permettra aux migrants d'accéder à de nouvelles opportunités et de participer à la société et à l'économie.

Usage de la force

Au niveau mondial, nous avons observé une augmentation des tensions sociales en 2021, et des milliers de manifestants sont descendus dans la rue pour des raisons variées. La Colombie n'a pas fait exception. Le maintien de l'ordre public s'est avéré être un défi constant pour les forces de sécurité de l'État, tant dans les zones urbaines que les zones rurales, mettant à l'épreuve leur capacité à réagir dans le respect des règles et des normes internationales relatives à l'usage de la force.

Des allégations d'usage disproportionné de la force de la part d'agents de l'État exigent une réponse globale de la part du gouvernement. Celle-ci doit inclure des améliorations de la doctrine opérationnelle, de la formation et des mécanismes de suivi et de contrôle relatifs à l'usage de la force par les agents de police.

Pour le CICR, il est important de continuer à entretenir un dialogue franc et constructif avec les décideurs chargés de cette réponse, de la protection de la population et du maintien de l'ordre public. Dans le cadre de ce dialogue, nous continuerons à faire part de recommandations sur le respect des droits de l'homme et des principes humanitaires et nous sommes prêts à faire connaître notre point de vue sur cette question.

Juan Duque / CICR

14 678 services d'appel ont permis aux personnes privées de liberté de communiquer avec leurs proches.

Dialogue confidentiel avec les porteurs d'armes

Durant la pandémie, nous avons continué à mener notre action humanitaire de manière impartiale, neutre et indépendante.

Le dialogue bilatéral et confidentiel que nous avons établi avec les porteurs d'armes et les personnes touchées par les conflits armés et la violence nous a permis d'atteindre les régions les plus reculées et les plus inaccessibles du pays, là où personne d'autre n'avait pu se rendre.


En 2021, nous avons aidé à libérer 27 personnes détenues par des groupes armés, ce qui a constitué l'un des chiffres les plus élevés de ces dernières années. Nous remercions toutes les parties concernées de la confiance qu'elles ont accordée à l'action humanitaire du CICR.

En coopération avec la Croix-Rouge colombienne, nous avons également aidé à l'administration de vaccins contre le Covid-19 dans les régions reculées du pays et les zones difficiles d'accès en raison des conflits armés. Un soutien a été apporté pour couvrir les frais de voyage, de nourriture et d'hébergement des 886 soignants qui ont pris part à cet exercice, de même que des unités de réfrigération pour le stockage des vaccins ont été livrées à 18 centres de santé et hôpitaux.

 

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Ricardo Monsalve / CICR

En 2021, nous avons aidé à libérer 27 personnes détenues par des groupes armés, l’un des chiffres les plus élevés de ces dernières années.

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