Article

Confidentialité – Questions et réponses

À l'ère des médias sociaux où chacun de nous peut dénoncer des violations, l'approche confidentielle du CICR sauve des vies

Le CICR travaille sur le terrain dans des zones de conflit. Nous fournissons des vivres ou des médicaments aux personnes prises au piège des combats et aidons à reconstruire les infrastructures dévastées. Nous nous employons aussi à faire mieux respecter le droit international humanitaire.

Pour avoir accès aux communautés touchées, nous établissons des relations de confiance en maintenant un dialogue confidentiel avec chacune des parties au confit armé ou des entités impliquées dans d’autres situations de violence. L’importance que nous attachons à la confidentialité est parfois critiquée mais elle est essentielle si nous voulons faire notre travail pour les personnes prises au milieu des combats. C’est ce qu’explique ci-dessous Dominik Stillhart, directeur des opérations au CICR.


Nous vivons dans un monde dans lequel l’accès aux faits, aux images et aux articles est immédiat et où l’on voit les exactions se produire en temps réel. Dans le monde des médias sociaux d’aujourd’hui, la confidentialité a-t-elle encore sa place ?  


Les médias sociaux et la technologie des mobiles ont radicalement changé notre manière de voir le monde, de travailler et de comprendre les événements qui se déroulent autour de nous. Et ils nous ont changés, nous aussi – au CICR, nous recourons tous les jours aux médias sociaux pour raconter l’histoire de ceux auxquels nous venons en aide, expliquer notre travail et parler des questions qui sont importantes à nos yeux.

Mais lorsqu’il s’agit de nos opérations sur le terrain, la confidentialité demeure primordiale. C’est la clé qui nous ouvre des portes qui, sinon, nous resteraient fermées. Sans confidentialité, nous risquons de ne pas pouvoir accéder aux populations en détresse ni aux endroits où le travail nous appelle. C’est ce qui nous permet de dialoguer franchement avec les personnes, groupes et parties à un conflit armé ou avec les entités impliquées dans d’autres situations de violence qui, sans elle, ne seraient peut-être pas prêts à discuter avec le CICR. Sans les relations que nous pouvons établir grâce à la confidentialité, nous ne pourrions pas trouver de solution ni faire notre travail. En adoptant une approche confidentielle, nous évitons aussi le risque de politisation lié au débat public et protégeons la sécurité de notre personnel sur le terrain et des populations que nous secourons. Dans ce sens, la confidentialité a absolument sa place dans le monde d’aujourd’hui.  

Je devrais ajouter que notre pratique et notre politique de confidentialité ont des origines très profondes et découlent directement des principes de neutralité et d’indépendance.


N’est-il pas préférable de rendre publiques des allégations de violations spécifiques ? Pourquoi le CICR est-il si prudent en matière de dénonciation publique ?


Notre but est toujours d’aider les victimes des conflits armés et d’autres situations de violence sur le terrain et nous savons par expérience que cette aide passe par la confidentialité du dialogue. Grâce à la confidentialité, nous pouvons poursuivre le dialogue avec toutes les parties à un conflit et, ce faisant, nous sommes mieux à même de régler les problèmes de violations ou d’exactions au moment où ils se produisent, plutôt qu’après coup.

Cependant, la confidentialité n’est pas synonyme de complaisance ni inconditionnelle. Nous nous exprimons publiquement sur certaines questions et pouvons dénoncer les agissements d’une partie en particulier. Mais nous ne dénonçons que lorsque tous les autres moyens raisonnables que nous avions d’influencer cette partie ont été épuisés sans produire les résultats souhaités.

Nous ne prenons jamais cette décision à la légère parce qu’elle risque de nuire à la protection et à l’assistance que nous pouvons apporter. N’oubliez pas que dans bien des endroits où nous travaillons, le contrôle extérieur – et plus encore les critiques – sont très malvenus. Toute décision de divulguer des allégations ou de dénoncer publiquement des parties doit prendre en compte le risque qu’elle peut faire courir à ceux que nous essayons d’aider en sous-entendant que nous ne sommes pas en mesure d’apporter la protection et l’assistance qui est le but même de notre mission. La confidentialité, pour nous, ce n’est pas garder le silence. Au contraire, c’est maintenir un dialogue constant avec toutes les parties, en essayant de résoudre les problèmes à mesure qu’ils se posent.


Y a-t-il des cas où le CICR prendrait publiquement position ?  


De toute évidence, la discrétion a ses limites et nous nous réservons le droit de prendre publiquement position, de publier nos conclusions et de suspendre nos activités dans des cas exceptionnels. Si le dialogue bilatéral confidentiel n’aboutit pas, nous pouvons faire part de nos préoccupations à des tierces parties choisies avec soin, en vue d’influencer le comportement de parties à un conflit armé ou d’entités impliquées dans d’autres situations de violence, ou même passer à la dénonciation publique.

Mais comme je l’ai déjà relevé, une telle démarche présente des risques réels pour les personnes que nous essayons de secourir et qui sont notre priorité absolue. Aussi plusieurs conditions particulières doivent-elles être réunies pour que nous nous exprimions publiquement : les violations doivent être majeures et répétées ou risquer de se répéter ; notre personnel doit avoir vu lui-même les violations se produire ou au moins tenir cette information de sources sûres et vérifiables ; des démarches bilatérales confidentielles doivent avoir été tentées sans réussir à faire cesser les violations ; et cette publicité doit être dans l’intérêt des personnes touchées ou menacées.  

Il vaut aussi la peine de rappeler, me semble-t-il, que nous proposons souvent des évaluations de la situation humanitaire dans les pays touchés par des conflits à travers le monde et que nous attirons fréquemment l’attention sur les questions humanitaires. Nous pouvons, par exemple, publier un communiqué de presse sur la nécessité vitale de protéger les structures médicales et les personnels de santé pendant un conflit armé et d’autres situations de violence, ou travailler de concert avec des journalistes ou des photographes pour mettre en lumière une situation humanitaire particulièrement désespérée. Nous utilisons aussi nos médias sociaux pour diffuser quotidiennement ce genre d’informations.  


Pensez-vous que cette conception de la confidentialité soit menacée ?


Il y a des pressions et je pense que cela tient au fait que les attentes des gens quant à la manière d’obtenir l’information ont changé. Aujourd’hui, on veut obtenir des informations sur les atrocités qui sont commises dans les conflits armés et d’autres situations de violence dès que l’on en entend parler. Bien entendu, l’intérêt et l’indignation que suscitent des violences ou des exactions n’ont rien de nouveau mais il existe aujourd’hui un plus grand nombre de sources d’information.

Comme je l’ai déjà indiqué, nous considérons que la confidentialité est nécessaire au règlement d’éventuelles violations du droit et qu’elle est dans l’intérêt supérieur des victimes de conflits armés et d’autres situations de violence. La confidentialité nous permet d’établir des relations de confiance, d’accéder aux populations que nous essayons d’aider et d’assurer tant leur sécurité que celle de notre personnel. Nous savons, bien sûr, que notre approche n’est pas la seule possible face aux atteintes au droit international humanitaire. Mais les méthodes axées sur la publicité sont à notre avis complémentaires de notre mode d’action privilégié, la confidentialité, qui a fait ses preuves comme moyen de venir en aide aux personnes touchées au moment où elle le sont, plutôt qu’après coup.


Quel est le rapport entre l’approche confidentielle et l’action pénale en cas de crimes internationaux ?


Il est indispensable de poursuivre les responsables de crimes internationaux. En qualité de gardien du droit international humanitaire (DIH), le CICR est favorable aux démarches tendant à réprimer ces crimes dans le droit interne, ainsi qu’à l’établissement de tribunaux pénaux internationaux. Lorsque le CICR communique de manière confidentielle avec des parties à un conflit armé, il les engage instamment à prévenir ou faire cesser les violations, à empêcher qu’elles ne se reproduisent et à punir ceux qui en sont responsables.

Cependant, ces interventions confidentielles en temps réel ne sont pas destinées à être utilisées dans des procédures judiciaires. Elles sont plutôt censées nous aider à attirer l’attention des personnes, groupes ou parties mêlés à un conflit armé sur nos préoccupations et les inciter à y répondre en menant leur propre enquête ou en prenant d’autres mesures pour changer leur comportement et respecter le DIH. Ce que nous disons à ces parties, les documents que nous produisons à leur intention ne sont pas destinés à être utilisés dans des procédures judiciaires. S’ils l’étaient, cela mettrait en péril le dialogue confidentiel dont dépend notre capacité d’opérer et de fournir assistance et protection sur le terrain. C’est pourquoi, même si nous appuyons les initiatives visant à poursuivre et à punir les responsables de violations graves du droit international humanitaire, nous ne participons à aucun procès et ne prenons pas publiquement position sur des affaires précises.


L’approche confidentielle du CICR jouit-elle d’une protection juridique ?


Il est de la plus haute importance que notre conception de la confidentialité soit comprise et respectée. Heureusement, cette importance est aujourd’hui largement reconnue aux niveaux tant international que national.

Au niveau international, la Cour pénale internationale, le Mécanisme des Nations Unies pour les Tribunaux pénaux internationaux, le Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie, le Tribunal pénal international pour le Rwanda, le Tribunal spécial pour le Liban, les Chambres spéciales pour le Kosovo et le Tribunal spécial pour la Sierra Leone ont reconnu, dans leur jurisprudence ou dans leur Règlement de procédure et de preuve, le droit du CICR de refuser de fournir des informations confidentielles. Ce droit n’a été accordé à aucune autre organisation, ce qui est une manière de reconnaître que la confidentialité est la pierre angulaire de notre travail. Au plan national, près d’une centaine de pays ont fourni au CICR la garantie que son approche confidentielle serait respectée, en adoptant une loi ou en signant un accord bilatéral avec lui. Ces textes prévoient d’ordinaire que ni le CICR ni ses employés ne peuvent être amenés à témoigner.   

En outre, comme les rapports que transmet le CICR à des parties sont confidentiels, il a le droit d’insister pour qu’elles ne divulguent pas les informations qu’ils contiennent.