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RD Congo : « J’ai 36 ans et 16 enfants »

Le village d’Hélène dans la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a subi des attaques d’hommes en armes. La jeune femme s’est alors portée volontaire pour prendre en charge une dizaine d’enfants dont les parents avaient été tués durant l'assaut.

Le soleil tend à se coucher dans la ville de Beni, en province du Nord-Kivu, tandis qu'Hélène s'affaire encore en cuisine. Dans quelques minutes, ses 16 enfants vont se retrouver autour d'un plat de haricots et de bananes plantains.

« Mes deux enfants biologiques se plaignent souvent et pensent que je ne leur accorde pas toute mon attention. Cela m'affecte beaucoup car je veux être équitable envers tous », explique-t-elle.

Trésor Isse Katavali/CICR

Il a suffi d'une nuit pour que la jeune femme de 36 ans se retrouve mère d'une famille nombreuse. Durant cette nuit en question, des combattants armés ont fait irruption à Mavivi, son village, tuant, pillant et brûlant des maisons. Dans les lieux de refuge, après avoir fui la violence de l'assaut, des enfants non accompagnés et complètement désemparés gravitent désormais autour d'elle. Parmi eux, certains sont issus du viol.

« Ils ont tous perdu leurs mamans au cours de cette attaque et sont venus vers moi parce qu'ils me connaissaient. Avec leurs mères, nous faisions partie d'une association qui aidait majoritairement des femmes victimes de violences sexuelles à se reconstruire avec de petites activités de résilience. Et moi, j'étais leur encadreuse agricole », raconte la jeune femme.

Trouver de quoi nourrir ces enfants et veiller sans cesse à leur sécurité en passant parfois des nuits à la belle étoile près d'une base militaire rend l'existence d'Hélène difficile. C'est pourquoi, au bout de deux ans, avec toute la grande famille, elle décide de quitter le village pour la ville de Beni, où les conditions de vie sont meilleures.

Une nouvelle vie et de nouveaux défis

Beni-ville, à 12 kilomètres de Mavivi, est, en effet, relativement épargnée des attaques d'hommes en armes. Au 30 juin 2022, environ 40 000 personnes ayant fui la violence armée dans la région s'y sont installées, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA). La ville est dynamique avec des activités économiques diversifiées.

Accueillie chez sa sœur à son arrivée, Hélène, accompagnée de ses nombreux enfants, y vit six mois. Elle est aidée ensuite par une organisation religieuse, qui la loge dans une maison un peu plus spacieuse. Mais autant en famille d'accueil que dans sa nouvelle demeure, nourrir, soigner et vêtir les enfants reste un véritable défi.

« Pour manger, je devais faire, en plus de l'aumône, des travaux journaliers de sarclage ou de récolte dans des champs de particuliers », explique Hélène d'une voix quasi haletante. « Il fallait scolariser les enfants, mais je ne pouvais pas. Se procurer des fournitures scolaires était trop difficile financièrement pour moi. »


Voir l'histoire d'Hélène en images

A Beni-ville, Hélène retrouve des membres de familles de certains enfants de son village et organise leur réunion. Dans la zone, elle se fait aussi une réputation : elle est celle qui recueille des orphelins de « guerre ». On lui ramène alors d'autres enfants.

« De ceux avec qui je suis venue de Mavivi, il n'en reste actuellement que six, mais d'autres m'ont été ramenés. Certains sont déposés à mon insu devant la porte. C'est le cas d'un bébé, visiblement de deux mois, que je viens de recueillir. Les affaires sociales m'amènent aussi des enfants quand il manque d'espace où les loger. »

Au total, Hélène élève maintenant 16 enfants âgés de deux mois à 14 ans. Parmi eux, une adolescente de 14 ans a récemment rejoint la famille après avoir échappé à ses ravisseurs. Elle est arrivée avec une grossesse de près de six mois. Aujourd'hui, Hélène entrevoit malgré tout son rôle de grand-mère avec un peu moins de désespoir.

Un soulagement tant attendu

Après le massacre dans son village, Hélène a subi un traumatisme. Le CICR l'a ainsi notamment soutenue dans le cadre d'un suivi psychosocial. Puis la jeune femme est devenue l'une des bénéficiaires du programme de sécurité économique de l'organisation humanitaire et a obtenu une assistance financière (lire l'encadré).

« Il a fallu plusieurs séances pour réussir à réduire l'ampleur des peines d'Hélène », explique Adèle Muhayirwa, agent psychosocial au Centre de santé de Mangothe. « Sur le plan psychologique, elle avait des flash-back des événements douloureux dont elle avait été témoin. Sur le plan physique, elle avait des maux de tête et des douleurs gastriques intenses. Et l'élément qu'elle n'arrêtait pas de souligner, c'était sa crainte du futur face à la prise en charge des enfants. »

Hélène a pu recevoir du CICR une assistance en espèces en plus d'une formation sur la gestion d'une activité génératrice de revenus.

« Quand j'ai reçu cet argent, j'ai commencé par payer la facture des soins médicaux de deux enfants et préparé un repas copieux pour toute la maison. Pour la première fois depuis quatre ans, les enfants ont pu manger et boire à leur faim », se remémore-t-elle.

Viser l'autonomie malgré les difficultés

Le CICR peut distribuer une aide financière aux personnes victimes d'un conflit armé dans le but de faciliter leur réinsertion sociale et économique sur le long terme.

De janvier à juin 2022, 889 familles, soit 5 355 personnes, ont bénéficié de cette assistance dans la partie est de la RDC, touchée par plus de deux décennies de violences et conflits armés.

Trésor Isse Katavali/CICR

Ces instants de réjouissance n'ont cependant pas occulté sa lucidité. Pensant toujours au lendemain. Hélène a très vite lancé un petit commerce. Sa boutique, assez modeste, est la seule du quartier à offrir une diversité de produits rares dans le coin.

Le bénéfice obtenu est réparti entre le ravitaillement de la boutique, les provisions pour la maison, les soins médicaux et les frais de scolarité un peu allégés avec l'introduction, fin 2019, de la gratuité de l'enseignement primaire dans le pays. Grâce à cela, 12 enfants sont inscrits à l'école primaire et deux autres au secondaire.

« Si nous sommes encore en vie aujourd'hui, c'est grâce aux personnes de bonne volonté et aux organisations qui nous assistent. Je leur dis merci, et merci aussi à maman Hélène. Que le bon Dieu les bénisse tous ! » s'exprime Elisé, onze ans.

Désormais seule responsable d'une sorte « d'orphelinat », Hélène s'est lancée dans l'élevage de poules et de chèvres. Elle espère avoir de l'aide d'autres bienfaiteurs pour l'acquisition d'une terre à exploiter. Cette femme battante s'est déjà procuré des semences et un pulvérisateur de produits fertilisants. Elle pense faire de son mieux pour assurer un avenir meilleur à tous les enfants.

« J'ai une technique efficace pour produire des tomates et amarantes à foison. Si jamais je reçois encore de l'aide, vous verrez ce que je pourrai faire ! » conclut-elle, souriante et déterminée.