Dans le nord-est du Nigéria, le coronavirus se fait de plus en plus lourd de menaces pour les personnes déplacées mais le conflit continue.
Le Covid-19 ? Oui, elles en ont entendu parler.
Rester à la maison ? Elles ont fui leurs maisons à cause des combats.
Les distances sociales ? Elles seraient heureuses de garder leurs distances, mais comment ?
Elles se lavent les mains aussi souvent que possible et espèrent que Dieu les protégera de ce mal après tout ce qu'elles ont déjà enduré. Les femmes, au camp de personnes déplacées de Maiduguri, la capitale de l'État de Borno, sont assises si près les unes des autres que leurs corps se touchent et que les couleurs vives de leurs hijabs se brouillent. Plusieurs dizaines d'entre elles partagent quelques mètres carrés d'ombre sous un toit de foin. Le moindre centimètre d'espace compte ici. Bidons et casseroles sont empilés les uns sur les autres et les vêtements pendent du toit.
Dehors, sous le soleil, tout devient presque blanc en ce milieu de matinée et la chaleur assourdit tous les sons et mouvements.
Les femmes viennent des villes et des villages de l'État de Borno, déchiré par la guerre qui oppose depuis dix ans les militaires à divers groupes armés. Elles ont rejoint quelque deux millions de personnes déplacées dans le nord-est du Nigéria. « Les nouvelles arrivées », c'est ainsi qu'on les appelle à Gubio, l'un des nombreux camps de déplacés de Maiduguri.
Être « une nouvelle arrivée », cela veut dire recommencer sa vie à zéro et risquer de n'avoir nulle part où vivre.
Au cours des dernières semaines, des conteneurs d'eau de plastique noir pour se laver les mains ont fait leur apparition tout autour du camp, tandis que des affiches vertes et jaunes diffusent des messages de santé publique sur le coronavirus.
Mais pour les 250 familles ou plus qui sont arrivées au camp ces derniers mois, beaucoup de ces conseils sont impossibles à suivre.
« Je n'ose pas penser à ce que nous allons devenir, mes enfants et moi »
À Bakassi, le plus ancien des camps de Maiduguri, la majorité des résidants sont déplacés depuis plusieurs années. Des rangées bien alignées de huttes bâchées identiques s'étendent à perte de vue. Chaque famille a un abri. Mais ici aussi, les distances sociales sont difficiles à garder pour beaucoup.
Aishatu, veuve de 38 ans, partage une hutte de quatre mètres sur six avec ses 10 enfants. « J'ai entendu que je devais éviter les foules », dit-elle. « Cela m'inquiète parce que c'est très difficile à faire. »
À mesure que le nombre de cas de Covid-19 augmente, de nombreux Nigérians ressentent les conséquences économiques immédiates des restrictions de mouvement. Pour certains des déplacés qui ont tout perdu, y compris les réseaux sociaux qui les aidaient à vivre, le coup est extrêmement rude.
« Je n'ose pas penser à ce que nous allons devenir, mes enfants et moi, dans une période comme celle-ci », dit Rebeca, mère de six enfants, qui vit dans un des campements sauvages pour déplacés près de Yola, la capitale de l'État d'Adamawa. Il y a quatre ans, Rebeca et ses enfants ont fui leur village, dans le sud de Borno, qui avait été attaqué.
Aujourd'hui encore, elle ne sait pas si son mari est mort ou vif. Pour nourrir ses enfants, elle travaille dans des fermes aux alentours de Yola, où elle gagne 200 naira (0,5 dollar) par jour. Mais lorsque Yola a été confinée pour deux semaines début avril, la famille a perdu ce revenu.
Chocs économiques à répétition dans le monde
L'expérience d'Aishatu et de Rebeca se répète malheureusement un peu partout dans le monde. Le Covid-19 a sur l'économie et la sécurité alimentaire un impact énorme qui semble plutôt s'alourdir avec le temps. Dans les pays en conflit, des millions de personnes doivent déjà se satisfaire de peu de soins, de nourriture, d'eau et d'électricité, lorsqu'elles n'en sont pas totalement privées, ainsi que de prix instables et d'infrastructures détruites. Les pertes de revenus engendrées par le Covid-19 pourraient être le début d'un cercle vicieux et entraîner une aggravation de la pauvreté et de la faim.
Il ressort d'une nouvelle enquête du CICR que les difficultés économiques causées par la pandémie de Covid-19 pourraient favoriser l'apparition d'une nouvelle génération dépendante de l'aide dans les pays en proie à un conflit, si les gouvernements, les institutions internationales, les organisations humanitaires et les acteurs du développement ne coordonnaient pas leur action. Ces données ont valeur d'avertissement. Dans les zones de conflit où le CICR est à l'œuvre, les premiers résultats mettent en évidence l'ampleur des conséquences du Covid-19.
Ce photoreportage a été initialement publié par Al Jazeera.