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Je n’avais jamais vu autant de patients en un jour

par Richard Villar, chirurgien du CICR à Gaza

Il y a d'abord eu un blessé, puis deux, puis huit, puis seize. En quelques heures, l'hôpital est passé du silence au tumulte et à la confusion.

Je travaille dans une équipe chirurgicale du Comité international de la Croix-Rouge à l'hôpital européen de Gaza, à Khan Younis. Je suis arrivé à Gaza à peine 24 heures avant que les violences n'éclatent le lundi 14 mai.

Sur le chemin de l'hôpital, nous nous sommes demandé si c'était le calme avant la tempête : les rues étaient silencieuses et pratiquement désertes. Nous savions que des manifestations étaient prévues.

Je n'avais jamais vu autant de patients en un jour. Le personnel s'était préparé à un afflux de blessés, mais pas à une telle déferlante.

J'ai vu des choses admirables au milieu du chaos. Le personnel non médical est monté au créneau pour sauver des vies : les équipes de nettoyage ont prêté main forte aux médecins, des membres de la direction ont posé des garrots à des blessés pour les sauver d'une hémorragie mortelle. Rien que dans notre hôpital, les blocs opératoires ont accueilli entre 120 et 130 patients. Un bus transportant jusqu'à 40 blessés pouvait arriver à tout moment – quoi qu'il se passe, il fallait faire face.

C'était comme se retrouver dans une station de métro bondée à l'heure de pointe, sauf que tout le monde avait besoin de soins médicaux d'urgence, certains blessés saignant à mort. Même dans cette cohue, des gens ont pris les choses en main et assuré la direction des opérations.

Je retiens une image en particulier, celle d'un patient amené sur une civière avec une rupture de l'artère fémorale. Le sang giclait de sa jambe jusqu'au plafond. Quelqu'un a exercé une pression sur l'artère pour stopper l'hémorragie jusqu'à ce que l'équipe médicale puisse poser un clip.

Cette personne a sauvé une vie avant de simplement disparaître. Je ne saurai jamais qui c'était, mais je la remercie du fond du cœur. Ce qu'elle a fait était un acte d'héroïsme médical.


À ma connaissance, nous n'avons perdu aucun des patients qui sont arrivés en vie dans notre bloc opératoire. Je suis extrêmement fier de mes collègues pour cela.

J'avais déjà vu des blessés par balle avant, mais jamais autant à la fois. C'est ma neuvième ou dixième mission avec la Croix-Rouge et c'est la première fois que je vois autant de victimes en une seule journée.

Idem pour le personnel local qui n'avait jamais pris en charge un si grand nombre de patients en un laps de temps aussi court, même par le passé. Ce lundi a représenté un gros défi logistique, mais nos équipes l'ont brillamment relevé et elles peuvent en être fières.

Mes collègues sont excellents et d'un dévouement total. Quant aux patients, ils ont supporté des niveaux de douleur qui m'auraient personnellement mis K.-O.

Compte tenu du manque évident de fournitures et de matériel médical, une bonne dose d'improvisation est nécessaire pour mener une opération à son terme. Parfois, on est forcé d'administrer le mauvais antibiotique. Parfois, c'est l'équipement approprié qui fait défaut. Si un patient a reçu une balle dans la jambe, l'artère vitale peut être touchée et le blessé risque de se vider de son sang et de mourir en quelques minutes. Pour réparer le vaisseau, nous utilisons normalement un anticoagulant appelé « héparine ». C'est un traitement de routine dans beaucoup de pays à travers le monde, sauf qu'ici, il n'y a pas d'héparine et cela fait toute la différence.

Mes collègues à l'hôpital sont complètement épuisés par l'afflux ininterrompu de patients, la première vague de blessés remontant au 30 mars. Si des violences d'une telle intensité se produisent à nouveau, il sera très difficile d'y faire face, et pourtant, le personnel local trouvera, encore et toujours, le moyen de s'en sortir.