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Jusqu’à un million de personnes auraient trouvé refuge à Maiduguri

Ils sont arrivés au milieu de la nuit. Ils étaient plus d'un millier, essentiellement des enfants et des personnes âgées, transportés par camions depuis la ville voisine de Bama. Une escorte militaire renforcée les accompagnait, par crainte d'une attaque.

Témoignage de notre collègue Ahmad Hersi.

Les anciens étaient si affaiblis qu'il a fallu les porter hors des camions et les installer sous les arbres pour qu'ils se reposent. Les enfants étaient en haillons, et pieds nus pour la plupart. Ils n'avaient rien mangé depuis plusieurs jours. Nous leur avons donné du pain, des sardines, des noix et de l'eau.

Je me suis approché d'un vieil homme. Il devait avoir 80 ans environ et portait une tunique blanche traditionnelle. Il avait l'air si frêle. Il avait du mal à garder l'équilibre tandis qu'il portait le bidon d'eau à sa bouche. Il m'a regardé et a murmuré : « Alangubro, Alangubro, Askergna! », ce qui veut dire « Sois béni pour ta grande bonté ! ». Je pouvais lire le soulagement dans ses yeux. C'est dans ces moments-là que notre travail prend tout son sens.

Lui et les autres sont allés rejoindre les milliers de personnes déjà entassées dans les salles communautaires, les écoles, les mosquées, les églises, les bâtiments municipaux, ou encore chez des familles d'accueil. Peu importe où, pourvu qu'ils trouvent une place. D'autres ont moins de chance. Ils sont une dizaine de milliers à dormir dehors, sans même un abri de fortune. Au total, jusqu'à un million de personnes auraient trouvé refuge ici, dans la ville de Maiduguri, située au nord-est du Nigéria.

Les autorités gouvernementales font ce qu'elles peuvent mais elles sont tout simplement dépassées par le nombre colossal de déplacés.

La plupart des enfants sont profondément traumatisés ; ils éclatent en sanglots dès qu'on les questionne sur leurs parents ou leurs proches. Et quand nous parvenons à les faire parler, nous obtenons invariablement les mêmes réponses : soit ils ont été séparés de leurs parents dans le chaos de la fuite, soit ces derniers ont été tués. Certains enfants ont assisté à des meurtres d'une brutalité inimaginable. On ignore les séquelles qu'ils en garderont.

Les plus grands ont pour la plupart l'air absent. Les événements dont ils ont été témoins à Bama, la peur qui les tenaillait constamment, ainsi que le manque d'eau et de nourriture ont éteint toute étincelle de vie en eux, tout espoir d'une vie meilleure. Ils sont maigres ; la peur et la faim se lisent dans leurs yeux. Ils vivent au jour le jour.

Et ils manquent de tout. Il faut leur trouver un abri, de la nourriture, des vêtements, des médicaments, et aussi leur faire la classe. On se sent un peu livrés à nous-mêmes, ici. Personne ne semble avoir pris conscience de l'ampleur du problème. Pendant plusieurs mois, le CICR était la seule organisation humanitaire internationale présente sur le terrain. Ces gens ne pouvaient compter que sur nous.

Nous faisons de notre mieux pour répondre à leurs besoins : nous distribuons des vivres et de l'eau, construisons des abris et des latrines, fournissons des soins de santé. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues de la Croix-Rouge du Nigéria, mais il reste encore énormément à faire.

Il y a quelques jours, en allant inspecter le système d'approvisionnement en eau dans l'un des camps, j'ai assisté à une scène que je ne suis pas près d'oublier : des enfants, arrivés au camp à peine quelques heures plus tôt, s'approvisionnaient en eau au camion-citerne ; ils couraient dans tous les sens avec leurs seaux en riant et en s'éclaboussant les uns les autres. Ils avaient l'air si heureux, comme s'ils étaient dans un autre monde. À cet instant précis, ils ne pensaient plus à ce qu'ils avaient vécu.

Autrefois très fréquentées, les routes commerciales reliant le Nigéria aux pays voisins ont été bloquées ou sont devenues trop dangereuses. L'activité économique a chuté, ce qui aggrave encore la situation des communautés. Des milliers de personnes sont parties se réfugier au Cameroun, au Tchad ou au Niger, ajoutant au fardeau déjà supporté par ces pays.

La saison des pluies va encore compliquer la donne, notamment à cause des risques de maladie qu'elle entraîne. Nous devons agir vite pour améliorer les conditions de vie dans les camps, en particulier sur le plan sanitaire.

Étonnamment, les gens ont retrouvé l'espoir depuis la tenue, dans le calme, des récentes élections générales. Néanmoins, bien qu'il y ait eu peu d'incidents à Maiduguri ces derniers jours, la population redoute d'autres attentats à la bombe. L'écho des attaques frappant les villages voisins nous rappelle douloureusement que le conflit est loin d'être terminé.

Bâtiments détruits, familles dévastées, moyens de subsistance réduits à néant : ce conflit a profondément meurtri de nombreuses communautés. Les personnes touchées ont vu leur dignité piétinée. Il est de notre responsabilité collective de les aider à se reconstruire. Nous devons redoubler d'efforts pour faire advenir une solution durable à ce conflit. Et ainsi faire en sorte que ces convois de camions transportant des enfants et des personnes âgées appartiennent bientôt au passé.