Déclaration

L’année 2021 au Moyen-Orient : loin des feux des projecteurs, des millions de personnes ont encore besoin d’assistance

Fabrizio Carboni, directeur régional du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour le Proche et le Moyen-Orient, fait le bilan des principaux problèmes auxquels la région a été confrontée en 2021.

Fabrizio Carboni, directeur régional du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour le Proche et le Moyen-Orient, fait le bilan des principaux problèmes auxquels la région a été confrontée en 2021.

Si les conflits dévastateurs qui secouent le Moyen-Orient depuis des années ne font plus aussi souvent les gros titres, leurs conséquences humanitaires se font encore lourdement sentir, en particulier au Yémen et en Syrie. Les tensions restent vives en Israël et dans les territoires occupés, tandis qu'en Irak, la population continue de subir les répercussions de la guerre.

Commençons par parler du Yémen, entré dans sa septième année de conflit, où tous les services essentiels sont interrompus et où les besoins humanitaires atteignent des niveaux catastrophiques. Pas moins de 80% de la population du pays, soit 24 millions de personnes, ont besoin d'assistance et deux tiers des districts sont en situation de pré-famine.

On estime que depuis septembre, 40 000 personnes à Marib et plus de 10 000 autres à Hodeïda ont été forcées de fuir leur foyer en quête de sécurité. Les opérations militaires le long de plusieurs lignes de front menacent la vie et les moyens de subsistance des civils ainsi que leur accès à l'eau, à la nourriture, aux soins de santé et à l'éducation.

Les services de santé, déjà affaiblis dans l'ensemble du pays par ce conflit interminable, sont mis à très rude épreuve à Marib et à Hodeïda. De nombreux hôpitaux et centres de santé manquent de personnel, de médicaments et de matériel médical et n'arrivent pas à traiter les blessés de guerre tout en répondant aux besoins en soins de base.

Le CICR continue de distribuer des vivres, des articles ménagers et des fournitures médicales aux établissements de santé et aux communautés en détresse. Il appelle aussi régulièrement toutes les parties au conflit à limiter les souffrances humaines en protégeant les biens civils et les infrastructures essentielles. Mais ce dont le Yémen a véritablement besoin, au bout du compte, c'est que tous les acteurs d'influence – individus, institutions et États – œuvrent ensemble à la conclusion d'un accord qui mette enfin un terme à ce conflit.

Quant à la Syrie, elle est plongée depuis maintenant plus de dix ans dans un conflit qui continue de causer souffrances, pertes et bouleversements dans la vie des familles à travers le pays. Les personnes déplacées se trouvent dans une situation particulièrement difficile à cette période de l'année, alors que les températures quasi glaciales viennent encore aggraver leurs conditions de vie déjà précaires dans les camps.

Permettez-moi de dire quelques mots sur le camp d'Al-Hol, que j'ai visité en mars dernier. Les conditions de vie y sont très dures pour les enfants comme pour les adultes. De nombreuses familles se sont retrouvées dispersées à la suite de transferts vers d'autres camps ou lieux de détention ; des enfants ont même été séparés de leur mère.

Les enfants en détention doivent être réunis avec leurs proches dans les camps, être rapatriés avec eux ou bénéficier d'autres solutions de prise en charge adaptées à leurs besoins. Les personnes gravement malades doivent par ailleurs être rapatriées en priorité.

Et la préservation de l'unité familiale doit être la règle lors des rapatriements. Rester avec sa famille est généralement dans l'intérêt supérieur de l'enfant et c'est ce qu'exige le droit international, à moins qu'une évaluation rigoureuse ne justifie une décision contraire. Le CICR encourage les États à rapatrier leurs ressortissants et à le faire dans le respect des règles de droit et des normes et principes applicables, notamment en apportant un soutien aux enfants rapatriés, à leur famille élargie, à leurs écoles ainsi qu'aux autorités concernées.

La situation à Gaza et en Israël a été particulièrement difficile cette année. La période du 10 au 21 mai a été marquée par la plus grave escalade de violence entre les factions de Gaza et Israël depuis des années. Ce nouveau cycle d'hostilités a nui à la santé mentale des populations de part et d'autre ; à Gaza, il est venu aggraver des besoins humanitaires déjà considérables.

Plus de six mois après la fin des combats, les conditions de vie restent déplorables à Gaza. Les restrictions imposées à la circulation des biens et des personnes compliquent les efforts de reconstruction. L'absence de progrès dans la recherche de solutions durables et le manque de perspectives d'amélioration suscitent frustration et désespoir chez les Gazaouis. La pénurie chronique d'électricité, conséquence d'années de blocus et de quatre épisodes majeurs d'escalade militaire, rend la vie quotidienne extrêmement difficile.

Les civils israéliens vivant près de la frontière avec Gaza ont quant à eux été confrontés à des risques accrus en 2021. Le retentissement récurrent des sirènes d'alerte à la roquette a eu un impact psychologique sur les habitants du sud du pays, régulièrement forcés de courir aux abris. Bon nombre d'entre eux, en particulier des enfants, souffrent de troubles de stress post traumatique.

Le CICR est convaincu que respecter et faire respecter le droit international humanitaire permettrait de réduire considérablement les souffrances dans les deux camps et de remédier aux conséquences juridiques et humanitaires des politiques d'occupation pour la population palestinienne. Cela contribuerait également à rétablir la confiance et offrirait ainsi les meilleures chances possibles de parvenir à un règlement pacifique du conflit.

La crise complexe que traverse le Liban a entraîné une détérioration rapide de la situation humanitaire, l'accès à tous les services publics essentiels étant fortement compromis. Les effets combinés de la crise économique sans précédent, de la pandémie de Covid-19 et de l'explosion au port de Beyrouth ont exacerbé les vulnérabilités et frappé de plein fouet les groupes précaires sur le plan socio-économique. La baisse spectaculaire et généralisée du pouvoir d'achat de la population se répercute sur les réfugiés, les fragilisant encore davantage alors que les communautés qui les accueillent sont devenues elles-mêmes plus vulnérables.

Et puis il y a évidemment le grand problème auquel le monde entier est confronté, y compris les zones de conflit : le Covid-19. Pour l'heure, seule une part infime des vaccins a été distribuée dans ces zones. Les taux de vaccination sont effroyablement bas au Yémen (seulement 2% de la population a reçu au moins une dose) et à peine plus élevés en Syrie (environ 5%). Or l'on ne pourra venir à bout de cette pandémie qu'en vaccinant les dizaines de millions de personnes qui vivent dans des zones de conflit et autres régions difficiles d'accès. Les variants Delta et Omicron montrent à quel point nous restons tous vulnérables tant que de vastes poches de la population mondiale ne sont pas vaccinées.

Un bref commentaire sur ce qu'on appelle la lassitude des donateurs : il nous manque cette année environ 8 millions de francs suisses pour pouvoir mener à bien la totalité de nos activités humanitaires en Israël et dans les territoires occupés. Pour l'Irak, le déficit budgétaire se monte à quelque 20 millions de francs. Même si ces pays ne font plus la une des journaux au quotidien, les familles touchées par les conflits continuent de souffrir et d'avoir besoin d'une assistance humanitaire.

Enfin, laissez-moi rappeler l'impact à long terme des conflits. En Irak, quatre ans se sont désormais écoulés depuis la fin de la bataille de Mossoul, qui avait causé des ravages terribles. Les travaux de reconstruction avancent hélas lentement et les gens luttent encore pour remettre leur vie à flot.

Le CICR inaugurera au premier trimestre 2022 le plus grand centre de réadaptation physique du pays et l'un des plus importants au Moyen-Orient. Situé à Erbil, ce centre assurera des services de physiothérapie, proposera un accompagnement aux familles et sera doté d'un atelier de fabrication de prothèses.

Il faut se représenter que 2021 marque la 40e année consécutive de présence du CICR en Irak. Bien que nous soyons fiers de notre engagement continu en faveur de la population irakienne, il n'est jamais bon signe que nous devions rester aussi longtemps dans un pays. En effet, plus une guerre se prolonge, plus elle est synonyme de souffrances profondes. La nécessité d'ouvrir ce nouveau centre de réadaptation en est la preuve.

Pour conclure, je souhaite de tout cœur aux familles victimes de la guerre dans ces pays la santé et la sécurité en 2022. Mais le fait est que dans des lieux comme le Yémen ou la Syrie, où des millions de personnes vivent dans l'insécurité, manquent cruellement de nourriture et n'ont pas accès aux soins de santé, ce souhait pour la nouvelle année risque fort de ne rester qu'un vœu pieux.

Informations complémentaires : Jason Straziuso, jstraziuso@icrc.org ou +41 79 949 35 12