Document adopté par l'Assemblée du CICR le 27 avril 2006.
Le génocide à l'encontre des Juifs et des Tsiganes et les autres persécutions perpétrées sous le Troisième Reich ont provoqué des souffrances indicibles et constituent le plus grave échec de la civilisation occidentale.
Cet échec est aussi celui de la Croix-Rouge tout entière, mais il touche tout particulièrement le CICR en raison de sa vocation propre et de la position qu'il occupe au sein du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. En effet, des millions d'hommes, de femmes et d'enfants – principalement des Juifs, mais aussi des Tziganes, des infirmes, et tous ceux que le régime considérait comme des opposants ou des résistants – ont été exterminés de sang froid, dans des conditions atroces, sans que le CICR parvienne à leur apporter protection. Jamais les principes qui guident son action n'ont été aussi outrageusement bafoués, dans la plus totale perversion des valeurs morales conduisant à l'industrialisation de la mort. Les blessures causées par ces événements demeurent ouvertes pour les survivants et les proches des victimes.
Cet échec est aggravé par le fait que le CICR n'a pas entrepris tout ce qui était possible pour enrayer le cours des persécutions nazies et venir en aide aux victimes de celles-ci. Le CICR est resté prisonnier de ses modes d'action traditionnels et du cadre juridique trop étroit dans lequel s'inscrivait son action. Ayant renoncé à une dénonciation publique, dont il était convaincu qu'elle ne changerait pas le cours des événements et dont il craignait qu'elle ne compromette les activités qu'il parvenait à déployer en faveur d'autres victimes, notamment les prisonniers de guerre, et par souci de ne pas rendre plus difficiles les relations de la Suisse avec les États belligérants, le CICR s'en est essentiellement remis à l'action de ses délégués pour conduire des démarches confidentielles auprès des autorités du Reich ou des satellites de l'Allemagne. Or ces délégués n'avaient pas accès aux cercles dirigeants de la hiérarchie. Ce n'est que durant la dernière phase de la guerre que les dirigeants du CICR ont tenté des démarches à haut niveau auprès de certains dirigeants du Reich ou des satellites de l'Allemagne.
Ainsi que l'écrit le professeur Jean-Claude Favez, qui a conduit l'étude indépendante la plus approfondie sur l'action du CICR en faveur des victimes des persécutions nazies et qui a bénéficié à cette fin d'un accès illimité aux archives du CICR, l'institution "n'a pas pris le risque suprême de jeter en faveur de ces victimes tout le poids de son autorité morale". 1
Entre l'action de secours très limitée qu'il était en mesure de conduire en faveur des victimes des persécutions nazies et dont les résultats restaient dérisoires en comparaison de la situation de ces victimes et sans impact sur le génocide, et une dénonciation publique, arme ultime dont le CICR a estimé ne pouvoir se servir, l'institution n'a pas su – jusqu'aux derniers mois de la guerre – mener une action diplomatique déterminée et soutenue, à haut niveau, auprès des dirigeants du Reich, ni auprès des dirigeants des États alliés ou satellites de l'Allemagne, qui ne partageaient pas tous le fanatisme destructeur des dignitaires nazis. 2
Ces démarches auraient dû être tentées, même si l'on pouvait douter des perspectives d'atteindre le résultat escompté. En effet, si le crime ne suscite aucune protestation, fût-ce par le biais de démarches confidentielles, si des atrocités répétées ne sont pas stigmatisées, même en l'absence de toute sanction matérielle, il est à craindre que les valeurs morales qui sous-tendent le droit international humanitaire ne finissent par s'éroder.
Au vu de ce constat, le CICR d'aujourd'hui regrette ses erreurs et omissions passées. Cet échec restera inscrit dans la mémoire de l'institution, tout comme le resteront les actes courageux de nombreux délégués du CICR à l'époque.
L'histoire ne peut être réécrite. Le CICR entend toutefois honorer les victimes et les survivants des persécutions nazies en luttant pour un monde dans lequel la dignité humaine de chaque homme, de chaque femme et de chaque enfant sera respectée sans réserve.
Notes:
1. Jean-Claude FAVEZ, avec la collaboration de Geneviève BILLETER, Une mission impossible ? Le CICR, les déportations et les camps de concentration nazis, Lausanne, Éditions Payot, 1988, p. 374.
2. " On peut dès lors se demander pourquoi, entre l'action de secours matériel, dérisoire au regard du sort des victimes, [... ] et l'appel public, arme ultime que le CICR [... ] a estimé ne pouvoir employer, il n'y eut pas de tentative diplomatique à la fois digne du drame qui se jouait et calculée dans ses risques, comme une lettre de protestation à Hitler ou à Himmler ou mieux encore une mission Huber ou Burckhardt à Berlin ou à Berchtesgaden " écrit le professeur Favez, op. cit., p. 372.
Voir aussi: