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Le point sur le statut juridique du CICR

Compte tenu de son mandat unique, le CICR jouit de privilèges et d’immunités spécifiques en vertu du droit international et des législations nationales. Mais, pour quelles raisons précises en a-t-il besoin ?  Les explications de Knut Dörmann, conseiller juridique en chef du CICR.

Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer le statut juridique particulier du CICR ?

Le CICR est investi du mandat, prévu notamment par les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, de fournir protection et assistance aux victimes de conflits armés et d’autres situations de violence. Ce rôle unique nous est confié par la communauté internationale.

Nous pouvons ainsi nous acquitter de certaines tâches essentielles, comme rendre visite aux prisonniers de guerre, rétablir les liens familiaux, travailler à l’application fidèle du droit international humanitaire et jouer un rôle d’intermédiaire neutre entre les parties belligérantes.

Ce mandat confère par ailleurs au CICR un statut juridique international, distinct de celui des organisations non gouvernementales (ONG) et comparable à celui d’organisations internationales intergouvernementales telles que les Nations Unies.

Pour être à même de remplir son mandat, le CICR négocie ce que nous appelons un « accord de siège » avec les autorités des pays dans lesquels nous opérons.

Cet accord juridique offre certaines garanties pour nous permettre de nous acquitter de notre mission avec efficacité et conformément à nos Principes fondamentaux.

En quoi un accord de siège aide-t-il le CICR à mener ses activités ?

En résumé, un accord de siège nous permet d’agir sans remettre en cause nos Principes fondamentaux ou nos modalités de travail fondées sur la confidentialité.

En tant qu’acteur humanitaire neutre, le CICR s’abstient de prendre parti ou d’être perçu comme prenant parti. En vertu du principe d’impartialité, il s’efforce d’apporter protection et assistance aux victimes dans le seul but de répondre à leurs besoins. L’indépendance du CICR signifie en outre qu’il dispose de l’autonomie nécessaire pour accomplir le mandat humanitaire qui lui a été confié.

Nos modalités de travail habituelles reposent sur la confidentialité et découlent directement de nos Principes fondamentaux. Cela ne veut pas dire pour autant que nous ne pouvons pas dénoncer.

Il est largement admis que ces principes, et la confidentialité comme mode opératoire, sont indispensables à l’exercice de notre mandat. En y adhérant, le CICR peut gagner et maintenir la confiance de toutes les personnes touchées par un conflit ou une autre situation de violence.

Cette confiance est vitale pour obtenir l’accès à des zones et à des populations qui ont besoin de notre aide, comme pour garantir la sécurité de nos personnels sur le terrain.

Pouvez-vous donner quelques exemples illustrant en quoi un accord de siège est utile au CICR ?

Il convient tout d’abord de souligner que le CICR intervient dans des contextes instables et dangereux. Tout ce qui va à l’encontre de nos Principes fondamentaux ou compromet la confidentialité pourrait avoir de graves conséquences, pas seulement pour nous, mais aussi pour les personnes que nous nous efforçons d’aider.

Les accords de siège nous assurent une certaine protection juridique. Par exemple, l’immunité contre toute procédure judiciaire et l’inviolabilité de nos locaux, de nos documents et de nos données.

Un aspect important de la protection est l’exemption de l’obligation de témoigner dont bénéficient le CICR et son personnel, qui ne peuvent ainsi pas être cités comme témoins ni fournir des preuves dans une procédure judiciaire. Si nous étions forcés de témoigner pour ou contre l’une des parties à un conflit, nous serions certainement perçus comme n’étant ni neutres ni indépendants dans ce conflit.

Le CICR déploie toute une gamme d’activités à travers le monde, se rendant notamment dans des lieux de détention, pour veiller à ce que les détenus soient traités avec humanité. Les rapports et les discussions qui en découlent doivent rester confidentiels pour conserver la possibilité d’avoir accès aux personnes détenues, et favoriser la tenue de discussions franches avec les autorités afin de pouvoir apporter les améliorations nécessaires.

Pour donner un autre exemple d’ordre juridique, dans certains pays, il est illégal d’avoir des contacts avec des groupes armés non étatiques. Le personnel du CICR est souvent amené à communiquer avec des groupes armés non étatiques, que ce soit pour faciliter l’accès humanitaire ou pour veiller au respect du droit international humanitaire.

En ayant un accord de siège et donc une immunité de juridiction, le personnel du CICR peut poursuivre son travail, dans le but ultime d’aider toutes les personnes touchées par un conflit ou une autre situation de violence, sans avoir à craindre d’être poursuivi en justice.

Cela signifie-t-il que le personnel du CICR est au-dessus des lois ?

Non, pas du tout. Le but des privilèges et immunités est de permettre au personnel de s’acquitter de ses fonctions conformément au mandat du CICR. Un collaborateur du CICR n’en reste pas moins soumis à la législation nationale comme n’importe quel citoyen.

De quels autres privilèges juridiques le CICR jouit-il ?

Un accord de siège contient généralement des privilèges spécifiques qui nous aident à mener efficacement nos activités.

Il peut ainsi prévoir une exemption des droits de douane, des droits à l’importation et à l’exportation ou d’autres charges pour l’acheminement de biens humanitaires d’un pays à un autre. C'est un atout crucial pour répondre rapidement à des besoins humanitaires urgents sur le terrain.

Un autre privilège a trait à l’octroi de droits en matière de trafic aérien et à l’exemption de droits de survol et de taxes d’atterrissage. Le CICR utilise souvent ses propres avions, plutôt que des avions commerciaux, gouvernementaux ou appartenant à d’autres organisations internationales.

L’objectif est de s’assurer qu’il peut mener ses activités lorsque les autres avions sont indisponibles et aussi de veiller à être perçu comme un acteur humanitaire véritablement neutre et indépendant.  Il est donc nécessaire que le CICR bénéficie de droits en matière de trafic aérien et qu’il soit exempté des droits de survol et des taxes d’atterrissage.

Avec quels pays le CICR a-t-il conclu un accord de siège ?

Nous bénéficions actuellement de privilèges et d’immunités dans 106 États. Dans la grande majorité des cas, ces privilèges nous ont été accordés en vertu d'accords de siège. Le CICR jouit par exemple de privilèges et d’immunités en Belgique, en France, en Suisse et bientôt en Irlande. C’est également le cas en Afrique du Sud, en Australie, en Corée du Sud, aux États-Unis et en Russie.

Un statut juridique est-il nécessaire dans les pays qui ne sont pas touchés par un conflit ?

Oui, partout où le CICR est présent ou prévoit d’intervenir, nous cherchons à conclure un accord de siège. La présence du CICR n’est pas nécessairement liée à l’existence d’un conflit armé ou d’une autre situation de violence. Il s'agit, par exemple, de visiter les détenus, de travailler à la diffusion du droit international humanitaire ou d’aider les autorités à renforcer leur capacité à porter assistance aux populations dans d’autres contextes.