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Les besoins en santé mentale ne peuvent plus être un luxe dans les situations de crise

Allocution du président du CICR Peter Maurer lors de la Conférence internationale sur la santé mentale et le soutien psychosocial dans les situations de crise - Amsterdam, 7 octobre 2019

 

Les services de santé mentale ont été trop longtemps relégués au second plan dans les situations de conflit, de violence et de catastrophe.

Étant invisibles, certains traumatismes peuvent facilement passer inaperçus ou ne pas être considérés comme prioritaires. Pourtant, les guerres et les catastrophes ont un impact dévastateur sur la santé mentale et le bien-être psychosocial de millions de personnes.

De nouveaux problèmes de santé mentale peuvent se développer, des troubles préexistants peuvent réapparaître. La vie de certaines personnes peut alors être en danger.


Dans les régions en proie à un conflit, une personne sur cinq souffre d'une forme ou d'une autre de maladie mentale ; ce taux est trois fois plus élevé que dans la population générale au niveau mondial.

Si des chiffres comme celui-ci nous donnent une idée de l'ampleur du problème, je voudrais aussi, pendant ce sommet, vous inciter à aller au-delà des chiffres, à penser à tous ces gens que les équipes du CICR rencontrent régulièrement :
- Les personnes qui vivent sous la menace constante des bombardements et des tirs d'obus ;
- Les femmes, les hommes et les enfants violés, ostracisés par leur communauté ;
- Les travailleurs humanitaires qui font l'objet d'attaques ou qui doivent agir dans une situation où les besoins sont énormes et les ressources limitées.

Le mois dernier, j'étais au Nigéria. Là, j'ai pu voir l'impact d'un conflit long de dix ans, qui a notamment provoqué la dislocation de dizaines de milliers de familles. Des parents ont exprimé leur profonde inquiétude. Ils ignorent ce qu'il est advenu de leurs enfants – certains ont été séparés de leur famille alors qu'ils fuyaient la violence, d'autres ont été enlevés ou seraient détenus. Si ces parents n'obtiennent pas de réponse, leur traumatisme restera une plaie ouverte.

L'écoute attentive du vécu des autres est essentielle. J'attends donc avec intérêt la prochaine table ronde qui nous permettra d'entendre des personnes présenter leurs expériences plus en profondeur. Certes, des progrès ont été réalisés, mais nous connaissons tous l'effet de musellement que provoque la stigmatisation ; nous devons créer des environnements appropriés, où les personnes peuvent raconter leur histoire et faire entendre leur voix.

Lors d'une guerre ou d'une catastrophe, les personnes sont confrontées à des circonstances qui peuvent paraître extrêmes. Nous savons aussi que « la bonne intervention au bon moment » peut faire la différence pour la grande majorité des gens ; elle peut donner aux personnes touchées la possibilité de participer à la vie sociale et communautaire et d'accéder à l'emploi et à l'autosuffisance ; elle peut aussi empêcher le traumatisme de se transmettre de génération en génération.

Dans tous les pays – qu'ils soient en guerre ou en paix –, la santé mentale est un défi majeur. De fait, des efforts considérables sont aujourd'hui déployés par des organisations sur tous les continents. Si nous parvenons à tirer parti de cette vaste expérience collective, il se produira un réel changement, dont chacun pourra bénéficier, où qu'il soit dans le monde.

Le CICR et le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans son ensemble disposent d'un nombre croissant de preuves de bonnes pratiques fondées sur notre étroite proximité avec les populations touchées.
La réponse globale que nous apportons dans les situations de crise inclut le soutien psychosocial, le soutien psychologique et le soutien spécialisé en santé mentale ; nous comptons sur la présence du Mouvement au niveau local ainsi que sur l'action humanitaire fondée sur des principes pour atteindre les personnes qui ont besoin d'aide, y compris les personnes particulièrement vulnérables dans les zones échappant au contrôle gouvernemental.

ll n'existe pas de réponse unique, applicable partout, et nous le savons bien. Nos interventions doivent être spécifiquement adaptées à la situation, aux forces et aux capacités de ceux que nous souhaitons aider. Cela vaut, tout particulièrement, pour les enfants, les personnes âgées et les victimes ayant survécu à la violence sexuelle ou à la torture. La prestation de services médicaux et de santé à long terme est souvent indispensable pour assurer un continuum de soins de santé mentale alors que les périodes de conflit, d'instabilité ou d'accalmie se succèdent.

Pour pouvoir maintenir une telle approche, nous devons disposer du personnel adéquat. S'agissant de la santé physique, chacun de nous sait bien que c'est au professionnel pertinent que l'on s'adresse (demanderait-on à un ophtalmologue de prodiguer des soins de kinésithérapie, ou à un secouriste de pratiquer une opération chirurgicale ?). De la même façon, il est essentiel de disposer du personnel approprié pour traiter les troubles de santé mentale.

Des soins de santé mentale de qualité nécessitent à la fois des professionnels spécialisés et un soutien de première ligne apporté par des associations communautaires et médicales locales.

Il est essentiel de renforcer les effectifs locaux. Par exemple, le CICR contribue à la constitution d'une filière professionnelle dans des pays tels que la Syrie et l'Azerbaïdjan en formant des psychologues locaux ainsi que d'autres praticiens en santé mentale.

Il reste cependant beaucoup à faire sur le plan collectif.

Nous devons intensifier nos activités à un stade précoce. Nous devons lutter contre la stigmatisation et la discrimination endémiques. Des investissements à long terme sont nécessaires, sur le plan financier et de la formation, pour soutenir les systèmes nationaux de santé et d'intervention d'urgence. Enfin, nous avons besoin de soutien pour préserver la santé mentale et le bien-être psychosocial des volontaires et du personnel qui répondent aux besoins humanitaires.

En décembre prochain, lors de la Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, nous présenterons une résolution relative à la santé mentale et au soutien psychosocial, pour faire en sorte que cette aide vitale soit l'un des volets de toute réponse humanitaire.

Nous appelons les États à soutenir cette résolution, et je vous demande de vous joindre à nous en prenant vos propres engagements, conformément à ces appels à l'action.

Il est urgent d'agir : les personnes touchées par des situations de crise ne peuvent plus attendre. Je vous encourage à profiter de l'élan acquis, à prendre des engagements forts et à nouer des partenariats. En se conjuguant, ces efforts auront davantage d'impact pour les personnes en détresse.