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Les Conventions de Genève – toujours pertinentes 150 ans plus tard ?

Des représentants gouvernementaux de 16 pays africains se sont réunis à Pretoria en septembre pour réfléchir à l’évolution du droit de la guerre et à la pertinence des Conventions de Genève dans le monde actuel.

Les discussions se sont déroulées dans le cadre du 14e Séminaire régional d’Afrique australe sur le droit international humanitaire (DIH), événement annuel co-organisé par le ministère des Relations internationales et de la Coopération (DIRCO) de l’Afrique du Sud et le CICR. Ce séminaire rassemblait cette année des représentants de l’Afrique du Sud, de l’Angola, du Botswana, des Comores, du Kenya, du Lesotho, de Madagascar, du Malawi, de Maurice, du Mozambique, de la Namibie, de la République démocratique du Congo, des Seychelles, du Swaziland, de la Zambie et du Zimbabwe afin qu’ils examinent l’état actuel des ratifications et de la mise en œuvre du DIH dans leur pays.

Le thème central de la réunion était « Les 150 ans des Conventions de Genève ». Des experts gouvernementaux, des représentants du CICR, des membres de groupes de réflexion locaux, des universitaires et un juge de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples se sont adressés aux participants. Ensemble, ils ont fait le bilan de la mise en œuvre des Conventions de Genève en Afrique australe, en accordant une attention particulière aux solutions africaines en matière de répression des crimes de guerre et à la pertinence des Conventions de Genève par rapport aux nouvelles technologies de guerre.

État de la mise en œuvre des Conventions de Genève en Afrique

On entend par « mise en œuvre des Conventions de Genève » toutes les mesures prises pour parvenir au plein respect des règles que contiennent ces conventions. Ces mesures vont du travail du législateur à l'élaboration de politiques, en passant par l'incorporation des dispositions de ces instruments dans le droit interne. Un bilan de la mise en œuvre des Conventions de Genève en Afrique a révélé que si tous les États africains ont ratifié les Conventions de Genève et la plupart ont ratifié les Protocoles additionnels I et II, beaucoup doivent encore ratifier le Protocole III, qui reconnaît le cristal rouge en tant qu'emblème additionnel du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Les participants ont en outre noté que de nombreux pays africains ont une législation nationale dans laquelle sont intégrées les dispositions des Conventions de Genève, mais que, précisément, cette intégration ne concerne en général que les Conventions elles-mêmes et non leurs Protocoles additionnels. Le CICR a encouragé les États à revoir leur situation en matière de mise en œuvre de ces instruments, et de nombreux participants ont indiqué que la ratification du Protocole additionnel III était une priorité pour leur pays.

Des Conventions toujours pertinentes

Le paysage des conflits a considérablement changé depuis 1864. Dans son allocution d'ouverture, M. Pitso Montwedi, qui assume le poste de directeur à la Direction des droits de l'homme et des affaires humanitaires, au sein du DIRCO, a parlé de l'évolution du champ de bataille en ces termes : « Les guerres d'aujourd'hui ont peu en commun avec les batailles du XIXe siècle. Les combats ont progressivement migré de champs de bataille clairement définis vers des zones habitées. La guerre traditionnelle entre les armées d'États adverses est devenue l'exception, alors que les conflits non internationaux sont devenus la norme. De plus en plus, de nos jours, les principales victimes des conflits armés sont les civils. »  

Jürg Eglin, chef de la délégation régionale du CICR à Pretoria, a demandé aux participants si les Conventions de Genève demeuraient pertinentes aujourd'hui. Il a noté : « La réponse est un oui clair et net. Ce qu'il faut, c'est développer et mettre en œuvre ce corpus de droit et, à cet égard, nous pouvons faire bouger les choses. »

Le séminaire visait à analyser les changements intervenus. Ainsi, les participants ont débattu de l'impact des nouvelles technologies dans le contexte de la guerre, ainsi que des conséquences de certaines armes d'un point de vue humanitaire. Au sujet de l'impact de la technologie des drones et de la cyberguerre, par exemple, Umesh Kadam, conseiller juridique régional du CICR, a indiqué qu'aux termes de l'article 36 du Protocole I additionnel aux Conventions de Genève, toutes les nouvelles armes doivent respecter les principes de base du DIH régissant leur mise au point et leur emploi. Les participants ont ainsi reconnu que malgré l'évolution marquée du paysage de la guerre, les changements ne se produisent pas dans un vide juridique et les principes essentiels énoncés dans les Conventions de Genève restent applicables. Ils ont conclu que compte tenu de cette évolution, il fallait continuer à rappeler aux pouvoirs politiques la pertinence du DIH et des Conventions.

Les conséquences humanitaires des armes nucléaires, l'appel au désarmement nucléaire et l'intérêt que présentent ces questions pour l'Afrique ont figuré parmi les questions examinées. Les participants ont estimé que les pays africains ne devraient pas être tenus à l'écart du débat parce que l'Afrique est la plus vaste région du monde exempte d'armes nucléaires. S'il est vrai qu'aucun pays africain n'est engagé dans la mise au point d'armes nucléaires, l'Afrique est dans la chaîne d'approvisionnement des matériaux nécessaires pour fabriquer de telles armes. La probabilité d'une explosion nucléaire en Afrique est certes relativement faible, mais, s'il s'en produisait une, aucun État ne serait à l'abri des conséquences qu'elle aurait sur le plan humanitaire. Les participants ont réfléchi à l'utilité de l'élaboration, par l'Union africaine, d'une position commune qui mettrait l'accent sur l'intérêt de cette question pour l'Afrique et appellerait au démantèlement des stocks actuels d'armes nucléaires.

Les violences sexuelles, un défi pour le DIH

Les violences sexuelles constituent l'un des défis les plus marquants auxquels soit confronté le DIH – quant à sa portée et son application – dans les conflits armés contemporains. Bien qu'elles soient interdites par le droit international, il s’en commet toujours pendant les conflits. La violence sexuelle comprend un certain nombre d'actes sexuels faisant intervenir la force, la menace de la force ou la coercition. Si de nombreux pays ont déjà érigé le viol en crime, on en compte peu qui se soient dotés d'une législation criminalisant d'autres actes de violence sexuelle.

La violence sexuelle dans les conflits armés est un crime tout à fait particulier en ce sens qu'il peut avoir des conséquences dévastatrices pour la victime, sa famille et l'ensemble de la communauté. Parce qu'elle a des effets d'une portée aussi vaste, il est difficile pour un État de répondre aux besoins des victimes, qu'il s'agisse de soins médicaux d'urgence ou de soutien psychologique et juridique. À cet égard, les participants ont exprimé l'avis qu'il était important d'instituer en temps de paix des procédures qui permettent de s'attaquer à ces problèmes en cas de conflit armé. Il faudrait notamment ériger en crimes toutes les formes de violence sexuelle et mettre en place des structures d'aide aux victimes telles que centres de conseil ou associations de soutien. Afin de pouvoir prévenir les violences sexuelles, les États participants ont été encouragés à se doter de mécanismes visant à sauvegarder les intérêts des communautés vulnérables et à lutter contre les risques d'exposition à des violences sexuelles.

Les résultats du séminaire

De nombreux pays d'Afrique australe savent bien ce qu’est un conflit armé. Cependant, du temps ayant passé depuis les guerres de libération, de nombreux participants régionaux qui travaillent sur des sujets de DIH le font dans un contexte d’intérêts divergents. Ce séminaire a servi à donner une réalité plus proche à des questions qui semblaient lointaines, et les participants ont convenu de mesures visant à renforcer la mise en œuvre du DIH dans leur région – notamment établir un dialogue structuré, « de pair à pair », entre les commissions nationales de droit international humanitaire, et porter les questions de DIH devant les parlements nationaux et les organismes multilatéraux compétents.

Les participants ont en outre souligné l'utilité d'un dialogue entre les commissions nationales de droit international humanitaire et les organismes régionaux, en particulier le Secrétariat de la Communauté de développement de l'Afrique australe et la Commission de l'Union africaine.

En ce qui concerne la question de départ – les Conventions de Genève restent-elles pertinentes aujourd'hui ? –, la réponse a été un oui catégorique. Comme l'a relevé Pitso Montwedi  : « La guerre moderne engendre toutes sortes de problèmes, mais la guerre peut être vaincue. Et la prévention est un des moyens efficaces d'y parvenir. »