Article

Libye : le conflit entrave la lutte des agriculteurs contre le changement climatique

L’exploitation d’Ali Ebrahim à Awiniya, au sud-ouest de Tripoli, en Libye, n’est plus que l’ombre d’elle-même.

La terre est desséchée, parsemée de figues flétries par le manque d'eau, d'amandes asséchées et de vignes calcinées.

« J'ai tout perdu et j'ai dû tout recommencer à zéro. Avant, j'avais du bétail, mais les dures années que nous traversons m'ont contraint à arrêter l'élevage. Je n'arrive pas à nourrir et abreuver les animaux, car les pâtures ont été asséchées par la désertification et l'absence de pluies. J'ai été obligé d'arrêter », explique Ali, abattu.

Cette situation difficile est partagée par de nombreux agriculteurs à Awiniya, dont les revenus sont tributaires des récoltes de blé et d'orge, ainsi que des fruits et des amandes.

Une agriculture productive et durable constitue l'un des outils les plus efficaces pour éradiquer l'extrême pauvreté, mais le conflit sape les efforts entrepris par des exploitants tels qu'Ali. Le conflit a obligé de nombreux agriculteurs à quitter leur foyer et abandonner leur exploitation.

CICR

C'est trop tard pour le verger

Lorsqu'il est revenu après sept ans de déplacement, Ali n'a rien pu faire pour sauver ce qu'il restait de son verger jadis luxuriant.

Les effets du changement climatique ont exacerbé le problème.

« J'ai commencé à planter des arbres, comme si c'était ma première année d'activité, mais après trois années consécutives de sécheresse, les arbres n'ont pas poussé ni fleuri à cause des conditions climatiques difficiles. »

Il est impossible de creuser des puits dans le terrain accidenté de ce village de montagne, et le seul réservoir d'eau dont les agriculteurs dépendaient autrefois en cas d'urgence pendant les périodes de sécheresse a été détruit lors des violents combats qui ont frappé Awiniya en 2011.

Comme beaucoup d'autres paysans, Ali n'a pas les moyens d'acheter de l'eau pour son exploitation et sa maison, cela lui coûterait trop cher. Il ne peut pas non plus dépendre de l'eau de pluie, vu les faibles précipitations enregistrées à la saison des pluies.

Les effets du changement climatique

Le réchauffement climatique soumet la Libye à des phénomènes climatiques extrêmes tels que des tempêtes de sable et de poussière de plus en plus ravageuses, la hausse des températures et la sécheresse. Plusieurs années de conflits incessants ont fortement ébranlé la capacité d'adaptation du pays, tandis que les ressources nécessaires à l'atténuation des risques liés au changement climatique sont utilisées pour faire face aux conséquences à court et long terme du conflit prolongé.

Le Dr. Jalal Al-Qadi, du centre de recherche agricole de Misrata, évoque encore un autre risque alors qu'il nous fait part de ses inquiétudes face au manque de ressources :

Les précipitations ont été extrêmement faibles entre octobre 2020 et octobre 2021. Les quelques jours de pluie intense que nous avons connus pendant cette période n'ont pas suffi pour les cultures. Les intenses précipitations pendant pas plus de quatre ou cinq jours créent des bassins qui s'évaporent rapidement, ne laissant pas le temps à l'eau de pénétrer dans le sol.


Selon le Dr. Al-Qadi, les répercussions se font d'ores et déjà ressentir sur les marchés locaux : « Le choc se reflète par exemple dans le prix de l'huile d'olive qui a triplé au cours des deux dernières années en raison de la baisse de production résultant de la faible pluviométrie. Il est urgent d'investir dans les terres arables. »

En quête d'une production alimentaire améliorée

Le CICR travaille en collaboration avec le centre de recherche agricole de Misrata et la faculté agriculture de l'Université de Misrata pour permettre aux communautés rurales vulnérables touchées par le conflit ou accueillant des personnes déplacées à Misrata d'améliorer leur production alimentaire à un niveau qui instaure à long terme un environnement stable de sécurité économique et garantisse des moyens de subsistance durables.

Le CICR soutient notamment les producteurs en les aidant à accéder à des services agricoles efficaces (analyse du sol, contrôle de la fertilité des sols, soutien technique pour la récolte) et en permettant la formation d'ingénieurs spécialisés dans l'analyse des sols et le conseil en fertilité des sols.

« Le changement climatique nécessite une préparation importante. Il est crucial de sensibiliser le plus grand nombre sur le danger de ce phénomène », conclut le Dr. Al-Qadi.

Des exploitations à l'abandon

Dans un pays majoritairement désertique, dont les terres arables représentent moins de 2 % de la superficie, de plus en plus de paysans abandonnent leurs exploitations en raison du manque de ressources en eau. Parallèlement, le rendement de l'agriculture pluviale est dangereusement bas à cause des épisodes de sécheresse.

Les violentes précipitations provoquent régulièrement des inondations sur les routes et dans les rues des centres-villes. Parfois, les inondations font des morts, causent des dégâts économiques considérables et détruisent les récoltes. Les dommages dus aux inondations sont d'autant plus importants que les infrastructures de drainage du pays ont été endommagées voire détruites par le conflit. La multiplication des inondations pourrait aggraver le taux d'érosion du littoral, ce qui aurait un impact grave sur les infrastructures situées sur la côte. Il est également probable qu'elle augmenterait l'intrusion saline, avec des répercussions sur les nappes phréatiques et la productivité des sols.

Dans la comparaison internationale, la Libye figure parmi les nations les moins préparées aux aléas climatiques. Le conflit a rendu le pays particulièrement vulnérable à la variabilité du climat en raison de sa faible capacité d'adaptation qui, à son tour, accentue l'impact des catastrophes naturelles. Selon la Banque mondiale, les ressources limitées en eau, associées à la sécheresse et à la pauvreté des sols, limitent sévèrement la production, ce qui force le pays à importer environ 75 % de la nourriture nécessaire pour couvrir les besoins locaux.