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Libye : un centre de santé poursuit sa mission sur la ligne de front

« Les affrontements sont un gros problème. Les bombardements ont eu lieu près d’ici à plusieurs reprises. Tout commence à trembler autour de nous, et il nous faut fermer [le dispensaire] et partir en courant. De jour en jour, le conflit devient plus intense. Nous vivons dans la peur, ne sachant pas à quel moment un obus pourrait s’abattre sur nous tous », déclare le Dr Wijdan Sabri.

Le Dr Sabri travaille au centre de soins de santé primaires Khaled Ben Al-Walid, à Abou Salim, l'une des municipalités de la capitale libyenne. Située à moins de deux kilomètres des lignes de front du sud de Tripoli, la municipalité d'Abou Salim est durement touchée par les hostilités. Mois après mois, des personnes chassées de leur foyer par les combats ont trouvé refuge à Abou Salim qui compte aujourd'hui plus de 16 000 familles déplacées, disséminées dans des centres d'accueil collectifs, hébergées chez des proches ou vivant dans des installations de fortune.

Ces derniers mois, les affrontements ont gagné les quartiers sud d'Abou Salim, dont tous les habitants sont aujourd'hui vulnérables aux échanges de feux. Alors que le fracas des tirs d'artillerie se fait entendre au loin, des enfants jouent à l'extérieur de maisons criblées d'impacts de balles. Les parents craignent non seulement pour la sécurité de leurs enfants, mais aussi pour la leur, en ces temps de conflit et de pandémie de COVID-19.

Le docteur Sabri et l'équipe du dispensaire Khaled Ben Al-Walid se trouvent ainsi en première ligne de l'intervention sanitaire d'urgence, recevant à la fois des patients nouvellement déplacés qui souffrent de maladies chroniques et des personnes blessées lors des combats en cours.

« Notre établissement compte plusieurs services ambulatoires, dont chacun accueille entre 300 et 400 patients par mois », déclare le Dr Sabri. « Parfois, pendant les périodes de combats intenses et de nouveaux déplacements, nous voyons arriver jusqu'à 700 patients ; comment un établissement sous-équipé comme le nôtre pourrait-il faire face ? Nous souffrions depuis longtemps d'un manque de ressources, et il était déjà bien difficile d'obtenir même les choses les plus simples, comme des masques et des gants ».

 

Depuis 2011, le système de santé libyen est mis à mal : les phases successives du conflit, la pénurie de personnel médical qualifié et l'insuffisance du financement ont conjugué leurs effets et l'ont fragilisé. Avant la dernière série de combats et l'afflux continu de déplacés, plus d'un demi-million de personnes nécessitaient déjà une assistance dans le domaine de la santé ; aujourd'hui, alors même que les ressources s'amenuisent, les besoins augmentent et les structures de soins de santé primaire sont soumises à une pression accrue.

Plus de la moitié des 15 centres de soins d'Abou Salim ont dû fermer à cause des combats en cours. Les établissements restants – dont le dispensaire Khaled Ben Al-Walid – ont dû intensifier leur activité, malgré le manque de fournitures et d'équipement. L'afflux soudain de blessés par arme au Centre de traumatologie d'Abou Salim non seulement draine les énergies d'un personnel médical débordé, mais il risque aussi d'épuiser les ressources matérielles déjà limitées de l'ensemble du système de santé de la municipalité.

De fait, pour le dispensaire Khaled Ben Al-Walid – l'un des rares établissements de santé désignés centres de référence pour les cas suspects de COVID-19 –, la pandémie n'a fait que venir s'ajouter au cycle démoralisant des besoins sans fin et des moyens de plus en plus limités.

La pandémie de COVID-19 constitue un défi de plus à relever au quotidien. Beaucoup de membres de notre personnel – qui, pour la plupart, sont eux-mêmes des déplacés – ont peu à peu quitté la ville de Tripoli, faute de pouvoir payer des loyers devenus exorbitants. Ils ne travaillent donc plus dans nos établissements

dit le Dr Sabri.

« D'autres, alarmés par la grave pénurie d'équipements de protection individuelle et le manque de formation aux mesures de prévention, ont pris congé afin d'éviter d'attraper le virus et de contaminer leurs proches. »

Pour permettre à toutes les équipes médicales d'Abou Salim de continuer à fournir en toute sécurité des services aux populations déplacées et résidentes, le CICR soutient six établissements de santé de la municipalité – dont le dispensaire Khaled Ben Al-Walid – en leur fournissant depuis un an du matériel et des fournitures.

Le Dr Sabri et ses collègues continuent, envers et contre tout, de se présenter à leur poste de travail.

« Après quelque 400 jours de combats, nous vivons tous dans la peur. Un obus, un projectile ou une roquette pourraient frapper à tout moment », déclare le Dr Sabri. « C'est notre plus grand souci. Bien sûr, la mort est ce que chacun redoute le plus, mais ici c'est bien pire : nous risquons de mourir déchiquetés, en lambeaux. Ce n'est pas facile pour nous de continuer de vaquer à nos tâches quotidiennes. La situation est vraiment stressante, sur le plan personnel, psychologique et professionnel ».