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Milena Osorio, psychologue au CICR : « La santé mentale peut sauver des vies »

Lorsque Milena Osorio est arrivée au CICR, début 2008, l’organisation menait huit programmes axés sur la santé mentale et le soutien psychosocial (MHPSS) à travers le monde. Près de 13 ans plus tard, ce chiffre s’élève à 240, une évolution qui ravit Milena Osorio, coordinatrice de ces programmes et responsable enthousiaste d’une équipe de 130 personnes.

Les origines du programme MHPSS du CICR remontent à 2002-2003. À l'époque, l'équipe chargée d'apporter un soutien aux familles des personnes disparues dans le cadre du conflit des Balkans accueillait pour la première fois un psychologue.

Milena, qui a grandi en Colombie, a découvert très jeune sa vocation pour l'action humanitaire.

Après avoir achevé mes études en psychologie clinique, j'ai obtenu en 1997 un poste de psychologue chez Médecins Sans Frontières. J'y suis restée 12 ans, travaillant la plupart du temps dans des zones de conflit parmi les plus dangereuses de la planète.

Attirée par le mandat du CICR, qui consiste à apporter une protection humanitaire aux victimes de conflits armés et d'autres situations de violence, Milena a entamé son parcours à la Croix-Rouge en tant que déléguée MHPSS à Tbilissi, en Géorgie. Elle y a mis sur pied l'un des premiers programmes de soutien aux familles de personnes portées disparues, qui a ensuite été rapidement étendu à l'Arménie et à l'Azerbaïdjan.

« Si en Géorgie, en Arménie, en Azerbaïdjan et au Népal, l'essentiel de nos programmes de santé mentale et soutien psychosocial portait sur l'accompagnement des familles de personnes portées disparues, en République démocratique du Congo, l'accent était mis sur le soutien aux victimes de violences sexuelles. Les activités menées dans tous ces pays ont clairement démontré combien il était important d'intégrer la santé mentale et le soutien psychosocial dans nos services, comme facteur d'acceptation. »

En 2013, Milena a été transférée au siège du CICR, à Genève, où son travail consistait à former et guider les désormais nombreuses équipes MHPSS œuvrant sur le terrain. Et en 2016, elle est devenue coordinatrice du programme de santé mentale et de soutien psychosocial du CICR.

Un microcosme de la société

Souvent entourée de secret et marquée du sceau de la stigmatisation, la santé mentale a gagné en visibilité ces dix dernières années. Ce changement, nous l'avons constaté également au CICR. « Les programmes MHPSS ne sont plus considérés de façon cloisonnée, mais comme une composante qui vient renforcer notre action sur le terrain. En fait, comme nous avons pu l'établir scientifiquement, fournir des services de santé mentale et de soutien psychosocial peut sauver des vies. »

Milena nous explique également que son équipe a adopté une approche de gestion axée sur les résultats, qui a permis de mettre davantage l'accent sur la réalisation des objectifs fixés.

Milena avec ses collègues, après l'adoption d'une résolution visant à répondre aux besoins en matière de santé mentale et de soutien psychosocial lors de la XXXIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Aussi remarquable et passionnant qu'il ait pu être, le chemin parcouru n'a pas été sans écueils. La difficulté majeure, selon Milena, est de parvenir à nouer des relations avec les communautés dans le contexte culturel dans lequel elles sont le plus en confiance. « La dernière chose que nous voulons c'est d'être considérés comme des praticiens d'une médecine occidentale imposant une perspective extérieure aux communautés. Ce que nous apportons, c'est une expertise technique. Tout le reste est fonction de la culture locale et tient compte des besoins locaux. En République démocratique du Congo, il est ressorti de notre évaluation initiale que les personnes victimes de violences sexuelles demandaient souvent à des chefs religieux d'exécuter des rituels de purification pour les débarrasser de la "malédiction" dont elles se pensaient frappées. Du coup, nous avons intégré ces chefs religieux dans notre réseau de soutien, non seulement pour leur faire passer des messages visant à déstigmatiser les violences sexuelles, mais aussi pour les encourager à nous adresser les personnes nécessitant un soutien psychologique ou psychosocial. »

Grâce à sa flexibilité, l'équipe a su s'adapter à la culture locale, ce qui lui a permis d'instaurer une relation de confiance avec les communautés et, à partir de là, d'incorporer ses programmes dans le tissu local.

Un effort collectif

Si au cœur de nos programmes MHPSS il y a toujours les personnes que nous essayons d'aider, nos relais pour fournir le soutien peuvent varier selon le contexte, en fonction de l'infrastructure sanitaire existante.

Notre priorité est de renforcer les capacités locales. Nous ne procédons pas par substitution, nous cherchons plutôt à former différents membres et groupes de la communauté, notamment les chefs communautaires, les guérisseurs traditionnels, les enseignants, les professionnels de la santé et d'autres premiers intervenants.

Dans le travail avec les familles des personnes disparues, il s'avère que ce sont les familles elles-mêmes qui créent les réseaux de soutien les plus efficaces. « En plus de la douleur insoutenable de ne pas savoir ce qu'il est advenu de leurs proches disparus et d'être constamment tiraillées entre espoir et désespoir, ces familles doivent surmonter de nombreuses difficultés juridiques, financières et administratives pour obtenir l'aide dont elles ont besoin. Nous essayons de mettre en place un écosystème où elles peuvent nouer des liens entre elles et agir ensemble. C'est ce partage d'expériences concrètes qui permet souvent de trouver les solutions les plus utiles. C'est un très bel exemple qui montre bien comment un problème perçu comme très complexe peut être résolu à l'aide de solutions simples. »

 

 

La force d'aller de l'avant

La résilience des personnes face à l'adversité est selon Milena l'aspect le plus marquant de son travail. « Nous avons tous la faculté de surmonter les difficultés et les imprévus que la vie nous réserve. C'est cette capacité à faire face et à se montrer résilient qui est vraiment remarquable. Je suis impressionnée de voir ce que les gens peuvent endurer et comment ils parviennent à s'en sortir malgré tout. »

Cette qualité, Milena a pu la retrouver chez toutes les personnes avec lesquelles elle a travaillé au plus fort de la crise au Darfour. « Comme les gens devaient régulièrement fuir de chez eux, ils avaient du mal à survivre. Tous les matins, des pères et des mères se réveillaient avec pour unique objectif d'aller chercher de l'eau et du bois pour leur famille. Souvent, après une journée harassante, ils retournaient chez eux pour trouver leur habitation dévastée. Il n'y avait aucun espoir réel d'un avenir meilleur, mais ils ne perdaient pas pour autant leur sourire. Ils continuaient à aller chercher de l'eau pour leurs enfants et à se rassembler le soir autour du petit feu qu'ils avaient mis tant d'efforts à préparer toute la journée. Et aussi, ils n'oubliaient jamais de nous offrir le peu de nourriture qu'ils avaient. »

Malgré les épreuves, quelque chose leur donnait la force d'aller de l'avant.

En cas de traumatisme extrême, il arrive que les gens perdent leur capacité à puiser dans cette force cachée. Mais si on les aide à la retrouver, des choses merveilleuses peuvent se produire. C'est là que naissent les plus beaux récits de résilience.

Se préserver soi-même avant toute chose

La pandémie de Covid-19 a montré une fois de plus combien il est important de fournir au personnel médical et aux spécialistes de la santé mentale l'appui dont ils ont besoin pour gérer le stress extrême associé à leur travail. Cette activité pouvant être épuisante émotionnellement, les membres de l'équipe MHPSS sont eux aussi encouragés à se préserver et à veiller à rester en bonne santé.

Notre première règle est de ne jamais oublier que pour pouvoir offrir le meilleur soutien possible, il faut soi-même être en forme.

Outre sa pratique assidue du yoga, Milena veille à rester connectée autant que possible aux réalités du terrain. « C'est l'un de mes meilleurs mécanismes d'adaptation. »

Mais la situation peut devenir difficile pour l'équipe, en particulier en raison des ressources limitées et des besoins énormes. Jusqu'à présent, le fait de garder cette cohésion d'équipe et de pouvoir compter sur un système d'accompagnement efficace leur a été utile. « Il sera intéressant de voir comment nous allons pouvoir renforcer encore davantage ce réseau de soutien à l'avenir. »

Combler la fracture numérique

Évoquant la hotline mise en place à Gaza et d'autres dispositifs similaires créés en raison de la pandémie, Milena explique que du moment que les programmes MHPSS sont fondés sur la proximité, remplacer les gens par des solutions en ligne n'est pas à l'ordre du jour. « À la place de cela, nous allons chercher à tirer parti des possibilités qu'offrent ces nouveaux outils (qui nous permettent par exemple d'avoir accès à des personnes inatteignables physiquement et d'offrir un certain niveau d'anonymat) et à intégrer des solutions numériques appropriées dans nos programmes. »

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76-85 % des personnes
100 000 personnes
500 000 personnes

Les bases de l'action MHPSS

  • Prévoir un soutien psychologique dès la première phase des opérations d'aide dans les situations d'urgence humanitaire
  • Inciter les États et les institutions humanitaires à tout mettre en œuvre pour aider les systèmes de santé à répondre rapidement aux besoins en matière de santé mentale et de soutien psychosocial
  • Offrir des services de soutien psychologique adaptés au contexte culturel
  • Lutter contre la stigmatisation, l'exclusion et la discrimination touchant les personnes ayant des besoins en santé mentale
  • Investir dans des équipes professionnelles de qualité