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Niger : Ibrahim repart sur ses deux jambes

Le rêve européen d'Ibrahim a été brisé le jour où des malfrats lui ont fracassé la jambe pour lui voler ses maigres économies. Laissé trop longtemps sans soins, il a finalement dû être amputé, ce qui l'a plongé dans la dépression et le désespoir. Dans son malheur, Ibrahim a eu la chance de rencontrer un jour un collaborateur du CICR, grâce auquel il a pu bénéficier d'un programme de réadaptation physique dans son Niger natal. Aujourd'hui, Ibrahim réapprend à marcher et sa vie prend une tournure toute différente.

Raguiba, petite bourgade, à 50 km de Sebha, dans le sud de la Libye, une région de transit pour des milliers de migrants africains subsahariens. La plupart y restent quelques semaines ou quelques mois, le temps de se faire quelques économies avant de poursuivre leur route vers les villes côtières, ou encore plus au nord, vers l'Europe. Ibrahim lui, y vit depuis trois ans. Comme des milliers d'autres migrants, il a trouvé un petit travail : vendeur à l'étalage. L'argent gagné, jalousement épargné doit servir au voyage. Les dépenses sont parcimonieuses ; il partage une petite pièce avec sept autres congénères. « On ne pouvait pas se permettre le luxe de tout dépenser dans le loyer », explique-t-il. Comme ses compagnons, il a fui la pauvreté et le manque d'opportunités économiques dans son pays, le Niger.

En ce mercredi d'avril 2014, tout va pourtant basculer. « Nous étions habitués au harcèlement des milices », raconte Ibrahim. Dans la Libye de l'après-guerre, les forces armées ou de police officielles sont quasiment inexistantes. Les milices font la loi, et le racket et les violences contre les migrants sont monnaie courante.

Alors, lorsque quatre individus, armés de fusils mitrailleurs font irruption dans la pièce exiguë qui leur sert de dortoir pour les dépouiller, les infortunés refusent de s'exécuter. « Ils nous criaient de leur donner tout notre argent et nos biens de valeur, se souvient Ibrahim. De notre part, ce n'était pas de la témérité, mais une résistance vitale. Nous avons tenté de les repousser et c'est à ce moment qu'ils se sont soudainement mis à tirer en rafales ». Ibrahim sera touché à la jambe. Transféré à Benghazi, dans le nord-est du pays, il ne recevra pas les soins appropriés. C'est finalement par l'intermédiaire de l'ambassade du Niger à Tripoli qu'il sera évacué dans son pays d'origine.

Entre-temps, sa blessure s'est aggravée. Sous le bout de tissu qui lui sert de pansement, se dégage une odeur de plus en plus forte, laissant peu de doutes sur l'état de la blessure. « J'étais tellement soulagé d'être de retour dans mon pays ; pour moi tout allait de nouveau bien se passer », poursuit Ibrahim. À l'Hôpital national de Niamey où il est transféré, la mine des médecins qui l'examinent est pourtant loin de le rassurer. « Quand ils m'ont annoncé qu'il fallait m'amputer, j'étais effondré. Perdre ma jambe était juste quelque chose que je n'arrivais pas à accepter. Faute de diplômes ou de compétences particulières, je ne pouvais compter que sur mon physique pour m'en sortir. Alors comment allais-je faire sans ma jambe ? » Résigné, Ibrahim n'a d'autre choix que d'accepter l'inacceptable. Sa jambe est amputée au niveau de la cuisse, et le pire est encore à venir.

« Je me suis senti diminué physiquement et amputé dans ma dignité d'homme ; j'avais honte de moi et de ma nouvelle vie. Guéri de ma blessure, je traînais aux alentours de l'hôpital. Je ne pouvais me résigner à rentrer chez moi au village. Je dormais à la mosquée de l'hôpital, vivant de la charité de ceux qui me prenaient en pitié. Je voyais la vie suivre son cours, mais je me sentais en marge. Je ne sais pas combien de temps j'aurais tenu comme ça », conclut-il les yeux embués.

Finalement l'espoir renaît au hasard d'une rencontre avec un membre de l'équipe du CICR qui met en œuvre, conjointement avec l'Hôpital national de Niamey, un programme de réadaptation physique. « Il a écouté mon histoire et m'a expliqué ce qu'ils faisaient pour les personnes amputées. J'étais assez dubitatif ; je savais bien qu'on ne pouvait pas me rendre ma jambe et, pour être honnête, j'avais perdu tout espoir. »

Pour Abderahmane Banoune, chef de projet du programme de réadaptation physique du CICR au Niger, le cas d'Ibrahim est loin d'être singulier. « Le pire, c'est que ce type de handicap n'est pas que physique. La personne meurt à petit feu : l'impression d'être marginalisé, inutile et de constituer un poids pour la famille et la société est tenace et compromet toute resocialisation, explique-t-il. La réadaptation physique aide à reconstruire les individus, tant physiquement que mentalement. »

Ibrahim est donc pris en charge par le CICR. Admis au centre de réadaptation physique, il reçoit une prothèse, et grâce aux séances de rééducation, il fait ses premiers pas avec sa nouvelle jambe. « Ce n'est pas très simple, mais je fais de gros progrès et bientôt je marcherai normalement sur mes deux jambes », se réjouit-il soulagé. Plus qu'une jambe, c'est une nouvelle vie que le centre lui a donné.

Depuis juin 2012, date à laquelle le CICR a commencé à soutenir le centre de réadaptation physique de l'Hôpital de Niamey, pas moins de 949 personnes, dont 57 victimes d'accidents de mines, ont été prises en charge. Au total, 412 patients ont bénéficié d'un appareillage orthopédique.