Article

Niger : au centre orthopédique, on reconstruit aussi des vies brisées

Depuis 2012, le CICR soutient le centre d'appareillage orthopédique de l'hôpital de Niamey au Niger. Alors que le conflit dans la région de Diffa se poursuit, le nombre de patients provenant de cette région ne fait que croître. Maimouna, Abakar et Issoufou racontent le jour où leur vie a basculé.

Maimouna

« Je suis nigérienne, mais j'habitais près de Maiduguri au Nigéria lorsque c'est arrivé. J'étais enceinte de quatre mois. L'insécurité dans cette région, ce n'est pas nouveau : la crainte d'une attaque est toujours présente. Mais il faut bien travailler pour vivre. J'ai 32 ans et une grande famille. Ce matin-là, comme tous les autres jours, nous étions aux champs quand des coups de feu ont retenti brusquement. Vite, courir, aller chercher les enfants, fuir... Quand j'ai reçu une balle dans le bras, je me suis évanouie. » Transportée d'urgence à l'hôpital de Maiduguri, Maimouna se réveille dans la souffrance.

« J'étais morte de douleur. On m'a dit qu'il n'y avait rien à faire pour sauver mon bras, qu'il fallait l'amputer. J'étais désespérée. Je me suis sentie diminuée physiquement et psychologiquement, et surtout, inutile. J'étais incapable de travailler pleinement et d'aider à subvenir aux besoins de ma famille. J'avais l'impression d'être devenue un poids pour tout le monde. »

De retour au Niger, lors d'une visite de routine au centre hospitalier régional de Diffa, une bonne nouvelle tombe, enfin. « L'équipe médicale du CICR m'a annoncé qu'on pourrait me transférer à Niamey pour compléter les soins. Ici, au centre d'appareillage orthopédique, nous sommes nombreux à porter les traces du conflit. Certains, comme moi, ont été blessés par balle. D'autres par l'explosion d'une mine ou de restes explosifs de guerre. J'ai perdu mon bras, mais je suis toujours en vie. Avec cette prothèse, la rééducation et le soutien de ma famille, je peux commencer à me reconstruire. »

Abakar

Centre d'appareillage orthopédique de l'hôpital de Niamey au Niger. Abakar se familiarise avec sa nouvelle jambe lors de séances de rééducation. CC BY-NC-ND / CICR

« J'ai 58 ans et je suis agriculteur dans la région de Diffa au Niger. Les champs, c'est notre première source de subsistance. On ne peut pas s'en passer. Mais la famille, c'est important aussi. Alors quand mon frère est mort, j'ai pris la route pour aller à ses funérailles, dans l'État de Borno au Nigéria. Ce jour-là, la ville a été attaquée. Les habitants savaient où fuir pour trouver refuge. Moi non, ce n'est pas chez moi. J'ai couru sans savoir où aller, et une balle m'a atteint au genou. Le sang giclait et la douleur m'a fait tomber. Finalement, lorsque le calme est revenu, on m'a transporté à l'hôpital de Diffa, de retour au Niger. Je ne sentais plus mon pied, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. Les médecins ont dû amputer ma jambe droite et la douleur a enfin cessé. »

Après cette courte sensation de délivrance, Abakar réalise son état et les obstacles qu'il va devoir affronter. « Je ne pouvais plus cultiver mes champs comme avant. Pour me déplacer, je m'appuyais sur un bout de bois. C'était très dur. Et un jour, un de mes parents m'apprend que le CICR peut m'aider, que la Croix-Rouge ne fait pas que distribuer de la nourriture, de l'eau et des bâches pour les déplacés, mais qu'elle prend aussi en charge les blessés. »

Transporté au centre de Niamey avec cinq autres patients, Abakar apprend à marcher avec une prothèse. Et même plus : « Avec les séances de rééducation, je m'approprie ma nouvelle jambe. Maintenant, je m'amuse même à esquisser des pas de danse ! »

Issoufou

« On dirait que la mort me suit partout. Et pourtant, je suis encore en vie. J'habitais à Baga, au nord-est du Nigéria lorsque la ville a été attaquée. J'étais un commerçant riche et prospère. Avec la violence, j'ai tout perdu. Des parents proches ont été tués. Mon commerce est parti en fumée. Nous avons dû fuir avec ma famille et retourner au Niger d'où nous sommes originaires. Nous dépendions de la solidarité de nos proches et de l'aide humanitaire. Nous manquions de tout, mais nous avons reçu de l'aide. Alors j'ai voulu donner en retour et je suis devenu volontaire de la Croix-Rouge. »

Un mois à peine après son retour, Issoufou part rendre visite à des parents à une trentaine de kilomètres. « Alors que la région était calme, ce jour-là, j'ai de nouveau vu l'apocalypse, comme à Baga – la ville était attaquée. Dans ma course, j'ai été touché à la jambe par une balle. On m'a transféré à l'hôpital de Diffa, avec la jambe broyée et ma vie qui ne tenait plus qu'à un fil. On m'a sauvé, mais j'y ai laissé ma jambe. Cette incapacité physique signifiait que je n'avais plus de travail. Je n'avais plus de moyens de nourrir ma famille. Alors être pris en charge au centre de Niamey et recevoir une prothèse, c'est une lueur d'espoir. C'est la voie pour retrouver une place digne dans la société. »

Le centre d'appareillage orthopédique de l'hôpital de Niamey, rénové par le CICR en 2012, accueille des patients venus de toutes les régions du Niger et fournit des prothèses, orthèses et aides à la marche. Les conflits avec les touarègues au Nord (1990, 2006), les conflits intercommunautaires dans la région de Tillabéry et le récent conflit dans la région de Diffa ont entraîné une augmentation du nombre de patients dans ce centre. Les services d'appareillage orthopédique contribuent à préserver la dignité des personnes vivant avec un handicap, en leur permettant de retrouver leur mobilité et en les aidant à se réinsérer dans la vie sociale active et parfois même économique. Le CICR fournit au centre les composants et les matières premières nécessaires à la fabrication d'orthèses et de prothèses.

Le CICR facilite aussi la formation de techniciens orthopédistes et kinésithérapeutes en étroite collaboration avec le Fonds spécial en faveur des handicapés (FSH) du CICR, basé à Lomé pour l'Afrique de l'Ouest (francophone). En 2015, l'appui technique et financier apporté par le CICR au centre d'appareillage orthopédique de l'hôpital national de Niamey a permis l'admission et la prise en charge de plus de 540 patients.