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Région du Lac Tchad : Yacoob, 6 ans, capturé par des hommes armés

L'histoire de Yacoob ressemble à celle de beaucoup d'autres enfants vivant dans la région du lac Tchad. Un matin, des hommes armés ont attaqué son village situé dans l'état de Borno, au nord-est du Nigéria. Ces hommes ont capturé par la suite une vingtaine d'habitants du village, dont Yacoob.

L'attaque

« A la maison, j'ai beaucoup d'amis et beaucoup de jouets » *Yacoob Idriss, 6 ans, originaire du village de Doron Baga, dans l'état de Borno, au nord-est du Nigéria, se souvient avec nostalgie.

« Le village a été attaqué un matin, pendant que je jouais à cache-cache avec des amis. On a entendu des pleurs, des cris et d'autres bruits assourdissants que je ne comprenais pas. Les gens couraient, il y avait du feu partout. J'étais toujours dans ma cachette, sous une natte ».

Yacoob s'est retrouvé dans un groupe d'une vingtaine de personnes tombées aux mains des groupes armés. « J'ai cherché ma famille dans le groupe. Je me sentais seul au monde, je cherchais un visage connu, mais il n'y avait personne.». Résigné, il s'abandonna au destin.

Il y avait beaucoup d'autres enfants, des garçons et des filles. Ils n'avaient pas le droit de jouer au ballon ou avec les poupées. Yani Koura*, une maman qui était chargée de les surveiller, leur enseigna que « jouer avec les poupées est haram (prohibé), ainsi que jouer avec un ballon pour les garçons ». Il leur était interdit de jouer à ces jeux dans le village. De plus, filles et garçons devaient toujours être séparés. « Il faudra respecter cela tout le temps », répétait Yani Koura.

Yacoob jouait avec son « pistolet », fait de tiges de mil et de caoutchouc. Cela lui rappelait les attaques auxquelles il avait assisté, des images qui restent à jamais ancrées dans sa mémoire d'enfant.

« On jouait aussi souvent en groupe. On nous distribuait des rôles. Le mien était toujours celui du cheval du roi. Je me mettais à quatre pattes comme ça (démonstration...), pour porter celui qui jouait le rôle de l'Émir. On nous a appris qu'il était protégé et qu'il ne pouvait pas mourir », explique Yacoob.

« Les autres enfants jouaient des rôles de combattants. Tous les jours, avant de jouer, nous devions répéter l'alphabet arabe. Nous nous asseyions par terre, au pied d'un grand arbre, devant notre mallam (maitre coranique) ». Celui-ci dirigeait aussi la prière à laquelle les enfants assistaient, rangés derrière les plus âgés. « Le mallam ne souriait jamais et il avait un bâton à la main avec lequel il frappait les enfants qui commettaient des erreurs ». En racontant cela, Yacoob regarde, inquiet, tout autour de lui, comme s'il était encore dans le camp.

Puis un jour, environ sept mois plus tard, c'est un bombardement aérien de l'armée qui a mis fin à son calvaire. « On entendait des détonations et des tirs et les gens fuyaient sans avoir où ils allaient ».

Fuite au Niger

Yacoob a suivi une femme qui avait déjà neuf autres enfants et qui est devenue par la suite sa tutrice. Ils ont atteint la ville de Maiduguri, puis celle de Hadéja avant de se réfugier à N'Guigmi, au Niger. « Elle était ma seule famille et elle m'aimait beaucoup ».

Apprenant son histoire, le CICR a enregistré le petit garçon pour l'aider à retrouver sa famille. Son dossier a été transmis aux collègues des Croix-Rouge de la région du Lac Tchad. Les difficultés d'accès à certaines localités et les déplacements fréquents de populations à cause du conflit et de l'insécurité grandissante n'ont pas facilité les recherches de la famille.

Finalement, après avoir visité de nombreux de sites de déplacés, les équipes de la Croix-Rouge du Tchad ont fini par localiser les parents du petit garçon dans le camp de Dar-Salam.

Yacoob retrouve les siens

Aujourd'hui est un autre jour et Yacoob rayonne : il va retrouver sa famille après plus d'une année d'angoisse. Tous ce temps passé sans savoir ce qui était arrivé à ses parents et ses frères et sœurs a été très difficile. Malgré les paroles d'espoir de sa tutrice, la crainte du pire ne l'a jamais quitté.

« Un matin, j'ai été réveillé par des cris de joie. Ma tutrice m'a pris la main et les gens de la Croix-Rouge m'ont annoncé la nouvelle : on avait retrouvé mes parents. Lorsque le monsieur de la Croix-Rouge m'a tendu le téléphone et m'a dit : « C'est ta maman », j'ai pleuré. » La voix de Yacoob au téléphone était tremblante et à peine audible.

Nous avons ensuite montré au petit garçon des photos de sa famille et il s'est mis à citer un par un les noms de ses frères et sœurs. Puis avec un sourire il a posé le doigt sur une photo et demandé le nom du bébé que portait sa maman : un petit frère né après la séparation.

Au moment de partir pour le Tchad, Yacoob était partagé entre la joie de retrouver sa famille et la peine de se séparer de sa tutrice et de ses amis. Il a quitté sa petite case en banco (terre séchée) pour partir retrouver les siens dans le camp de Dar-Salam au Tchad.

 

*prénom d'emprunt