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Entre Congo et Rwanda, une photojournaliste et deux petites filles entourées d'amour

Il y a deux ans, en République démocratique du Congo, la photojournaliste Nadia Shira Cohen avait rencontré et accompagné deux petites orphelines, réunies par le CICR avec leur grand-mère au Rwanda. Elle n'a jamais oublié les fillettes et a décidé de les retrouver pour découvrir ce qu'elles étaient devenues.

Les deux orphelines portent encore les robes rouge et rose que je leur ai achetées il y a deux ans. Aujourd'hui, leurs vêtements sont sales et tombent en lambeaux et leur cabane en torchis, éclairée seulement par la mince flamme d'une bougie, tombe en ruines. Toutefois, un élément me réconforte, et c'est le plus important dans cette histoire : les filles sont entourées d'amour, ça saute aux yeux.

Wa-Jali, au Rwanda, où vivent maintenant chez leur grand-mère les deux petites, Philomène et Jeanne Françoise. CC BY-NC-ND / CICR / Nadia Shira Cohen

Il y a deux ans, je riais tout haut quand Jeanne Françoise et Philomène ont vu une douche couler pour la première fois. Elles ont probablement allumé et éteint la lumière de la chambre d'hôtel cent fois cette nuit-là, s'émerveillant de la manière dont ça marchait. À l'époque, j'étais là lorsqu'une équipe du CICR avait rapatrié les deux fillettes – alors âgées de 8 et 10 ans – pour les confier à leur grand-mère maternelle, qui vivait au Rwanda. J'espérais qu'elles allaient avoir une vie meilleure.

À la maison, le soir. Marie et ses petites-filles s'éclairent seulement quand il y a assez d'argent pour acheter du pétrole. CC BY-NC-ND / CICR / Nadia Shira Cohen

Elles ont toutes deux grandi au Congo-Brazzaville, leurs parents ayant fui le génocide au Rwanda en 1994. Malgré ces débuts déjà difficiles, les choses n'ont fait qu'empirer. D'abord, leur mère est morte en couches, puis leur père est décédé des suites du sida. Elles ont ensuite été placées dans une famille d'accueil qui leur a mené la vie dure et pourrait certainement être qualifiée d'abusive.

Traitées comme des domestiques, elles étaient fréquemment battues. Elles devaient souvent se lever à 5 heures du matin pour aller aux champs chasser les chauves-souris et les empêcher de manger la récolte d'oignons. Elles devaient faire la lessive et la vaisselle, le ménage et la cuisine. Enfin, leurs parents adoptifs leur mentaient sur le sort qui leur serait réservé si elles retournaient au Rwanda, afin de les maintenir en esclavage.

Philomène et Jeanne Françoise aident leur grand-mère à ramasser du bois. CC BY-NC-ND / CICR / Nadia Shira Cohen

Je me souviens avoir ressenti un mélange de curiosité et d'espoir en voyant Jeanne Françoise et Philomène retrouver leur grand-mère, Marie Mukambabazi. Aujourd'hui, deux ans plus tard, j'ai décidé de revenir pour voir comment la famille s'en sort. Bien que leur vie soit simple, que la nourriture soit peu abondante et que l'argent manque cruellement, je suis heureuse de constater qu'elles vont bien.

Jeux dans la cour avec des cousins et amis. CC BY-NC-ND / CICR / Nadia Shira Cohen

Ces robes rouge et rose que, malgré les trous et l'usure, elles ont portées les quatre jours qu'a duré ma visite, m'ont fait comprendre à quel point l'argent leur fait défaut. Pas de combustible non plus pour les lampes de fabrication maison. Cette pauvreté matérielle m'a d'abord attristée au plus haut point, jusqu'à ce que je commence à entrevoir les liens qui s'étaient tissés entre la grand-mère et les fillettes.

Philomène montre ses manuels scolaires à sa grand-mère. CC BY-NC-ND / CICR / Nadia Shira Cohen

Il saute aux yeux que les filles sont riches de l'une des choses les plus importantes qu'un enfant puisse recevoir : l'amour. En plus de cette affection, elles bénéficient de l'encadrement qui leur manquait auparavant. Par ailleurs, elles savent désormais que la vie ne se résume pas à une succession de corvées. La danse et les jeux font à présent partie de leur quotidien. Marie, la grand-mère célibataire qui s'est portée volontaire pour accueillir les filles, s'est retrouvée à nouveau mère à 72 ans. Malgré son incapacité à travailler et ses très mauvaises conditions de vie, elle s'efforce de donner aux filles tout ce qu'elle peut.

Les deux soeurs sur le chemin de l'école. CC BY-NC-ND / CICR / Nadia Shira Cohen

Les filles vont à l'école où elles étudient en kinyarwanda et en anglais. Leur professeur, Niyonzima Vedaste, m'a assuré qu'elles étaient bonnes élèves. Compte tenu de la situation financière de la famille, il est vrai qu'elles ont de la chance de pouvoir fréquenter l'école. Lorsque les filles ont fait leur rentrée, les enseignants et les parents se sont réunis et ont décidé de les dispenser des 120 dollars de frais de scolarité annuels. Philomène, 12 ans, rêve de devenir professeur de kinyarwanda, la langue maternelle de sa mère, tandis que Jeanne Françoise, 10 ans, veut être médecin.

Philomène et Jeanne Françoise Avec leurs camarades, dans la classe de 2ème primaire. CC BY-NC-ND / CICR / Nadia Shira Cohen. 

Les recherches menées par le CICR pour retrouver la trace des deux jeunes filles ont été laborieuses, mais Marie est heureuse qu'elles aient abouti. « Grâce aux filles, j'ai retrouvé la joie de vivre après tant d'années », m'a-t-elle confié. Quand les deux sœurs sont arrivées, cela n'a cependant pas tout de suite été facile, notamment pour les faire obéir. Elles se battaient souvent et on voyait qu'elles n'avaient pas eu l'occasion d'apprendre à manifester leurs sentiments. « Je joue avec elles, nous plaisantons et nous rions, explique Marie. C'est de ça que les enfants ont besoin. »

Jeux avec des amis et cousins. CC BY-NC-ND / CICR / Nadia Shira Cohen

Ma visite de suivi m'a convaincue que la décision de les rapatrier du Congo-Brazzaville était la bonne. En tant que mère, je ressens de la tristesse pour la mère de Jeanne Françoise et de Philomène, qui aurait probablement aimé voir les jeunes femmes remarquables que ses filles sont en train de devenir. Toutefois, je me console en me disant qu'elle serait soulagée de savoir qu'elles sont enfin de retour à la maison.

CC BY-NC-ND / CICR / Nadia Shira Cohen

 

Voir aussi le reportage de Nadia Shira Cohen sur Aljazeera, réalisé lorsque les deux petites filles ont été réunies avec leur grand-mère, il y a deux ans :

Reunited in Rwanda - Twenty years after genocide, a grandmother discovers two granddaughters she didn't know she had