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Pourquoi est-il urgent de mettre un terme aux attaques contre les soins de santé?

Protection des personnels de santé et personnels humanitaires dans les conflits. Déclaration du président du CICR, Peter Maurer.

C’est pour moi un honneur de prendre la parole devant vous ce matin, et je remercie la France d’avoir organisé cette réunion importante.

Depuis la dernière fois que je me suis adressé au Conseil sur ce sujet, les attaques brutales contre les blessés et les malades, les personnels de santé, les ambulances et les installations médicales se sont poursuivies sans relâche.

Nous risquons de voir se créer une « nouvelle norme » : trop nombreux sont les acteurs qui tentent de légitimer ces actes, les présentant comme des dommages collatéraux et non comme des violations odieuses.

La question que nous devons nous poser aujourd’hui est « où est la volonté urgente d’y mettre fin ? »

Comment ne pas être alarmé par la régularité et la brutalité des attaques dont le CICR est témoin – commises tant par des forces armées étatiques que par des groupes armés non étatiques ?

Nous connaissons tous la longue liste des attaques et des meurtres perpétrés en République centrafricaine, en Syrie et en Afghanistan. Les pertes subies sont tragiques, et elles se répètent avec une régularité effrayante dans la plupart des conflits où le CICR est à l’œuvre, notamment au Nigéria, aux Philippines, en Libye, au Soudan du Sud, en Syrie, en Irak et au Yémen.

Les attaques contre les soins de santé ont des conséquences durables, des répercussions qui se font sentir longtemps après les morts, les blessures et les souffrances immédiates.

Elles peuvent entraîner l’effondrement de systèmes de santé tout entiers : des populations qui subissent déjà un conflit armé doivent de surcroît subir une crise sanitaire ; faute d’un système de santé qui fonctionne, elles continuent à souffrir inutilement. Des services de santé essentiels sont dans l’incapacité de faire face aux besoins. Il devient, dès lors, impossible de réaliser l’objectif de la couverture sanitaire universelle et les objectifs de développement durable liés à la santé.

Le moyen le plus efficace de prévenir ces terribles souffrances est sans aucun doute un plus grand respect du droit international humanitaire et du principe d’humanité. La responsabilité de respecter ce droit incombe aux parties aux conflits armés elles-mêmes.

De plus, tous les États ont l’obligation de le faire respecter, y compris dans le cadre du Conseil, et d’exercer leur influence sur les pratiques de leurs partenaires et alliés militaires.

La communauté internationale dispose d’un plan d’action clairement défini sous la forme, entre autres, des recommandations du Secrétaire général des Nations Unies et de l’initiative « Les soins de santé en danger » du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Les États Membres doivent maintenant transformer en mesures concrètes les engagements de la résolution 2286.

Quelques progrès ont certes été accomplis, notamment par le biais de réseaux diplomatiques à Genève et à New York, mais il reste encore beaucoup à faire, et de toute urgence.

Le CICR lance un appel à l’action qui s’articule autour de six axes clés :

  • Premièrement, nous devons arriver à mieux cerner le problème. Il est essentiel pour cela de collecter systématiquement des données fiables. Si l’attention s’est portée sur les attaques dévastatrices commises en Syrie, nous savons qu’en de nombreux endroits ce type d’événement n’est pas documenté et passe donc inaperçu des décideurs.
    Le CICR est prêt à collaborer avec les États et les organismes compétents des Nations Unies en vue de la mise en place de mécanismes plus efficaces. Il faut pouvoir se fonder sur des données objectives si l’on veut garantir la neutralité, l’impartialité et la non-politisation des débats menés, des décisions prises et des mesures appliquées dans ce domaine. 
  • Deuxièmement, nous demandons instamment à tous les États et toutes les parties aux conflits armés de revoir attentivement et sans délai leur doctrine, leurs procédures et leur pratique militaires de telle sorte que les soins médicaux soient protégés lors de la planification et de la conduite des opérations.
    Les États doivent prendre toutes les mesures qui sont en leur pouvoir pour qu’il en soit de même chez leurs alliés, surtout dans le cadre des opérations militaires conjointes et multinationales. Engagements diplomatiques et déclarations n’ont de sens que s’ils sont appliqués concrètement par les forces armées des acteurs concernés et de leurs alliés sur le terrain.
  • Troisièmement, les États devraient réexaminer leur législation et leur pratique nationales pour s’assurer que la fourniture des soins médicaux est impartiale en toutes circonstances, conformément au droit international humanitaire et à l’éthique médicale.
    Les personnels de santé doivent être libres de dispenser leurs soins en toute impartialité, sans être contraints d’enfreindre la déontologie médicale, ni menacés ou détenus pour avoir agi conformément aux principes éthiques de leur profession.
  • Quatrièmement, j’encourage les États à prendre l’initiative de rendre compte des efforts qu’ils déploient pour mettre en œuvre la résolution 2286. Ils devraient soutenir, par une assistance technique ou financière, l’application de mesures concrètes en ce sens par les autres acteurs dans le cadre de leurs opérations bilatérales et multilatérales.
  • Cinquièmement, j’invite les États, chaque fois que le CICR soulève ces problèmes, à engager avec lui un dialogue bilatéral confidentiel et opérationnel en vue de modifier les pratiques et les comportements de leurs forces armées et de leurs alliés.
    La somme d’énergie dépensée pour refuser ne serait-ce qu’une conversation confidentielle visant à établir les faits et leur interprétation juridique est vraiment déplorable.
  • Enfin, le Conseil devrait constamment réaffirmer – à l’unanimité et sans ambiguïté – que la violence contre les soins de santé n’est jamais acceptable.

 Nous connaissons les solutions, nous avons les outils, et nous avons le soutien de nombreux acteurs. Ce qui nous manque et dont nous avons un urgent besoin, c’est la volonté politique.      

Petit-déjeuner ministériel sur le thème « Protection des personnels de santé et personnels humanitaires dans les conflits » organisé par la Mission permanente de la France le 31 octobre 2017, à New York