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Pourquoi le CICR dialogue-t-il avec les groupes armés ?

Les groupes armés du monde entier jouent un rôle important dans les opérations du CICR. En 2022, nous avons répertorié 524 groupes armés dont les agissements peuvent avoir des conséquences sur notre action humanitaire dans le monde. Ces groupes contrôlent ou influencent des régions où vivent environ 175 millions de personnes.

Pour comprendre les besoins humanitaires des habitants de ces régions et y répondre, le CICR tente d'instaurer un dialogue avec les groupes armés et d'évaluer les services humanitaires auxquels les gens ont accès.

Il est important, pour le CICR, de mieux comprendre les groupes armés et de dialoguer avec eux. Matthew Bamber-Zryd, conseiller du CICR pour les groupes armés, nous explique pourquoi en répondant aux quatre questions suivantes.

En quoi le rôle des groupes armés dans les opérations du CICR est-il important ?

Le CICR a pour mandat d'alléger et de prévenir les souffrances des personnes touchées par des conflits armés et la violence, où qu'ils se manifestent, y compris dans les zones sous le contrôle ou l'influence de groupes armés. Dans ces zones, la vie peut être particulièrement difficile pour les civils, dont les besoins humanitaires et de protection peuvent être accrus. En tant qu'organisation humanitaire, nous adoptons une approche neutre et impartiale et nous dialoguons avec toutes les parties à un conflit armé. Nous ne prenons pas position : l'assistance que nous fournissons se fonde uniquement sur les besoins humanitaires et nous discutons avec tout le monde pour souligner combien le respect des règles humanitaires est important. C'est la seule façon d'obtenir la confiance de toutes les parties, qu'il s'agisse de gouvernements ou de groupes armés.

Avec combien de groupes armés le CICR dialogue-t-il ?

En 2022, le CICR a répertorié 524 groupes armés qu'il est important de prendre en compte dans notre travail humanitaire. Nous étions en contact avec les deux tiers d'entre eux. Nous travaillons dans des contextes très dangereux et plus nous dialoguons avec les groupes armés, plus ils nous connaissent, nous comprennent, nous font confiance et nous laissent travailler, plus notre personnel est en sécurité et plus il est facile de répondre aux besoins des populations civiles touchées.

Ce travail est-il secret ?

Absolument pas. Le dialogue avec les groupes armés fait partie du mandat humanitaire officiellement confié au CICR par tous les États signataires des Conventions de Genève et le dialogue humanitaire avec toutes les parties à un conflit est une pratique généralement reconnue et établie. Bien que nous ne puissions pas évoquer de façon détaillée nos discussions avec les groupes armés, car elles sont très sensibles, nous nous attachons toujours à ce que tout le monde comprenne que c'est ainsi que le CICR travaille. Lorsque nous rencontrons les autorités gouvernementales, par exemple, nous sommes clairs et transparents concernant cette approche. Il est très important pour nous que toutes les personnes à qui nous devons rendre des comptes comprennent que nous dialoguons avec les groupes armés pour des raisons purement humanitaires. Sans ce dialogue, le CICR ne serait pas en mesure d'atteindre toutes les personnes souffrant à cause d'un conflit ou d'une situation de violence.

Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés lorsque vous dialoguez avec des groupes armés ?

Les défis auxquels nous sommes confrontés sont nombreux. Par exemple, il peut y avoir plusieurs groupes armés actifs dans une même région, et nous devons parler à tous si nous voulons mener notre action humanitaire en toute sécurité. Tous les ans, des groupes se divisent, de nouveaux sont créés et d'autres disparaissent. Cela signifie qu'il est toujours difficile de savoir exactement quels groupes armés sont actifs dans une zone déterminée et quelle est la meilleure façon de dialoguer avec eux. Il est important pour nos équipes de suivre de très près ces évolutions et de connaître les groupes armés présents dans chaque zone.

Une autre difficulté réside dans le fait que la nature de nos contacts avec les groupes armés et les raisons pour lesquelles nous les établissons sont mal comprises. Dans certains cas, les autorités se méfient de toute forme de contacts avec les groupes armés, même lorsque les raisons en sont purement humanitaires. Il existe partout dans le monde des obstacles juridiques entravant le dialogue avec les groupes armés, ce qui complique notre travail. Par exemple, les activités humanitaires devraient être exclues du champ des mesures de lutte contre le terrorisme, mais ce n'est souvent pas le cas.

Début 2021, le CICR a réussi à acheminer 135 tonnes d'aide humanitaire en République centrafricaine (RCA). Cela pourrait sembler une tâche facile pour une organisation humanitaire, mais le pays connaissait à l'époque une flambée de violence qui avait entraîné le déplacement de plus de 276 000 personnes[1]. Les besoins humanitaires augmentaient rapidement et, l'accès à la région étant limité à cause de l'insécurité, aucun convoi d'aide humanitaire n'était en mesure d'atteindre les populations sans une escorte armée.

Cela posait un problème car le CICR défend l'idée que le travail humanitaire doit être dissocié des opérations militaires visant à assurer la sécurité et à rétablir l'ordre dans les régions touchées par un conflit[2]. Le dialogue est toujours notre premier choix pour nous faire accepter et garantir notre capacité à travailler dans des zones où des conflits sont actifs. Ibrahima Tounkara, qui était alors chef de la sous-délégation du CICR à Bouar, en RCA, l'explique bien :
« Nous avions un objectif : négocier un accès humanitaire sans restriction avec les groupes armés. Les négociations étaient longues et difficiles, mais lorsqu'il s'agit de faire circuler ses convois dans des territoires en guerre, le CICR a une règle d'or non négociable : nous voulons des garanties de sécurité. Le message que nous avons fait passer est que l'accès humanitaire doit être garanti, ainsi que notre sécurité[3] », détaille-t-il.

Il rappelle que la dynamique du conflit était complexe. « Nous étions sous pression et la situation était tendue. Les discussions étaient très longues. Mais il fallait veiller à rester diplomatiques. Mon expérience au Sahel, dans le bassin du lac Tchad et en République centrafricaine m'a enseigné deux choses : le dialogue avec les groupes armés est extrêmement important, et c'est le CICR, en tant qu'institution, qui mène ce dialogue avec les groupes armés. C'est l'institution qui s'exprime, pas les individus. Il est important de faire cette distinction et de se rappeler que ces échanges ne sont pas transactionnels. [En vertu du droit international humanitaire[4]], c'est aux groupes armés qu'il incombe de garantir l'accès humanitaire[5] ».

C'est en suivant ces règles d'or qu'Ibrahima Tounkara a réussi à garantir au CICR l'accès humanitaire dont il avait besoin pour acheminer les 135 tonnes d'aide destinées à plus de 276 000 personnes. Il a fallu 12 jours au convoi pour parcourir environ 400 kilomètres, sans aucune escorte armée.

Ce n'est là qu'un des nombreux résultats obtenus par le CICR au fil des ans suite aux efforts déployés pour établir et maintenir le dialogue avec les groupes armés dans le monde entier. Nous y parvenons grâce à des professionnels qualifiés qui s'engagent à respecter nos principes humanitaires. Ils sont dotés de connaissances et d'outils précieux — notamment notre rapport annuel sur les dialogues engagés avec les groupes armés — qui les aident à assurer la sécurité du personnel et des opérations du CICR.

1   République Centrafricaine : Rapport de situation , 2 mars 2021 | ReliefWeb

2   Le CICR et le recours à des gardes armés

3   République Centrafricaine : le récit de la négociation ayant permis l'acheminement de 135 tonnes d'aide

4   Idem

5   Armed escorts to humanitarian convoys: An unexplored framework under international humanitarian law | International Review of the Red Cross (icrc.org)