Déclaration

Renforcement de la coordination de l'aide humanitaire d’urgence fournie par les organismes des Nations Unies, 2014

Renforcement de la coordination de l'aide humanitaire et des secours en cas de catastrophe fournis par les organismes des Nations Unies, y compris l'assistance économique spéciale : renforcement de la coordination de l'aide humanitaire d'urgence fournie par les organismes des Nations Unies.

Assemblée générale des Nations Unies, 69e session, Séance plénière, déclaration du CICR, New York, le 11 décembre 2014

 Au fil des ans et grâce à la mise en place de mécanismes de coordination plus efficaces, à l'adoption de lignes directrices claires et au progrès apporté par les nouvelles technologies, le secteur humanitaire a pu mieux répondre aux besoins et aux attentes des groupes vulnérables. Ces dernières années, la nécessité de préserver la dignité en toutes circonstances a aussi été réaffirmée à maintes reprises dans différentes enceintes et via l'adoption et la ratification d'instruments juridiques internationaux d'importance majeure, dans le domaine du droit international humanitaire notamment.

Mais malgré tous ces progrès, les perspectives restent sombres du point de vue des civils touchés par les conflits armés. 2014 a été une année record en nombre de personnes déplacées par un conflit ou d'autres formes de violence armée : ce nombre aurait, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, dépassé les 50 millions. Malgré l'augmentation significative des fonds consacrés à l'aide humanitaire, qui sont passés de 12,4 milliards de dollars américains en 2007 à 22 milliards en 2013, le fossé entre les ressources et les besoins s'est encore creusé. Dans le même temps, les problèmes d'accès, quelles qu'en soient les raisons, ont souvent privé des millions de personnes du minimum qui aurait pu leur être fourni en termes d'assistance et de protection humanitaires.

Alors qu'on compte déjà un grand nombre de conflits qui durent depuis des années, et même des dizaines d'années pour certains, de nouveaux conflits éclatent, marqués par de graves violations du droit international humanitaire : attaques sans discrimination, attaques dirigées contre des civils (y compris le personnel de santé), et destruction massive des infrastructures et des moyens de subsistance. Cela conduit à une fuite des travailleurs qualifiés, une situation de pauvreté chronique et de faibles perspectives de relèvement durable.

Pour que cette tendance négative puisse s'inverser, les États doivent mieux prévenir et résoudre les conflits, et améliorer l'assistance et la protection fournies aux personnes qui sont prises au milieu d'une situation de violence armée. Le rôle des acteurs humanitaires est limité à ce dernier aspect, et uniquement à titre subsidiaire.

Le CICR a pour mander d'œuvrer à la bonne application du droit international humanitaire. Le dialogue confidentiel qu'il entretient avec toutes les parties pour y parvenir est constant. Son objectif est non seulement d'instaurer la confiance pour faire accepter sa présence, mais aussi d'obtenir le respect des règles du droit humanitaire. Ces règles consacrent la protection indispensable qui doit être assurée aux civils. Pour que leur vie et leur bien-être soient mieux protégés, il faut notamment limiter les effets des hostilités, protéger les personnes à risque et réglementer la fourniture de l'aide humanitaire.

Même si c'est aux parties aux conflits qu'il incombe d'abord de respecter le droit international humanitaire, tous les États ont un rôle à jouer pour que ce soit fait. Un moyen d'y parvenir consiste à réfléchir à de nouvelles initiatives en vue de mettre en place des mécanismes efficaces de contrôle du respect des normes. C'est d'ailleurs un point important qui a été mis à l'ordre du jour de la prochaine Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui se tiendra fin 2015. Mais surtout, les États doivent faire montre d'un véritable engagement politique, en intégrant par exemple les règles humanitaires dans leur législation interne, et en assurant la formation de leurs forces armées et autres forces pouvant être amenées à exercer l'autorité en cas de conflit armé. Le CICR rappelle d'ailleurs à tous les États qu'en ratifiant les quatre Conventions de Genève de 1949, ils se sont tous légalement engagés à respecter et faire respecter ces instruments juridiques.

Pour pouvoir apporter une réponse adéquate aux besoins humanitaires que génèrent les conflits contemporains, du fait de leur ampleur et de leur complexité, il nous faut élargir notre action et compter sur la participation active d'un grand nombre d'acteurs.

Le CICR est prêt à dialoguer avec tous ceux qui travaillent dans le secteur humanitaire et du développement et qui contribuent activement et réellement à améliorer le sort des personnes touchées par les conflits. Nous avons aussi l'ambition d'œuvrer à la cohérence et à l'efficacité de l'ensemble de l'action humanitaire. Le but n'est pas de demander à tous les acteurs humanitaires qu'ils agissent de la même façon, mais plutôt de tirer profit des atouts propres aux uns et aux autres en respectant pleinement la mission et les compétences de chacun.

De l'avis du CICR, l'action humanitaire répondra mieux aux besoins si on préserve des mécanismes différentiés de coordination humanitaire qui permettront aux différents acteurs de travailler côte à côte dans une optique de complémentarité et de responsabilité collective. Pour nous, ce qui fait la force du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, c'est son réseau unique d'acteurs humanitaires présents partout dans le monde et sur le terrain, dont l'action est guidée par les mêmes Principes fondamentaux et qui ont accès aux personnes vulnérables et ayant besoin de protection et d'assistance, que ce soit à la suite d'un conflit armé, d'une catastrophe naturelle ou d'une autre situation. Disposant de compétences larges et variées, dans pratiquement tous les domaines de l'aide humanitaire, le Mouvement s'efforce d'améliorer ses propres mécanismes de coordination. Le CICR entend participer à cet effort en assumant un rôle moteur et en montrant l'exemple. Nous présenterons d'ailleurs un rapport détaillé sur nos progrès en la matière à la XXXIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, l'année prochaine.

La coordination humanitaire ne vaut que si elle se traduit par de réelles mesures de protection et d'assistance sur le terrain. Mais pour cela, les humanitaires doivent avoir accès aux personnes qui vivent dans des zones de conflit, et ils doivent pouvoir aussi dialoguer avec toutes les parties au conflit. C'est malheureusement de plus en plus difficile. Nous avons observé ces dernières années de grands changements dans la façon dont les conflits sont menés ; les travailleurs humanitaires envoyés sur le terrain, que ce soit par des organismes des Nations Unies, par le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ou des ONG locales ou internationales doivent faire face à des dangers accrus.

Cela vaut aussi pour le personnel médical. Au cours des deux ans et demi passés, le CICR a recensé 2 400 événements violents ayant touché du personnel médical ou des structures de santé dans 23 pays du monde. Des communautés entières ont ainsi été privées de services de santé essentiels. Le CICR et d'autres composantes du Mouvement ont abordé ce problème avec un certain nombre d'États, des associations médicales et d'autres parties prenantes. Il est encourageant de constater que la défense de cette cause a recueilli un large soutien et que des mesures sont prises sur plusieurs fronts dans le but d'améliorer la situation.

Les humanitaires sont bien conscients que leur travail dans les zones de conflit est dangereux en soi et qu'il y aura toujours des risques pour leur sécurité. Mais il est inacceptable qu'ils soient délibérément pris pour cibles quand ceux qui les visent ont des motivations politiques, militaires ou économiques. De tels actes sont des violations flagrantes du droit international humanitaire, et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les empêcher.

Les États ont donc l'obligation d'enquêter et de faire traduire en justice les auteurs présumés de ces actes. Ils doivent aussi s'efforcer de ne pas brouiller la ligne de démarcation entre les initiatives politiques et militaires d'une part et l'action humanitaire d'autre part. Ne pas le faire risque de politiser l'action humanitaire, de saper la confiance des parties au conflit dans cette action, et donc de compromettre davantage la sécurité et l'acceptation des travailleurs humanitaires et leur capacité à atteindre et à protéger les communautés touchées. Dans les environnements très hostiles, le CICR insistera sur la nécessité pour lui de maintenir et de mettre en avant ce qui fait de lui une organisation humanitaire à part car strictement neutre, indépendante et impartiale. C'est essentiel si nous voulons avoir accès aux victimes de tous bords.

Pour les organisations humanitaires, il n'existe pas d'approche standard en matière de gestion des risques pour leur sécurité. Certaines mettent l'accent sur la protection physique en optant pour des escortes armées, ou essayent d'intervenir depuis une distance prudente, en ayant recours à du personnel local, des sous-traitants privés ou des partenaires locaux pour la mise en œuvre de leurs programmes. Dans certains cas exceptionnels, le CICR a eu recours à certaines de ces méthodes, mais sa priorité est plutôt d'être bien accepté par toutes les parties afin de garantir la sécurité de son personnel. Nous sommes d'avis qu'aucun déploiement de technologie moderne ni aucune action « télécommandée » ne peut remplacer le contact direct et régulier avec les bénéficiaires de notre aide, les porteurs d'armes et les autorités contrôlant les zones dans lesquelles nous opérons. Le fait que nous soyons proches des communautés touchées nous permet de bien comprendre les besoins et les aspirations des personnes, leur état physique et psychologique et aussi les causes et les conséquences des problèmes de protection pouvant éventuellement surgir. Un contact étroit avec les forces armées et tous les groupes armés organisés concernés nous permet d'établir un dialogue confidentiel ; le CICR peut ainsi les sensibiliser aux problèmes humanitaires et leur demander de prendre des mesures correctives.

Construire et entretenir une telle acceptation est un effort constant. De l'expérience du CICR, le fait que nos opérations soient acceptées ne dépend pas seulement de notre respect des Principes fondamentaux, mais aussi de notre capacité à démontrer jour après jour que notre action est réellement utile aux personnes que nous aidons.

Les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge conduisent aussi leur action dans le respect des Principes fondamentaux du Mouvement ; elles sont les principales partenaires du CICR. Leurs volontaires sont souvent les premiers à arriver sur les lieux, et nous avons des preuves quotidiennes de l'engagement et du courage remarquables dont ils font preuve dans la conduite de leur mission humanitaire. Du fait de leur capacité opérationnelle unique et de leur excellente connaissance des conditions locales, les Sociétés nationales sont souvent des partenaires privilégiés pour les institutions des Nations Unies, surtout dans les zones à haut risque où les agences onusiennes sont mal acceptées et où elles ont du mal à opérer librement par manque de sécurité. Le CICR se félicite de cette coopération quand elle concourt à fournir des secours désespérément attendus, mais il rappelle combien il est important de ne pas trop faire pression sur les capacités de Sociétés nationales et surtout de ne pas faire diminuer l'acceptation dont elles jouissent en tant qu'organisations neutres. Pour cela, la coopération établie doit être adaptée afin de ne pas donner l'impression que les Sociétés nationales opèrent sous l'autorité des institutions des Nations Unies. Les gouvernements doivent aussi donner aux Sociétés nationales l'autonomie dont elles ont besoin pour mener à bien leur mission humanitaire en accord avec les Principes fondamentaux.

Partir du principe que l'accès va rester garanti aux acteurs humanitaires qui adhèrent aux principes humanitaires fondamentaux est de moins en moins vrai sur un grand nombre de fronts. Certains gouvernements voient l'action humanitaire comme une menace pour leur souveraineté, même si le droit humanitaire fait bien la distinction entre ce qui relève de la souveraineté des États et les impératifs de l'assistance humanitaire. De la même façon, certains acteurs non-étatiques soupçonnent les organisations humanitaires de servir des intérêts politiques ou militaires. Ils sont de plus en plus nombreux à remettre en question la validité de nos principes humanitaires ou l'approche qui devrait guider notre action. Dans tous ces cas, le résultat est que nous avons du mal à être acceptés et à être présents : des visas nous sont refusés ou d'autres obstacles administratifs nous freinent, nos tentatives pour contacter les décideurs n'aboutissent pas, des refus catégoriques nous sont opposés, nous empêchant de poursuivre notre action humanitaire indépendante, et notre personnel est même victime de menaces et de violence. Sachant combien les conséquences sont dures pour ceux qui dépendent de l'aide humanitaire, la communauté internationale doit impérativement redoubler d'efforts pour parvenir à un nouveau consensus politique en faveur d'une action humanitaire apolitique.

En conclusion, je veux dire que pour améliorer la protection et l'assistance humanitaire impartiale que nous nous efforçons de fournir, il est essentiel que les États, comme les acteurs humanitaires, reconnaissent la gravité de la situation, expriment à voix haute leurs préoccupations et engagent un dialogue constructif sur les solutions possibles. Nous espérons que le prochain Sommet humanitaire mondial sera l'occasion d'approfondir ce dialogue et qu'il débouchera sur des progrès tangibles. Le Sommet ne devrait pas se focaliser sur les questions techniques et périphériques, mais se concentrer plutôt sur les principaux facteurs de l'érosion actuelle de la mission humanitaire. En sa qualité d'acteur humanitaire neutre et indépendant, le CICR est prêt à participer activement aux discussions visant à définir de façon plus claire les objectifs et la pertinence de l'action humanitaire de demain.

L'année dernière, nous avons célébré le 150e anniversaire de la naissance du CICR et du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Cette année marque aussi le 150e anniversaire de la toute première Convention de Genève, qui a été adoptée dans le but d'améliorer le sort des blessés et malades pendant les guerres. Les conflits armés évoluant, les générations suivantes ont été amenées à faire progresser le droit humanitaire et à étendre la protection et l'assistance pour les victimes. Aujourd'hui, nous avons, ensemble, la responsabilité de prendre le relais.