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Somalie : plus de 20 ans de service à l’hôpital Keysaney de Mogadiscio

Le docteur Ahmed Mohamed a commencé à travailler à l'hôpital Keysaney de Mogadiscio en 1992, un an après la chute du régime de Siad Barre, qui a déclenché une période de guerre civile en Somalie. Depuis sa création, l'hôpital, géré par le Croissant-Rouge de Somalie, a pris en charge des milliers de personnes blessées au cours du conflit armé.

Vingt-trois ans après ses débuts à l'hôpital, le docteur Ahmed Mohamed – alias docteur Tajir – occupe à 56 ans le poste de chirurgien en chef ; son nom est aujourd'hui indissociable de l'hôpital. Les combats persistants du milieu des années 1990 se sont calmés, mais le conflit s'éternise dans certaines régions de Somalie. Il y a notamment des tirs sporadiques, des attaques et des attentats à la voiture piégée à Mogadiscio, dont un grand nombre de victimes sont soignées à Keysaney. Le 8 mai, en l'honneur de la Journée mondiale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le docteur Tajir nous a consacré un moment de son temps pour nous parler de lui.

Pour quelles raisons êtes-vous devenu chirurgien ?

Enfant, je voulais toujours être le meilleur. Je suis né dans une famille nomade et ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont soutenu dans mes études. J'ai été marqué par un événement dans mon enfance : nous étions allés rendre visite à un membre de notre famille qui avait été blessé par balle et se trouvait à l'hôpital. Malgré les efforts des médecins, il a succombé à ses blessures. C'est ce triste scénario qui m'a motivé à faire des études de médecine. J'étais déterminé à être un bon chirurgien et à sauver des vies. La Somalie avait besoin de médecins pouvant comprendre les gens et la culture.

Le docteur Ahmed Mohamed, alias Tajir, chirurgien en chef de l'hôpital Keysaney, opère un blessé par arme. CC BY-NC-ND/ICRC/Pedram Yazdi

Plus de 20 ans de service, c'est long. Qu'est-ce qui vous pousse à continuer ?

La violence et les attentats qui n'ont cessé de secouer la Somalie ont fait des milliers de blessés et engendré d'énormes besoins en assistance médicale. Il n'y avait pas suffisamment de médecins et j'ai choisi de rester au pays et de servir la communauté. C'est le visage des patients qui arrivent à l'hôpital qui me motive. Ce sont eux qui me permettent de ne pas fléchir et de garder le cap ; ce que je veux, c'est contribuer à améliorer leur existence.

Le Croissant-Rouge de Somalie soutient l'hôpital depuis 23 ans. Quel regard portez-vous là-dessus ?

Cela fait si longtemps que je travaille dans cet hôpital que j'ai le sentiment de faire partie du personnel du Croissant-Rouge de Somalie plus que toute autre chose. L'institution a pour mission de soulager la souffrance des gens en dispensant gratuitement des soins de santé de qualité. Le Croissant-Rouge de Somalie a permis à l'hôpital de travailler de façon indépendante, en se mettant au service de toutes les communautés, quelle que soit leur appartenance clanique, religieuse ou politique.

Le docteur Ahmed Mohamed, alias Tajir, examine un bébé lors de sa tournée quotidienne. CC BY-NC-ND/ICRC/Pedram Yazdi

Comment conciliez-vous vie de famille et exigences professionnelles ?

Ma famille me soutient dans mon travail. Cela fait 25 ans qu'ils sont derrière moi, et toute la réussite qui m'est attribuée, c'est grâce à leur soutien. À l'hôpital, je suis un médecin, tandis qu'à la maison, je suis un père, un oncle et un mari.

De quoi êtes-vous le plus fier après toutes ces années?

J'ai connu plusieurs réussites avec des patients, mais une de celles qui m'ont le plus bouleversé est d'avoir un jour sauvé la vie d'une femme enceinte qui avait des blessures par balle à l'abdomen. Le fœtus n'a pas pu être sauvé, mais, heureusement, la mère a survécu et a eu une seconde chance. Elle exploite aujourd'hui un petit commerce en ville et chaque fois que je la vois mener ses activités quotidiennes, c'est une leçon d'humilité pour moi.

La salle d'opération de Keysaney est toujours très animée : on y opère souvent des blessés par arme comme celui que l'on peut voir sur la photo. CC BY-NC-ND/ICRC/Pedram Yazdi

Étant donné les problèmes de sécurité, comment l'hôpital parvient-il à rester opérationnel avec la crainte constante d'être l'objet d'attaques ?

Les incidents sont très rares à l'hôpital du fait de notre neutralité et de notre impartialité. Nous sommes là pour dispenser des soins médicaux à ceux qui en ont besoin, indépendamment de leur origine ethnique ou de leur appartenance religieuse. Cette approche nous a permis de rester opérationnels en dépit de la situation. Chacun sait que l'hôpital Keysaney appartient à la communauté somalienne et qu'il est géré par une institution indépendante.

Quelles sont vos plus grandes difficultés ?

La plupart de nos difficultés sont liées à notre capacité d'intervention face à des situations d'urgence. Nous manquons de chirurgiens qualifiés et nos réserves de sang sont insuffisantes Dans beaucoup de situations, c'est un double handicap, mais il est difficile d'y remédier. Malgré nos moyens limités, nous faisons de notre mieux pour faire face aux situations d'urgence et sauver des vies.

Le laboratoire et la banque de sang de l'hôpital Keysaney. L'hôpital a dispensé des soins ambulatoires à 1 314 enfants âgés de moins de 10 ans. En outre, 30 enfants blessés par arme ont été admis au cours de la même période. CC BY-NC-ND/ICRC/Pedram Yazdi

Hôpital Keysaney : faits et chiffres

Depuis 1992, l'hôpital a admis près de 180 000 patients et pris en charge plus de 84 000 blessés par arme. Le nouveau bloc opératoire construit par le CICR en 2014 a permis de renforcer la capacité d'intervention de l'établissement dans des situations d'urgence.

En 2014, l'hôpital Keysaney a :

  • admis 2 633 patients, au total, dont 555 blessés par arme ;
  • effectué 2 081 opérations chirurgicales ;
  • pris en charge 5 795 personnes dans son service des urgences ;
  • géré 6 272 rendez-vous en consultations externes.



Un radiologue de l'hôpital Keysaney prend en charge un enfant. CC BY-NC-ND/ICRC/Pedram Yazdi

Toutes les photos : CC BY-NC-ND/ICRC/Pedram Yazdi

Un membre du personnel médical de l’hôpital Keysaney montre du doigt l’emblème du Croissant-Rouge de Somalie.

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Le docteur Ahmed Mohamed, alias Tajir, chirurgien en chef de l’hôpital Keysaney, opère un blessé par arme.

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Le docteur Ahmed Mohamed, alias Tajir, examine un bébé lors de sa tournée quotidienne.

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La salle d’opération de Keysaney est toujours très animée : on y opère souvent des blessés par arme.

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Le laboratoire et la banque du sang de l’hôpital Keysaney.

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Un radiologue de l’hôpital Keysaney prend en charge un enfant.

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