Soudan du Sud : prévenir la faim et réduire la malnutrition
Les déplacements, l'insécurité, les inondations et de nombreux autres problèmes empêchent beaucoup de Soudanais de produire ou d'obtenir de quoi s'alimenter. Ces problèmes sont aggravés par la reprise des combats qui ont déplacé des milliers de personnes, les empêchant de cultiver leurs terres et leur coupant l'accès aux marchés. Marijka Van Klinken est nutritionniste. Elle nous explique en quoi a consisté l'action menée par le CICR jusqu'à présent.
Que fait le CICR face à l'insécurité alimentaire ?
Dans sa lutte contre l'insécurité alimentaire, le CICR donne la priorité à la prévention, son assistance devant améliorer la sécurité alimentaire de la population avant que celle-ci ne connaisse la malnutrition, et dans les cas où il y a déjà malnutrition, à en réduire la prévalence autant que possible et à augmenter la résilience de la population. L'action préventive du CICR consiste donc à distribuer des vivres dans les situations d'urgence et à fournir aussi des semences quand une solution durable est possible et envisageable. À ce jour, le CICR a déjà distribué plus d'un million de rations alimentaires pour un mois dans plusieurs des régions les plus touchées du pays, et il a également fourni des semences et des outils à près de 400 000 personnes. Du fait de la récente intensification des combats et de l'augmentation de l'insécurité, l'accent devra nécessairement être mis à court terme sur l'aide d'urgence et la distribution de rations alimentaires.
Comment procède le CICR dans de tels cas ?
Au Soudan du Sud, des distributions de rations alimentaires ont été effectuées sur la base de notre évaluation des besoins, mais aussi en fonction de l'accès que nous avons pu avoir à la population et de nos capacités logistiques. Nous effectuons actuellement des largages aériens dans deux zones. Dans nos paniers alimentaires, nous mettons des aliments de base comme du sorgho et des haricots, et de plus petites quantités de sucre, de sel et d'huile. Chaque panier contient suffisamment de nourriture pour couvrir les besoins essentiels d'une famille de six personnes pendant un mois, avec un apport d'environ 2 300 kilocalories par personne et par jour. Les quantités prévues pour chaque article ainsi que le contenu du panier peuvent être revus pour tenir compte de l'évolution des besoins.
Pour évaluer l'impact de nos interventions, nous utilisons les données collectées dans le cadre des études SMART (suivi et évaluation normalisés des secours et de la transition) conduites par le CICR et d'autres organisations humanitaires qui y apportent leur concours. Ces études mesurent la prévalence de la malnutrition chez les enfants à partir de plusieurs indicateurs parmi lesquels le poids, la taille, l'âge et la mesure du tour de bras.
Quels résultats a-t-on obtenus jusqu'à présent ?
Dans une zone où le CICR est présent depuis 11 mois, on a constaté une amélioration au fil de nos interventions : le taux malnutrition aiguë globale (GAM) qui couvre la malnutrition modérée et sévère, est passé de 34,1 % en juin 2014 à 12 % en mars 2015. Si on compare les chiffres avec ceux des comtés voisins où le CICR n'a pas pu intervenir, on voit que la malnutrition infantile dans la zone assistée par le CICR y est réduite à près de la moitié: le taux de GAM y est de 11,3 % contre 21,1 % dans les zones voisines.
Il y a de nombreuses raisons qui expliquent ces résultats. Il est clair notamment que la malnutrition est souvent causée par la maladie, et dans la zone qui a bénéficié d'une assistance du CICR pendant cinq mois, 80 % des enfants ont été malades mais 12 % seulement ont souffert de malnutrition. Cela montre combien l'assistance alimentaire est essentielle. Le CICR va continuer de recueillir des données pour faire en sorte d'adapter son action à la situation du pays et à l'évolution des besoins.
Pourquoi les mois prochains seront-ils si difficiles ?
Nous arrivons à la « saison de la faim » dont risquent de souffrir de nombreuses familles pendant la période dite de « soudure ». Deux raisons expliquent cette situation. Tout d'abord, de nombreuses personnes ont été déplacées pendant la dernière saison des semailles. Le nombre de familles produisant des cultures vivrières a donc fortement diminué. Ensuite, les pluies ont été beaucoup plus abondantes et de plus longue durée, d'où des inondations et de mauvaises récoltes. Actuellement, de nombreuses communautés n'ont plus rien à manger et la prochaine récolte, pour ceux qui pourront planter, n'est pas avant plusieurs mois.
Cette période, qui est déjà bien difficile quand la récolte de l'année précédente n'a pas été bonne, va être particulièrement dure cette année du fait de la crise. Cette crise se poursuivant, les gens sont moins bien armés qu'il y a deux ans ou même un an pour s'en sortir. Les accès aux marchés sont difficiles, voire impossibles pour beaucoup du fait de l'insécurité permanente, et les gens ne peuvent pas avoir recours à certaines de leurs stratégies traditionnelles de survie, en échangeant du bétail contre des céréales, par exemple.
Que prépare le CICR pour cette saison ?
Comme cela a été dit, le CICR mène une action préventive face à l'insécurité alimentaire. Nous recherchons et mettons en place des actions qui reposent sur des données factuelles pour prévenir la malnutrition, et nous ciblons en priorité les jeunes enfants qui constituent le groupe le plus menacé du point de vue nutritionnel. La malnutrition chronique ou aiguë chez des enfants de moins de cinq ans peut avoir des répercussions durables sur leur santé, leur espérance de vie et leur qualité de vie.
La malnutrition a deux grandes causes : un apport alimentaire insuffisant et la maladie. La saison des pluies approchant, nous nous attendons à une augmentation des maladies liées à l'eau, en particulier au sein des communautés déplacées. Combiné à l'épuisement des réserves alimentaires, ce problème laisse augurer d'une saison particulièrement difficile pour la plupart des zones les plus touchées. Pour que les jeunes enfants puissent continuer de recevoir les micronutriments qui leur sont nécessaires pendant cette période difficile, nous avons ajouté un nouvel article à notre panier alimentaire, la farine « Super Cereal ».
De quoi s'agit-il ?
La farine « Super Cereal » est un complément alimentaire destiné aux enfants de moins de cinq ans. C'est un mélange de blé et de soja, légèrement sucré, auquel on a ajouté des vitamines et des minéraux. S'agissant d'un complément alimentaire, il ne remplace pas les autres aliments. Il apporte aux enfants un supplément de kilocalories et on peut y ajouter suffisamment d'autres aliments pour permettre aux enfants de manger trois fois par jour. Augmenter la fréquence des repas tout en apportant des micronutriments supplémentaires est en effet important pour prévenir la malnutrition infantile.
Comment les gens comprennent-ils les avantages de ces céréales enrichies ?
Pour les familles à qui on donne ces céréales, il est tout aussi important de leur fournir des informations concrètes pour leur montrer comment en tirer le meilleur profit. Nous avons donc passé des annonces à la radio, diffusé des feuilletons radiophoniques et organisé des réunions au sein des communautés et sur les lieux de distribution pour expliquer ce que contient cette farine destinée aux enfants et comment elle peut être préparée. Près de 2 000 mères ont déjà participé aux réunions d'information et aux démonstrations organisées dans les communautés. Cela a permis d'avoir d'excellents échanges sur la façon dont il faut préparer ces céréales enrichies, sur ce qu'elles apportent aux jeunes enfants et sur les bonnes habitudes à prendre en matière d'hygiène.
Quelles seront les prochaines étapes ?
Nous allons effectuer des évaluations approfondies en juin, puis en septembre, dans le but de mieux comprendre les besoins des personnes et l'impact de nos interventions. Nous pourrons ainsi voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et ce qu'il nous faudrait modifier pour atteindre nos objectifs. Nous continuerons aussi d'effectuer un suivi d'autres zones pour détecter une éventuelle aggravation de la détresse alimentaire, si les conditions d'accès et nos capacités nous le permettent.
Là où cela est possible, nous recherchons déjà des solutions à plus long terme et nous distribuons des semences et des outils pour aider les familles à retrouver des moyens de subsistance. Nous pensons qu'il est vital de trouver une solution durable et si la situation le permet, nous mettrons l'accent sur ces types d'interventions chaque fois que possible dans les prochains mois.
Photos : CC BY-NC-ND/CICR/Albert Madrazo et Kristof Walgrave