Déclaration

20 ans après la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel nous ne pouvons pas nous permettre de perdre notre élan.

Seizième Assemblée des États parties à la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel. Le 18 décembre 2017, Vienne. Déclaration du président du CICR, Peter Maurer.

Il y a 20 ans, l'emploi de mines antipersonnel était un élément constant – et meurtrier – des conflits armés en cours dans le monde. Les armes déployées se souciaient peu de savoir si leurs victimes étaient des combattants ou des civils. Elles frappaient de manière indiscriminée.

À cette époque, les mines antipersonnel tuaient ou mutilaient quelque 20 000 personnes par an. La grande majorité des victimes étaient des civils.

Cette situation a soulevé une vague mondiale de condamnations. L'un de mes prédécesseurs s'est indigné de l'impact de ces armes épouvantables, et a déclaré craindre que cette technologie destructrice soit hors de contrôle.

Il a appelé la communauté internationale à s'acquitter d'une obligation morale, politique et juridique, et à mettre fin à l'action lente de destruction massive due aux mines.

D'ampleur planétaire, la crise des souffrances humaines causées par ces armes devait être réglée au niveau mondial. La Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel a été le fruit d'un partenariat remarquable entre les États, la société civile et les organisations internationales, y compris le CICR et l'ensemble du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Surtout, ce traité n'aurait jamais pu être conclu sans l'action de plaidoyer menée avec détermination par les survivants des mines eux-mêmes.

Tout au long de l'élaboration de la Convention, une attention sans précédent s'est portée sur le sort des populations et des communautés touchées par le fléau des mines terrestres et autres engins non explosés.

L'approche adoptée était en outre extraordinaire :


• Pour la première fois, une arme dont l'emploi était répandu était interdite en raison de ses coûts effroyables sur le plan humain, économique et social ;
• Pour la première fois, un traité de droit international humanitaire interdisait non seulement l'emploi d'une arme, mais aussi sa production, son stockage et son transfert – et en exigeait l'élimination ; et
• Pour la première fois, un traité d'interdiction d'une arme exigeait des États qu'ils fournissent une assistance aux victimes de cette arme.
• Enfin, n'oublions pas que si ces progrès ont été possibles, c'est aussi grâce au soutien de nombreux membres des forces armées qui ont compris très tôt que l'utilité militaire limitée de ces armes était sans commune mesure avec leur effroyable coût humain.

Aujourd'hui, l'objectif d'un monde sans mines antipersonnel est près d'être atteint. Au fil des deux dernières décennies, une large adhésion à la Convention a permis :


• Une diminution drastique de l'utilisation de mines antipersonnel ;
• La destruction de plus de 53 millions de mines antipersonnel ;
• La dépollution de milliers de kilomètres carrés de terres minées ; et
• La quasi-disparition du commerce légal de ces armes.

Un nombre incalculable de vies humaines ont ainsi été épargnées.

Pourtant, alors que nous célébrons cet anniversaire, je crains que nous soyons parvenus à un carrefour dangereux.

Certes, les victimes des mines terrestres ne font plus la une des journaux comme dans les années 1980 et 1990. Pourtant, le nombre d'accidents dus aux mines augmente aujourd'hui fortement dans certains pays.

Les civils paient un lourd tribut aux mines antipersonnel (en particulier aux engins improvisés) dans divers pays : Afghanistan, Irak, Myanmar, Nigéria, Syrie, Ukraine et Yémen, notamment. Il est choquant d'apprendre que 42 % des victimes civiles sont des enfants.

À ce jour, 35 États ne sont pas encore parties à la Convention, et certains d'entre eux disposent de stocks énormes, totalisant quelque 45 millions d'unités. Je n'ose pas imaginer le nombre de victimes si ces armes devaient être un jour utilisées.

J'encourage tous les États qui n'ont pas encore adhéré à la Convention à réévaluer constamment la nécessité militaire des mines antipersonnel à l'aune du prix à payer en souffrances humaines.

La communauté mondiale des États et des organisations qui ont soutenu la Convention tout au long des 20 dernières années souhaite vivement vous accueillir en tant qu'États parties et voir ainsi la Convention devenir un instrument véritablement universel.

Le CICR est bien trop souvent confronté – dans ses hôpitaux et centres de réadaptation physique – aux blessures dues à l'explosion d'une mine. Nous travaillons auprès des blessés, équipant de prothèses ceux qui ont eu un ou plusieurs membres arrachés par l'explosion, et les aidant à vivre pleinement leur vie.

Nous aidons là où nous le pouvons mais, franchement, personne ne devrait avoir à subir tout sa vie durant le traumatisme, la souffrance et le préjudice social et économique que doivent endurer les victimes des mines. Nous menons également, et continuerons de le faire, des programmes d'éducation au danger des mines, et nous apportons notre appui aux actions de déminage afin de prévenir les accidents et réduire les effets de la contamination par les armes.

En 2014, les États parties se sont déclarés déterminés à atteindre les objectifs essentiels de la Convention d'ici à 2025 – c'est-à-dire qu'il ne reste aujourd'hui que sept ans ! Il faut maintenant agir avec davantage d'urgence et de détermination pour que ces objectifs deviennent réalité. Des efforts ciblés doivent être engagés pour garantir que d'ici à 2025 :


• Tous les stocks encore détenus par les États parties auront été détruits ;
• Les terres contaminées auront été nettoyées dans les délais impartis par la Convention et les engagements pris à l'horizon 2025 ; et
• Les victimes pourront accéder aux services de soins de santé et de réadaptation ainsi qu'aux services socio-économiques dont elles ont besoin pour participer à la société en toute égalité.

Il est de la plus haute importance que des fonds soient engagés pour mener ces actions à bien.

J'appelle tous les États parties qui sont en mesure de le faire à fournir des moyens et à exercer leur influence là où cela s'avère nécessaire. Le CICR plaide pour que, d'ici à 2025, les États parties confrontés au problème des mines soient libérés de ce fléau et qu'il n'y ait plus de nouvelles victimes sur leur territoire.

Aucun État partie affecté ne devrait être laissé à la traîne dans ce processus. Une fois encore, la communauté internationale doit user de sa détermination collective et tirer parti de ce partenariat remarquable pour surmonter ces défis. L'échéance de 2025 se rapproche – il n'y a pas de temps à perdre.

La Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel offre un exemple éclatant de la manière dont la communauté internationale peut agir collectivement pour répondre aux nombreuses souffrances provoquées par les armes qui frappent sans discrimination.

Depuis son adoption, la Convention a été suivie par de nouveaux traités destinés à protéger les civils contre les restes explosifs de guerre et à interdire les armes à sous-munitions.Il est essentiel – à défaut d'élaborer de nouvelles règles de droit – de faire respecter les règles de DIH existantes afin de protéger les civils contre les effets indiscriminés des armes.

Dans les conflits en cours dans le monde, le CICR voit ce qui se passe lorsque les armes sont utilisées sans aucun égard pour la vie des civils, lorsque des principes agréés internationalement – distinction, proportionnalité et précaution – ne sont pas respectés.

Comme nous en sommes témoins dans les conflits armés en cours en Syrie, au Yémen, en Irak, en Libye, en Somalie et en Ukraine, par exemple, les armes explosives lourdes employées dans des zones densément peuplées ont des effets dévastateurs sur les civils.

Par exemple, lorsqu'une ville est bombardée, les décès et les blessures physiques ne sont pas les seules conséquences. Les infrastructures essentielles telles que les systèmes d'approvisionnement en eau et en électricité, les hôpitaux et les services de santé subissent aussi des dommages.

Étant donné l'énorme tribut payé par les civils, le CICR appelle toutes les parties à s'abstenir d'employer des armes explosives à large rayon d'impact dans les zones habitées, compte tenu de la forte probabilité que ces armes entraînent des effets indiscriminés.

Tous les États devraient être en mesure d'appliquer cette recommandation au titre des bonnes pratiques, afin d'assurer une meilleure protection des civils dans les conflits urbains.

J'appelle aujourd'hui la communauté internationale à prendre exemple sur la bonne volonté et l'action commune qui ont conduit à l'adoption de la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel.

Je vous appelle à rester vigilants face à toutes les armes qui frappent les civils de façon cruelle et indiscriminée, et à faire prévaloir la sagesse de l'humanité et le droit humanitaire.

Discours du Président du Comité international de la Croix-Rouge à la Seizième Assemblée des États parties à la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel. Le 18 décembre 2017, Vienne