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Ukraine : du pain pour les déplacés

Lubov Vasilievna a quitté sa ville natale de Pervomaïsk pour se mettre en sécurité à Severodonetsk. Elle fait aujourd'hui partie d'une équipe de la Croix-Rouge qui distribue du pain à ceux qui, comme elle, ont dû quitter leur foyer pour échapper aux combats dans l'est de l'Ukraine.

Il y a un an, Lubov Vasilievna n'aurait jamais imaginé que, quelque mois plus tard, elle se serait retrouvée à distribuer du pain avec la Croix-Rouge à Severodonetsk, loin de sa ville natale de Pervomaïsk. Mais ce sont là les aléas de la vie dans une région où d'intenses combats ont fait plus de 6 000 morts et déplacé plus d'un million de personnes depuis début 2014.

« Je n'aurais jamais pensé venir un jour à Severodonetsk », explique Lubov en arborant un beau sourire, tandis qu'elle coche le nom de bénéficiaires sur sa longue liste. Auparavant, Severodonetsk n'était connue que pour son usine chimique. Cette ville est désormais la capitale administrative de la région de Lougansk. En octobre dernier, c'est dans cette ville que Lubov est venue trouver refuge avec sa fille et sa petite-fille, alors qu'il était devenu trop dangereux de rester dans sa ville natale sous les bombardements.

Severodonetsk, Ukraine, 17 April 2015. Lubov Vasilievna (left) helps distribute bread.

Severodonetsk (Ukraine), 17 avril 2015. Lubov Vasilievna (à gauche) aide à distribuer du pain. CC BY-NC-ND / ICRC / J. Barry

« Nous avons eu peur », nous confie-t-elle lors d'une pause, après avoir renseigné des personnes venues assister à la distribution de pain. « Ma mère est venue avec nous, et cela fait maintenant six mois que nous bénéficions de ce programme. »

Mais comme Lubov ne voulait pas simplement recevoir de l'aide, elle est entrée au service de la Croix-Rouge en tant que volontaire. Aujourd'hui, en plus de recevoir du pain, elle en organise également la distribution, avec d'autres volontaires. Ce travail n'est pas rémunéré, mais là n'est pas la question. C'est par dévouement que Lubov apporte son aide. Et comme elle le fait remarquer, « si vous aidez les autres, ils vous aideront à leur tour ».

Severodonetsk, Ukraine, 17 April 2015. Lubov and another volunteer check the list of people who are to receive bread.

Severodonetsk (Ukraine), 17 avril 2015. Lubov et une autre volontaire vérifient la liste des personnes qui recevront du pain. CC BY-NC-ND / ICRC / J. Barry

Le programme de distribution de pain est géré par la Société de la Croix-Rouge d'Ukraine, avec le soutien du CICR. Il a démarré en octobre dernier pratiquement par hasard.

« Comme nous avions d'énormes quantités d'excédents de farine, nous avons décidé de demander à une boulangerie locale de faire du pain pour les familles déplacées », explique Gagik Isajanyan, le délégué responsable du programme au bureau du CICR de Severodonetsk. « Il nous a fallu un moment pour tout mettre en place, avec nos partenaires de la Croix-Rouge d'Ukraine, mais nous avons réussi à surmonter tous les obstacles d'ordre logistique. »

Ce programme a connu un succès immédiat, et à l'instar du nombre de personnes déplacées arrivant à Severodonetsk durant l'hiver, le nombre de personnes recevant du pain a lui aussi augmenté, passant d'environ 300 à plus de 600 par jour. Deux nouveaux points de distribution ont été ouverts dans les villes voisines de Lysychansk et de Rubizhne, pour un total d'environ 4 400 bénéficiaires.

Severodonetsk, Ukraine, 17 April 2015. The programme was an instant success and has been extended until June.

Severodonetsk (Ukraine), 17 avril 2015. Le programme a connu un succès immédiat et a été reconduit jusqu'en juin. CC BY-NC-ND / ICRC / J. Barry

Le concept est simple : le CICR fournit 2,5 tonnes de farine cinq fois par semaine à une boulangerie locale, laquelle apporte les autres ingrédients et produit 2 200 miches de pain par jour, tout en gardant une partie de la farine pour sa propre production. Le CICR prend également en charge la livraison du pain jusqu'aux trois points de distribution, où des volontaires de la Croix-Rouge sont prêts à le distribuer chaque matin. Ce programme a été reconduit jusqu'en juin.

Tout le pain est distribué aux familles déplacées. Chaque adulte reçoit une miche un jour sur deux, les familles de deux enfants ayant droit à une miche supplémentaire et celles de trois enfants ou plus à deux miches supplémentaires.

Inna, une ancienne gérante de restaurant âgée de trente ans, vient chercher du pain tous les deux jours. « Mon fils de six ans est resté chez nous avec mes parents, près de Popasna », explique-t-elle en installant sa fille de cinq mois, Polina, dans sa poussette. « J'ai décidé de venir ici avec ma fille pour des raisons de sécurité. Au début, je vivais chez une amie, mais maintenant je loue un appartement, car nous risquons de ne pas pouvoir revenir dans notre village avant longtemps. »

Severodonetsk, Ukraine, 17 April 2015. Inna comes to collect bread every second day, with her five-month-old baby.

Severodonetsk (Ukraine), 17 avril 2015. Inna vient chercher du pain un jour sur deux, avec sa fille de cinq mois. CC BY-NC-ND / ICRC / J. Barry

Pour compléter la ration de pain d'Inna, sa mère lui envoie des légumes au vinaigre de son jardin ainsi que d'autres conserves. « Je dépends de l'aide humanitaire, fait remarquer Inna. Je n'ai plus les moyens d'acheter de la viande et j'ai du mal à m'en sortir. J'aimerais essayer de trouver du travail, mais je dois m'occuper du bébé. »

Connue pour ses usines industrielles et ses mines de charbon, l'Ukraine est aussi considérée comme le grenier de l'Europe en raison sa terre noire et fertile. Mais le conflit qui sévit dans l'est du pays a tout changé. Les champs de blé et de tournesol sont infestés de mines terrestres et l'économie locale s'est effondrée, laissant les usines et les services en proie aux difficultés dans de nombreuses localités.

Les prix ont en outre subi une hausse. Aujourd'hui, une miche de pain coûte environ 10 hryvnias (45 centimes d'euro) à Severodonetsk, alors qu'elle n'en coûtait que quatre il y a quelques mois, de sorte que cette denrée de base est devenue hors de portée pour de nombreuses personnes déplacées ou au chômage.

« Les bénéficiaires nous expliquent qu'ils utilisent l'argent économisé sur le pain pour acheter d'autres choses dont ils ont besoin », explique Lubov, reprenant place à sa table pour se remettre au travail. « Ils disent que ces distributions les aident énormément. Ce que je peux confirmer. »

Severodonetsk, Ukraine, 17 April 2015. People queue for bread, wrapped in coats and hats against the cold spring wind.

Severodonetsk (Ukraine), 17 avril 2015. Emmitouflés dans des manteaux et vêtus de chapeaux pour se protéger d'une fraîche brise printanière, les gens font la queue pour recevoir du pain. CC BY-NC-ND / ICRC / J. Barry

La queue pour recevoir du pain avance lentement. Emmitouflés dans des manteaux et vêtus de chapeaux pour se protéger d'une fraîche brise printanière, les gens bavardent dans la file d'attente, leur sac de courses à la main. Ce programme simple et les volontaires qui le gèrent font bien plus que remplir des estomacs : ils offrent un peu d'humanité à des personnes qui ont perdu tout ce qu'elles avaient de plus cher.