Article

Une incertitude qui ne prend jamais fin

Vivre sans savoir si un proche est vivant ou mort, sans savoir où il se trouve ni ce qui lui est arrivé: c’est la cruelle réalité qui a frappé des centaines de familles colombiennes en 2022. Les disparitions liées aux conflits armés et à la violence provoquent une douleur qui met beaucoup de temps à s’estomper.

Nos chiffres, qui ne reflètent qu'une partie du phénomène, démontrent que cette pratique continue d'exister dans le pays. En 2022, nous avons ainsi documenté 209 cas d disparitions en lien avec les conflits armés et la violence dans 15 départements. Arauca, Chocó, Cauca, Nariño et Norte de Santander ont été les plus touchés, puisqu'ils regroupaient 79 % des cas documentés. Depuis la signature de l'accord de paix en 2016, nous avons recensé 1 122 nouvelles disparitions.

Le contrôle social et la pression de la part des porteurs d'armes restreignent non seulement les activités quotidiennes des communautés, mais aussi leur accès aux institutions chargées de répondre à leurs besoins et de rechercher les personnes disparues. Dans certains cas, par peur de subir des représailles, les familles préfèrent attendre des mois ou des années avant de signaler la disparition d'un proche.

Tant les décisions des acteurs armés en matière de gestion des dépouilles mortelles que le maintien des contacts entre les membres de familles peuvent permettre d'éviter des disparitions en Colombie. Dans certaines zones du pays, l'une des manières d'exercer un contrôle social sur les communautés est de leur interdire d'aller chercher les dépouilles de leurs proches ou de signaler leur décès. Dans d'autres cas en revanche, les groupes armés informent différentes organisations humanitaires pour qu'elles aillent récupérer les dépouilles.

*Ces chiffres correspondent aux cas recensés par le CICR dans le cadre de son travail dans les zones où il est présent, et ne reflètent donc pas l'ampleur exacte du phénomène.

** Ces chiffres peuvent varier d'une publication à l'autre, car certaines disparitions ne sont pas signalées durant l'année où elles se sont produites.
Par exemple, nous avons documenté 348 cas de disparitions en 2022, dont 209 se sont produits la même année. Les autres ont eu lieu entre décembre 2016 et décembre 2021.

Face à la difficulté pour des milliers de familles de récupérer les dépouilles de leurs êtres chers décédés en lien avec les conflits armés, nous insistons sur le fait que l'État doit redoubler d'efforts pour permettre aux familles de récupérer les corps de leurs proches de manière digne, même dans les lieux plus isolés. À cette fin, une volonté inconditionnelle et une mise à disposition des ressources nécessaires, en particulier pour le fonctionnement adéquat de l'Unité de recherche des personnes portées disparues (UBPD), sont indispensables. De même, tous les porteurs d'armes doivent respecter leur obligation de prévenir les disparitions, qui découle des règles de la guerre et s'applique à toutes les parties à un conflit.

L'État doit en particulier prendre les mesures nécessaires pour élucider le sort des personnes disparues. Il doit renforcer le fonctionnement du Mécanisme de recherche urgente, qui pourrait contribuer à éviter de nouvelles disparitions. Il faut pour cela que ce mécanisme soit connu des fonctionnaires concernés, et qu'un système soit mis en place pour assurer le suivi des mesures prises par les institutions une fois le mécanisme activé.

En outre, il est fondamental de faciliter l'accès des proches de personnes disparues à des services de santé mentale adéquats au sein du système public. Ces personnes ne sont pas seulement des chiffres: elles représentent des rêves brisés, des familles détruites, des heures de recherche et d'attente, une réponse qui parfois n'arrive jamais et surtout, l'incertitude et la douleur de ne pas savoir ce qui leur est arrivé ni où elles se trouvent.