Yasser Mohammed, 13 ans, vient de Saada, dans le nord-ouest du Yémen. Il possède pour seuls vêtements quelques t-shirts et un pantalon, que sa mère lave aussi souvent que possible. Il n’a alors rien d’autre à se mettre qu’un châle, qu’il noue autour de sa taille. Le conflit l’a forcé à quitter l’école il y a trois ans et à aller travailler pour soutenir sa famille. Aujourd’hui, il ramasse des bouteilles en plastique dans la rue pour les revendre. Il vit avec six autres membres de sa famille dans un abri de fortune, au nord de la capitale Sanaa.
L’Organisation des Nations unies estime à 2 millions le nombre d’enfants déscolarisés dans le pays et à plus de 2 000 le nombre d’écoles endommagées ou détruites par la guerre. Lorsqu’une école est détruite, ce n’est pas seulement le bâtiment dans lequel les enfants sont censés recevoir une éducation qui est anéanti, mais également le lieu dans lequel se construisent des amitiés de toute une vie.
Les conflits forcent les enfants à grandir plus vite qu’ils ne le devraient. Ce sont souvent eux qui doivent subvenir aux besoins de leur famille en allant travailler ou en mendiant. Leur éducation est souvent interrompue, leur temps de jeu restreint et leur enfance à jamais bouleversée.
Au Yémen, on estime que 3,2 millions d’enfants et de femmes souffrent de malnutrition aiguë et que la moitié des enfants du pays présentent un retard de croissance irréversible. Ce sont 7,4 millions d’enfants qui auraient besoin d’une aide humanitaire en raison de la situation catastrophique que connaît le pays.
Dans les centres de réhabilitation soutenus par le CICR, 38 % des patients sont des enfants qui ont besoin de prothèses ou d’orthèses à la suite d’une grave blessure ou de la perte d’un membre. Les lignes de front se déplacent et s’étendent, et les zones contaminées par des munitions non explosées et des mines terrestres sont de plus en plus nombreuses. Les enfants en sont les premières victimes, car ils ramassent souvent ces engins en pensant que ce sont des jouets.
Selon l’organisation Save the Children, le Yémen a connu plus de 200 000 cas présumés de choléra chez des enfants et au moins 193 décès liés à cette maladie. La détérioration des infrastructures ainsi que le manque d’installations d’assainissement adéquates favorisent la propagation de cette maladie, évitable en temps normal. De nouvelles flambées de choléra se produisent chaque été avec l’arrivée de la saison des pluies.
Au Yémen, près de 18 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et à des services d’assainissement adéquats en raison des effets du conflit sur les infrastructures. Aujourd’hui, même les enfants doivent se débrouiller seuls pour trouver de l’eau. Ilest courant d’en voir bardés de jerrycans à la recherche d’un peu d’eau.
Les conflits, les catastrophes naturelles et les migrations peuvent entraîner des séparations familiales. Certaines personnes disparaissent à tout jamais. Pour les enfants, la perte de l’unité familiale et de la sécurité fournie par les parents et les frères et sœurs est une expérience terrible. Et lorsque la personne qui disparaît est celle qui subvenait aux besoins de la famille, les enfants doivent souvent s’en sortir seuls pour survivre.
Au Yémen, les enfants subissent chaque jour des violations de leurs droits les plus fondamentaux. La violence à laquelle ils sont confrontés prend des formes multiples : ils peuvent être témoins de morts violentes ou d’actes de destruction, être recrutés par des groupes armés, exploités comme main d’œuvre ou mariés de force, devenir des victimes de la traite, ou être blessés ou tués. Les effets de cette violence sur leur santé psychologique sont dévastateurs. Nombre d’entre eux souffrent par exemple de cauchemars, de troubles du sommeil, de sentiments de culpabilité ou de troubles du comportement social. Leur quotidien est perturbé, leur stabilité est mise à mal et leur peur de l’avenir devient accablante.
Que devient l'innocence de l'enfance pendant la guerre ?
Elle est étouffée par des luttes quotidiennes et des souffrances qui ne sont que trop visibles. Ces luttes et ces souffrances, on les voit dans la rue, quand les enfants traînent leurs jerrycans derrière eux à la recherche d'un peu d'eau ; on les voit dans les écoles détruites, où les enfants s'efforcent d'apprendre leurs leçons au milieu des ruines ; on les voit dans les magasins et autres échoppes, où les enfants cherchent à se procurer de quoi survivre en faisant de petits boulots. Mais plus que nulle part ailleurs, on les voit dans le regard des enfants, hantés par la violence dont ils ont été témoins et victimes.
Au Yémen, le conflit s'est immiscé jusque dans les moindres recoins de la vie des enfants, avec des effets dévastateurs. Rappelons que derrière chacune des histoires que nous avons recueillies et rapportées ici s'en cachent de nombreuses autres qui n'ont jamais été racontées.