Burkina Faso : la bataille de Mireille, déplacée, 24 personnes à charge
Mireille* vivait une vie sans histoire dans un petit village de l’Est du pays. En 2019, des hommes armés attaquent son village, tuent son mari et des proches. Elle fuit et finit par s’installer à Fada N’Gourma où elle se bat pour nourrir 24 personnes. Récit d’une renaissance.
Dans la cour d’une maison simple de Fada N’Gourma, Mireille chantonne. Il est sept heures du matin et, un bol de son de maïs à la main, elle nourrit poulets, chèvres et moutons. Les bêlements et les caquètements couvrent les conversations. Ce rituel qu’elle répète tous les matins depuis deux ans fait partie des petites choses qui lui ont redonné la force de vivre.
Trente-trois ans et mère de trois enfants, Mireille revient de loin. Originaire de Namounou, un petit village à l’Est du Burkina Faso, elle avait l’habitude de cultiver ses champs, prendre soin de sa famille, élever un peu de bétail. « C’était une vie simple et ça me suffisait. J’aimais les jours de marché, tout le monde était joyeux. Je croisais des gens que je n’avais pas vu depuis longtemps, on papotait », confie-t-elle nostalgique.
Partir pour survivre
Un jour de 2019, le monde s’est écroulé brusquement. Son village attaqué, elle assiste impuissante à l’assassinat de son mari et de plusieurs de ses proches. Mireille, submergée immédiatement par l’émotion, se souvient, oubliant sa bonne humeur : « Ces hommes ont tué et violé. Et malgré ma grossesse, j’ai subi des violences sexuelles à plusieurs reprises. »
Mireille décide alors de fuir avec ses enfants en suivant d’autres habitants, tous effrayés et paniqués. « Mes enfants étaient tout petits. On a parcouru plusieurs kilomètres la peur au ventre avant d’arriver dans le village voisin de Tanwalbougou. C’était affreux », lâche-t-elle en sanglotant.
La population accueille Mireille et les autres déplacés mais la nourriture vient rapidement à manquer. Malgré le danger, elle repart rapidement vers son village pour récupérer ce qui peut l’être, quelques affaires personnelles au moins pense-t-elle. Une fois sur place, ses espoirs sont douchés : « Nos maisons étaient réduites en cendre, le bétail avait disparu, le village était méconnaissable. Je me suis effondrée avant de repartir sans rien. »
Depuis 2015, le Burkina Faso connait une crise sécuritaire et humanitaire sans précédent. Les violences armées ont forcé des millions de personnes à fuir leur localité d’origine. Ils étaient en 2023 plus de deux millions de personnes déplacées internes, selon les derniers chiffres fournis par le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR). Ce même rapport précise que la ville de Fada N’Gourma, chef-lieu de la région de l’Est, accueillait à elle seule près de 125 000 déplacés.
A Tanwalbougou, la situation sécuritaire finit par se dégrader. Le danger se rapprochant, Mireille décide de rejoindre Fada N’Gourma.
Se reconstruire malgré tout
Cinquième épouse de son défunt mari, Mireille s’est retrouvée par la force des choses cheffe d’une famille de 24 personnes, prenant soin de ses enfants et ceux de ses coépouses. À Fada, les premiers temps sont compliqués. La survie vient de l’aide alimentaire fournie par les autorités et quelques organisations humanitaires.
Mireille se souvient : « Chaque distribution de vivres était une aubaine. Au moins, nous avions quelque chose à manger. Cela me peinait de voir les enfants s’endormir sans avoir manger, surtout les plus petits. Alors je tournais dans les quartiers pour chercher du travail, laver des habits, faire la vaisselle. Il fallait que je m’occupe, cela me faisait oublier un peu les choses. »
Présent dans la région, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et la Croix-Rouge burkinabè (CRBF) ont enregistré en 2022 Mireille et une trentaine de personnes pour une formation sur les activités génératrices de revenus.
« Le CICR a donné à chacune personne trois moutons et une somme de 50 000 francs CFA (77 euros) pour nous assurer l’entretien du bétail. C’est ainsi que j’ai commencé petit à petit. Je me bats jour et nuit. Regardez ma ferme en devenir, j’ai des poulets, des canards, et même un âne », dit-elle amusée.
À Fada, le CICR soutient plusieurs activités des communautés pour les aider à bâtir la résilience
S’en sortir sans mendier
Aujourd’hui Mireille arrive à s’occuper de sa famille et à résoudre certains problèmes du quotidien sans avoir à mendier. « Rien n’est facile mais cette assistance m’a réconfortée », ajoute-t-elle. « L’année dernière un voisin m’a loué un lopin de terre. Nous avons cultivé du haricot et j’ai obtenu une récolte de 115 kilos. J’ai laissé 40 kilos au propriétaire du terrain et gardé le reste pour nous.»
Mireille reste optimiste mais admet être parfois rattrapée par la réalité. Certains de ses grands enfants ont rejoint les sites d’orpaillage pour espérer l’aider avec ce qu’ils trouveront. Elle aurait aimé les voir retourner à l’école pour certains ou apprendre un métier pour d’autres.
Mireille veut devenir l’une des meilleures productrices de la ville, être autonome et contribuer ainsi au développement de sa communauté d’accueil. « Je souhaite que la paix revienne pour que plus jamais personne ne subisse le même sort », conclut-elle.
Déplacements multiples et survie
Les déplacements internes au Burkina Faso sont de plus en plus prolongés et multiples. Pour fuir les violences armées, les populations se déplacent souvent plusieurs fois à l’intérieur du pays, ce qui ne leur permet pas de cultiver leur propre terre. Pour les aider à se prendre en charge face à une crise qui se prolonge, ce premier semestre 2024, 5 000 ménages déplacés et résidents vulnérables ont reçu des semences, des outils de travail (dabas [houes], binettes et arrosoirs) Dans les régions du Centre-Nord, Est, Nord et Sahel, 155 ménages ont bénéficié d’une aide en nature pour entreprendre des activités génératirces de revenus dans plusieurs domaines d’activités tels que la couture, la coiffure, la restauration, la mécanique, la menuiserie, le petit commerce.
Le nombre croissant de personnes déplacées à l'intérieur du pays exerce une pression accrue sur des ressources limitées. Les stocks alimentaires, les installations d'eau et d'assainissement ainsi que les infrastructures de santé étaient déjà fragiles avant la crise sécuritaire et se trouvent aujourd'hui sous un stress encore plus fort. Cette situation a des conséquences alarmantes sur la sécurité alimentaire et la nutrition de la population. Parallèlement, les personnes vulnérables, durement touchées par la sécheresse et les changements climatiques, voient leur situation se détériorer de manière dramatique.
*Nom d'emprunt.