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Cameroun : barrer la route au Covid-19 dans les lieux de détention - Interview

Depuis l'apparition du Covid-19 au Cameroun, le comité international de la Croix-Rouge (CICR) s'active à prévenir la propagation de la maladie en soutien à l'effort global. La valeur ajoutée de l'action du CICR s'observe en milieu carcéral, puisque les risques de propagation de la maladie y sont très élevés, et peuvent avoir des répercussions pour la communauté en général. C'est ce que nous explique Popol Lobo Biduya, docteur en médecine, spécialiste en santé publique et en charge de la santé en détention au CICR. Basé à Yaoundé depuis près d'un an, ses fonctions l'ont amené à servir dans d'autres contextes depuis 2006, comme la Côte d'Ivoire, le Burundi ou encore l'Ethiopie.

Popol Lobo Biduya, docteur en médecine spécialisé en santé publique.

1.On voit beaucoup d'efforts déployés dans la communauté pour prévenir la propagation du Covid-19. Le CICR participe à cet effort global et mène une action résolue pour prévenir la propagation du virus au sein des populations carcérales. Quels sont les enjeux ?

En Afrique et dans le reste du monde, on note une surpopulation générale dans les centres de détention. Cela est vrai au Cameroun également. Cette surpopulation empêche l'application adéquate des mesures de prévention de la propagation du Covid-19 préconisées par l'OMS et les gouvernements, notamment en termes de distance sociale et de conditions d'hygiène.

Au-delà de la population carcérale, il s'agit également d'un enjeu pour la communauté en général, puisque les détenus, même privés de liberté, restent en contact avec le milieu extérieur au travers des interactions avec le personnel pénitentiaire, ou lors des visites des familles par exemple.

Au travers de notre assistance aux autorités détentrices au Cameroun, nous contribuons à protéger la vie et la dignité des personnes détenues, et à nous assurer qu'elles jouissent du droit à la santé garanti par les normes nationales et internationales. En même temps, cette action vise aussi à protéger des personnes du milieu extérieur, puisque des cas d'infection dans le milieu carcéral pourraient affecter les familles des détenus ou du personnel pénitentiaire, puis toucher la communauté dans son ensemble.

2. Vous avez distribué très rapidement des tonnes de matériel d'hygiène au profit des populations carcérales. De quel matériel parle-t-on ?

Le risque de propagation du Covid-19 est particulièrement élevé dans les prisons en l'absence de la mise en place de mesures d'hygiène de base. Depuis le 31 mars 2020, nous avons distribué 165 dispositifs de lavage de mains, plus de 70 000 pièces de savon, près de 5 000 litres d'eau de javel, 1 680 kg de chlore à 70%, du savon en poudre, des gants de ménage, des serpillères et des raclettes, du crésyl, des seaux et des poubelles. Cette assistance vise à améliorer les conditions d'hygiène et contribue à prévenir la contamination au Covid-19 au sein des prisons.

3. Quels sont précisément les lieux de détention ciblés ici ?

Nous avons sélectionné et ciblé un total de 15 établissements pénitentiaires sous le ministère de la Justice. La liste comprend les prisons centrale et principale de Yaoundé (Kondengui) et les prisons principales de Mfou et de Mbalmayo (Centre), la prison centrale de Douala (Littoral), les prisons centrales de Buea et de Bamenda (Sud-Ouest / Nord-Ouest), les prisons de Maroua, Kousseri et Makari (Extrême-Nord), la prison centrale de Bafoussam (Ouest), la prison centrale de Bertoua (Est), la prison centrale de Ngaoundéré (Adamaoua), la prison centrale de Garoua (Nord) et enfin la prison centrale d'Ebolowa. Au total, près de 20 000 détenus vont bénéficier de cette assistance ; cela représente environ 60% de la population carcérale totale du Cameroun. En plus, nous avons soutenu la gendarmerie nationale et le centre de détention du Secrétariat d'Etat à la Défense.

Selon le développement de la situation du COVID-19 dans le pays, le CICR reste disposé à accompagner les autorités dans la riposte en termes de support technique et d'assistance, soutien qui pourrait même s'étendre à d'autres lieux de détention s'il le faut.

4. Au-delà du matériel distribué, votre prévention s'étend à d'autres aspects. Pouvez-vous nous les détailler.

Nous avons fait de la sensibilisation auprès des détenus et du personnel de l'administration pénitentiaire. Nous avons distribué des posters de prévention et émis des recommandations pour la mise en place de dispositifs de lavage de mains ainsi que pour le contrôle systématique des visiteurs et des nouveaux arrivants. Ce contrôle implique la prise systématique de température, le lavage des mains et l'observation/recherche des symptômes du Covid-19 à l'entrée de la prison mais aussi auprès des détenus mis en quarantaine.

Nous souhaitons ainsi avoir un impact positif en encourageant les comportements qui permettront dans la mesure du possible de faire barrière au Coronavirus. Force est de reconnaître que ces mesures mises en place demeurent insuffisantes. Elles devraient être couplées à une diminution du flux de nouveaux détenus et à la décongestion de la population carcérale par les autorités compétentes.

5. Jusqu'ici, on a vu une mobilisation de plusieurs acteurs dans différents domaines liés à la prévention du Covid-19. Vous travaillez dans les lieux de détention. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Le CICR a le mandat de visiter les personnes détenues en lien avec les conflits et autres situations de violence. Nos visites ont pour but de garantir que les détenus sont traités avec humanité et nous collaborons avec les autorités pour prévenir les abus et améliorer les conditions de détention. Nous continuons de mener des activités importantes dans de nombreux pays affectés par des conflits armés et d'autres situations de violence, en intégrant les composantes de prévention du Covid-19 dans nos actions. Cela est vrai aussi pour notre action auprès des personnes privées de liberté.

6. À ce jour, aucun cas officiel n'a été déclaré dans les milieux de détention au Cameroun. De tels efforts restent-ils pertinents à votre avis ?

Il y a eu des alertes dans certaines prisons mais qui se sont heureusement avérées être des cas négatifs. Néanmoins, on ne peut pas baisser les bras, il faut tenter d'éviter qu'il y ait le moindre cas positif en milieu carcéral car le risque de propagation serait ensuite très élevé. Au cas où un cas de COVID-19 adviendrait en milieu carcéral, le personnel soignant et les autorités devraient pouvoir compter avec l'appui du CICR et de la communauté internationale.

 

 

 

Alex Lock / CICR.

Préparation des distributions à la délégation du CICR à Yaoundé.