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Cinq conflits armés – que se passe-t-il actuellement en Colombie ?

Malgré l'accord de paix de 2016, censé mettre fin à 53 années d'affrontements, le CICR estime aujourd'hui qu'au moins cinq conflits armés non internationaux se déroulent dans le pays.

L'ère « post-accord de paix » plonge la Colombie dans une situation complexe, poussant le CICR à mettre à jour son analyse juridique du contexte.

D'une part, la vacance du pouvoir laissée par l'ancien groupe FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie) a provoqué des affrontements entre d'autres groupes armés organisés, notamment entre l'ELN (Armée de libération nationale) et l'EPL (Armée populaire de libération). Certains de ces affrontements semblent s'intensifier et pourraient constituer de nouveaux conflits armés non internationaux.

D'autre part, plusieurs zones du pays sont touchées par des dynamiques de conflit liées à des groupes armés qui se proclament les héritiers des anciennes FARC-EP et annoncent rejeter le processus de paix.

Ce scénario pose de multiples défis, dont le plus grand est peut-être l'opacité qui entoure les activités et le modus operandi de certains de ces groupes, ce qui complique l'action du CICR en faveur des victimes de conflits armés et d'autres situations de violence. En effet, la première condition pour venir en aide à ceux qui souffrent des effets de la violence est de connaître le cadre juridique applicable, lequel jette à son tour les bases d'un dialogue visant à mieux protéger la population touchée.

Comment le droit catégorise-t-il les conflits armés ?

Le CICR a pour mandat de « fournir protection et assistance aux victimes de conflits armés et d'autres situations de violence ». Mais qu'entend-on exactement par « conflits armés » et « autres situations de violence » ? Définir clairement ces concepts est essentiel pour délimiter non seulement le champ d'action du CICR, mais aussi le cadre juridique applicable. Les conflits armés sont régis principalement par le droit international humanitaire (DIH), ce qui a une incidence, entre autres, sur la légalité du recours à la force. Les autres situations de violence, quant à elles, sont régies uniquement par le droit interne et le droit international des droits de l'homme.

Le DIH distingue les conflits armés internationaux, qui opposent deux États ou plus, et les conflits armés non internationaux (CANI), qui opposent les forces gouvernementales et des groupes armés non étatiques, ou de tels groupes entre eux.

Pour faire la distinction entre un CANI et d'autres formes moins graves de violence (cas dans lesquels le DIH ne s'applique pas), il convient d'évaluer l'intensité des affrontements ainsi que les caractéristiques des acteurs concernés. Sur la base du DIH et de la jurisprudence des tribunaux internationaux, le CICR considère qu'un CANI existe lorsque les deux conditions suivantes sont remplies:

  1. Les hostilités atteignent un certain seuil d'intensité évalué selon des critères indicatifs comme le nombre, la durée et la gravité des affrontements, le nombre de participants aux hostilités, la forme que prend le recours à la force, le type d'armes utilisées, le nombre de victimes et les effets des violences sur la population civile.

  2. Les groupes non étatiques qui participent aux actes de violence sont suffisamment organisés. Les critères indicatifs permettant de déterminer si cette condition est remplie sont l'existence d'une structure hiérarchique et d'une chaîne de commandement, la capacité à planifier, coordonner et mener des opérations militaires, la capacité à recruter et entraîner des porteurs d'armes, l'existence de règles de discipline interne, le contrôle des commandants sur les membres du groupe et le contrôle du territoire.

Il importe de noter que les motivations du groupe armé n'entrent absolument pas en ligne de compte lorsqu'il s'agit d'établir l'existence (ou non) d'un conflit armé. Les raisons pour lesquelles un groupe s'oppose à l'État – politiques, ethniques, économiques, religieuses ou une combinaison de ces différents facteurs – n'ont pas d'incidence sur l'application du DIH.

Par ailleurs, les États parties aux Conventions de Genève ont reconnu au CICR le mandat d'agir dans des contextes n'atteignant pas le seuil de conflit armé, pour autant qu'un ou des groupes commettent des actes de violence d'une certaine intensité qui entraînent des conséquences humanitaires pour la population.

On peut notamment citer parmi ces contextes les troubles intérieurs, les tensions internes, les manifestations marquées par de graves affrontements, les « grèves armées », certaines formes de criminalité et d'autres situations de violence collective qui n'atteignent pas le seuil de conflit armé.

Comment, dès lors, qualifier la situation en Colombie ?

Des conflits armés, régis par le DIH, et d'autres situations de violence, régies par le droit interne et le droit international des droits de l'homme, coexistent actuellement en Colombie. Le CICR estime aujourd'hui qu'au moins cinq CANI se déroulent dans le pays, dont quatre entre le gouvernement colombien et respectivement l'ELN, l'EPL, les AGC (Autodefensas Gaitanistas de Colombia – groupes d'autodéfense colombiens) et les anciennes structures du Bloc oriental des FARC-EP qui ont rejeté le processus de paix.

Il existe en outre un cinquième CANI entre l'ELN et l'EPL, dont l'épicentre est la région de Catatumbo.

Mais qu'en est-il des autres acteurs armés qui se posent en héritiers des FARC-EP ? Tout dépend de s'il peut être prouvé que certains de ces groupes sont réellement liés (par des relations hiérarchiques ou certaines formes de coopération) aux anciens fronts 1, 7 et 40 des FARC-EP qui ont rejeté le processus de paix – et que le CICR a déjà qualifiés de parties au conflit. On pourrait conclure dans ce cas que ces nouveaux groupes participent aussi à l'un des CANI mentionnés plus haut et que, par conséquent, recourir à la force contre eux est légitime dans le cadre du DIH.

La vacance du pouvoir laissée par l'ancien groupe FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie) a provoqué des affrontements entre d'autres groupes armés organisés. CICR / Didier Revol / CC BY-NC-ND

Néanmoins, s'il n'existe pas de liens clairs permettant de rattacher ces acteurs au CANI préexistant qui oppose le gouvernement colombien et les éléments de l'ancien Bloc oriental ayant rejeté le processus de paix, il faudrait procéder à une analyse individuelle du degré d'organisation des groupes et du niveau d'intensité des combats pour déterminer si le DIH s'applique.

Autrement dit, si un groupe qui se proclame héritier des FARC-EP n'a pas de lien réel (hiérarchique, de coopération, etc.) avec des parties à un conflit préexistant (comme par exemple les anciennes structures du Bloc oriental des FARC-EP qui ont rejeté le processus de paix), il faudrait évaluer si les critères de classification présentés ci-dessus, à savoir le niveau d'organisation des parties et l'intensité des violences, sont remplis pour ce groupe précis.

Pour toutes ces raisons, il est indispensable d'analyser de manière détaillée les faits avant de parvenir à une quelconque conclusion juridique. Faute d'une telle analyse, le gouvernement colombien (mais aussi d'autres acteurs) risque de faire un usage abusif du DIH dans des situations qui, en réalité, ne remplissent pas les conditions nécessaires pour être qualifiées de conflit armé. En d'autres termes, la force létale pourrait être utilisée de façon « permissive » contre des acteurs qui ne sont pas parties à un conflit armé, ce qui serait contraire au droit international.

Enfin, la Colombie connaît également d'autres situations de violence qui n'atteignent pas le seuil de conflit armé, tout en relevant de la compétence humanitaire du CICR. On mentionnera notamment certaines situations de violence urbaine dans des villes telles que Medellin, Buenaventura, Cali et Tumaco, ainsi que le recours à la force lors de mouvements sociaux, comme par exemple les grèves agricoles ou les manifestations qui dégénèrent en violences.

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