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Être interprète au CICR, c'est s'intégrer dans le collectif

Découvrez le témoignage d'une interprète du CICR avec plusieurs années d'expérience sur le terrain.

"Je suis arrivée au CICR après un parcours atypique, ayant commencé mes études de langues orientales au cours d'une expérience de sept ans comme chauffeur routier international, dont deux ans sur les routes du Moyen Orient, études que j'ai poursuivies dans le cadre universitaire jusqu'à l'obtention d'un doctorat en langues et cultures orientales à Paris. C'est une amie qui m'a parlé du CICR, lequel m'a recrutée en raison de ma connaissance de diverses langues orientales rares.

L'expérience que j'ai faite depuis dix ans de pratique professionnelle comme interprète au CICR est difficile à décrire, tant elle est variée : intense, très intéressante voire passionnante, éprouvante parfois, avec des découvertes fabuleuses lors de voyages dans des régions parfois difficiles d'accès où la logistique extraordinaire du CICR nous mène, mais aussi des remises en question régulières devant les réalités humaines auxquelles ce travail nous confronte.

Être interprète au CICR, c'est s'intégrer dans le collectif : il y a la joie de travailler en équipe, avec les partages professionnels que nous offre la diversité des métiers et des profils, conjuguée avec la gestion de tensions qui peuvent parfois apparaître dans les relations à l'intérieur des équipes.

Le métier d'interprète au CICR est atypique : il s'agit parfois d'interprétation consécutive dans les entretiens avec les interlocuteurs, mais plus souvent c'est un travail direct et autonome avec les victimes des conflits, en particulier dans les prisons. C'est là que s'exerce la spécificité du métier d'interprète au CICR qui a besoin de personnel neutre pour converser avec les détenus.

Les lieux de détention sont différents : centre d'interrogation, petite prison de province, ou immense prison regroupant des milliers de détenus. La visite peut durer une journée ou une semaine, l'équipe varier de deux à trente personnes. Chacun a ses tâches assignées, et les interprètes conduisent généralement leurs entretiens seuls à seuls avec les détenus pour comprendre leur parcours, leur traitement, et leur permettre d'envoyer des nouvelles à leur famille.

Pour faire ce métier, il est important d'aimer faire un travail humanitaire, et de porter ses valeurs : savoir regarder tout être humain d'un regard qui réhabilite sa dignité souvent bafouée, quel que soit l'aspect sous lequel il se présente à nous. Il faut être patient, écouter avec respect et empathie tout en restant centré et modéré, se préserver de réactions émotionnelles auxquelles nous convient certains témoignages, ne jamais juger, garder son calme et apaiser les tensions, rester souriant, tout en étant conscient des enjeux qui se tissent autour de notre présence et de notre action.

En tant qu'interprète, un challenge particulier c'est celui de devoir écouter et se faire comprendre de personnes qui parlent des niveaux de langue très variés : cela va du simple paysan ou berger qui parle dans son patois local, au détenu bouleversé qui parle très vite en avalant les mots ou qui murmure à la dérobée, ou encore interpréter pour des médecins, ou lors de meetings avec les autorités dans un parler spécifique au CICR ou avec des interlocuteurs de haut niveau dans un langage très protocolaire.

Cela nous amène à toujours retravailler notre connaissance des langues. Au-delà des mots, il faut faciliter les échanges et permettre la communication interculturelle entre les collègues du CICR et toutes ces différentes personnalités. Ce métier exige en outre de garder confidentielles toutes les informations que nous sommes amenés à traduire. Il invite à la flexibilité, car les programmes sont soumis à des changements inopinés : il faut s'adapter aux réalités de terrain qui sont fluctuantes dans les zones de conflit.

Personnellement, la rencontre des victimes traumatisées par les violences vécues, m'a menée à reprendre des études de psychologue clinicienne afin de mieux comprendre leurs éprouvés et réfléchir des programmes pour les aider à se rétablir. J'ai pu mener de front mon travail et ma formation professionnelle, un processus encouragé dans l'institution.

Une expérience qui m'a frappée c'est lorsqu'on m'a demandé de me rendre dans un autre pays pour visiter dans un lieu de détention difficile d'accès, situé dans le désert, sous une tente, un détenu en difficulté psychique dont je parlais la langue rare. J'ai voyagé quatre jours en prenant plusieurs avions et véhicules pour pouvoir passer une heure avec lui. Plus tard, je l'ai rapatrié dans son pays. Il était d'une extrême vulnérabilité, vêtu de loques, et pourtant gardait un sens inné de sa dignité. Lorsque je suis arrivée, il s'est levé et m'a invitée "assieds-toi là ma sœur". Il ne disait pas "merci" mais "que Dieu soit content de toi". Par son attitude, il m'a enseigné l'humilité.

En résumé, être interprète au CICR, c'est accepter une vie changeante au sein d'une organisation très structurée où il est possible d'évoluer, se confronter à des défis de langue, découvrir des paysages humains étonnants, et se consacrer à alléger les souffrances de victimes de conflits, sans oublier de prendre soin de soi."

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