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Ouganda : aider les familles de disparus à redonner un but et un sens à leur vie

Entre 1986 et 2006, quelque 75 000 personnes ont été enlevées dans le nord de l'Ouganda.

On ignore toujours le sort de plusieurs milliers d'entre elles. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) estime que près de 10 000 personnes seraient toujours portées disparues. Leurs familles vivent dans l'incertitude et l'espoir de leur retour, ce qui les empêche de faire leur deuil.

Le CICR a élaboré un programme pour aider ces familles à surmonter leur douleur et à aller de l'avant. Monica Mukerjee, déléguée du CICR responsable de la santé mentale en Ouganda, explique en quoi il consiste.

Quel est l'impact psychologique et psychosocial de la disparition de leur proche sur ces personnes ?

Bien que les disparitions aient eu lieu il y a des années voire des décennies, la douleur est toujours très vive pour certaines familles. Leur vie est comme « en suspens ». Elles n'arrivent pas à prendre de décisions de vie importantes et ne peuvent pas travailler. Elles se sentent paralysées.

Sur le plan émotionnel, les familles parlent d'un sentiment de « cwer cwiny », une expression acholi (une tribu du nord de l'Ouganda) qui signifie que leur cœur saigne de tristesse à cause de la disparition de leur proche. Certaines éprouvent le par, un mal qui atteint les pensées, car elles sont obsédées par l'image de leur proche disparu. D'autres ont des douleurs physiques inexpliquées et des problèmes de sommeil dus à la détresse psychologique. Il arrive qu'elles se sentent hantées par l'esprit de la personne, car sans corps, elles ne peuvent pas procéder aux rites funéraires nécessaires pour apaiser l'âme en transition.

Face à ces problèmes, certaines adoptent des comportements ou des états d'esprit qui ont des conséquences négatives sur leur santé et leur vie sociale, comme l'alcoolisme, le repli sur soi, l'amertume ou l'irritabilité.

Ces effets sont souvent eux-mêmes aggravés par d'autres difficultés. Les personnes d'un certain âge dont des enfants sont portés disparus ont d'énormes difficultés financières car elles n'ont personne pour les prendre en charge une fois qu'elles ne peuvent plus travailler. Lorsque c'est un propriétaire terrien qui est porté disparu, des différends surgissent dans les familles à propos des terres. Les familles sont également parfois confrontées à l'opprobre, quand la communauté les soupçonne de s'être associées à un groupe armé.

Toutes ces difficultés ne font qu'accentuer la souffrance des familles de personnes portées disparues.

De quelle manière le CICR aide-t-il ces familles sur le plan affectif ?

Le programme que mène le CICR dans le nord de l'Ouganda est l'un des premiers programmes de soutien psychosocial en faveur des familles de personnes portées disparues en Afrique. Nous utilisons un système d'« accompagnement » consistant à fournir un soutien aux familles en « marchant à leurs côtés » pour les aider à supporter leur peine et à lutter contre leurs difficultés.

Dans le cadre de cette approche, nous recrutons, formons et encadrons des membres de la communauté pour qu'ils deviennent des accompagnants qui animent les réunions des groupes de soutien aux familles de disparus. Dans ces réunions, les participants discutent ouvertement des difficultés qu'ils rencontrent depuis la disparition de leur être cher.

Mike Atube, chargé de liaison pour le programme d'aide aux familles des personnes portées disparues, anime une réunion d'un groupe de soutien. CC BY-NC-ND / CICR / Monica Mukerjee

Les accompagnants se rendent également au domicile des familles pour leur apporter un soutien individuel si elles le souhaitent et les aider à régler des problèmes pratiques en les orientant vers d'autres services ou formes de soutien, comme les centres de santé, les associations locales ou les anciens des communautés.

Comment le CICR a-t-il réussi à adapter son approche au contexte culturel ?

Dans le nord de l'Ouganda, nous sélectionnons et formons des accompagnants au sein même de la communauté des familles de disparus. Ils connaissent bien la culture acholi et animent les réunions entièrement en luo, la langue parlée dans le nord de l'Ouganda.

Ils créent un cadre où les membres se réunissent et se soutiennent mutuellement, ce qui peut consister à échanger des rituels et des pratiques acholi.

Par exemple, de nombreuses familles ont du mal à savoir comment entretenir le souvenir de leur être cher dans leur vie quotidienne. Dans certains groupes, des participants ont commencé à recourir à un mwoc. Les mwoc sont des formules associées à chaque individu, que les familles se répètent dans les moments joyeux ou difficiles et qui les aident à se souvenir de leur proche tout en leur donnant la force d'affronter leurs difficultés quotidiennes.

Dans quelle mesure est-il important d'intégrer le soutien psychosocial à d'autres formes de soutien ?

Cela est vital. Le soutien psychosocial devient véritablement utile quand il est associé à des moyens de résoudre des problèmes pratiques.

En plus d'offrir un soutien affectif, les accompagnants aident activement les familles à régler des questions pratiques qu'elles peuvent avoir négligées à cause de leur situation, comme des différends d'ordre juridique ou des problèmes médicaux non traités.

Quel est le meilleur moyen d'aider les familles de personnes portées disparues à aller de l'avant ?

Offrir aux familles un espace où elles peuvent exprimer leurs sentiments sans être jugées est déjà un important point de départ. Elles peuvent ainsi renouer le contact avec d'autres familles, ce qui redonne un but et un sens à leur vie.