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Ushindi, un ex-enfant soldat sur le chemin de la résilience

République démocratique du Congo

Du fait de l'enlisement de nombreux conflits, la tragédie des enfants associés à des groupes armés perdure. Selon l'Unicef, ils seraient aujourd'hui plus de 3 000 – garçons et filles – en République démocratique du Congo, principalement dans l'est et le centre du pays. Certains sont envoyés aux combats ; d'autres sont employés comme porteurs, cuisiniers ou esclaves sexuels.

Une fois démobilisés, ils peinent à réintégrer leur communauté et à retrouver une vie normale, traumatisés par leur expérience.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) travaille en coopération avec des organisations congolaises pour aider ces enfants à retrouver leurs familles et à se reconstruire. Un processus complexe qui dure parfois des années sans jamais effacer le souvenir des souffrances infligées et subies.

Recruté par son propre père

En juin 2016, la vie d’Ushindi bascule. Les affrontements qui font rage dans l’est et le centre du pays gagnent son village. Certains habitants sont blessés, d’autres tués, parmi lesquels sa mère.

« J’avais tout juste 13 ans », raconte-t-il. « Mon père, qui jouait un rôle important dans l’un de ces groupes, m’a demandé de rejoindre son escorte. Si j’avais refusé, j’aurais dû me débrouiller seul pour survivre. Je n’ai pas eu d’autre choix que lui obéir. »

De gré ou de force, l'enrôlement des mineurs dans les groupes armés est une réalité qui touche encore beaucoup d'enfants. CC BY-NC-ND/ICRC / Wassy Kambale

Avec son père, il enchaîne les combats, contre les autres groupes et parfois contre les forces gouvernementales. « J’ai commis toutes sortes de violences… Vous ne pouvez même pas imaginer ! Je tirais sur les gens sans me soucier de leur sort. » Les jours et les semaines passent. Ushindi survit aux affrontements et prend goût à sa nouvelle vie. Mais il y perd son enfance et son innocence. « Nous n’avions pas de salaire, nous étions obligés de piller ou voler pour survivre. »

Fuir ou mourir dans un trou

Un an plus tard, lors d’une attaque, son père est tué. Ushindi s’engage alors sur d’autres fronts et assiste à la mort de plusieurs compagnons d’armes. « Un jour, nous combattions contre un autre groupe armé, dissimulés dans un ravin. Un de mes amis a été fauché par une balle. C’est là que j’ai pensé à tout laisser tomber et fuir. Les autres ont menacé de me descendre si je quittais le groupe. »

Sans amis ni but, Ushindi, qui n’a plus son père pour le protéger, est hanté par la peur de mourir. Cette fois, il est déterminé à quitter le groupe. «Tous mes proches ont été tués. Le jour où j’ai vu mon père tomber, je me suis dit que j’étais le dernier survivant de ma famille. »

Une nuit, il réussit à tromper la vigilance de ses compagnons et s’enfuit. La peur au ventre, il parcourt des dizaines de kilomètres dans la brousse. « Le grondement des canons avait fait fuir les oiseaux et les bêtes », se souvient-il.

Après de longues heures de marche, il arrive dans un village. Là, une organisation de protection de l’enfance le repère et entreprend des démarches pour mettre fin à son errance et l’aider à retourner près des siens. Ainsi commence sa démobilisation.

Un bref retour à la vie normale

Ushindi est d’abord transféré dans un centre de transit et d’orientation (CTO) à Goma, dans l’est du pays. Une équipe l’aide à préparer son retour dans sa communauté et à se prémunir contre tout nouveau risque d’enrôlement. « C’est une étape importante du processus de réinsertion sociale », indique Stéphane, l’un des responsables du centre.

Dans les centres de transit et d'orientation, les enfants sont préparés progressivement à un retour dans leurs communautés d'origine. CC BY-NC-ND/ ICRC / Wassy Kambale

Pendant les trois mois environ qu’il passe au centre, Ushindi vit comme à la maison. Il a deux repas par jour, des vêtements propres, il peut se laver et a accès à des soins de santé. Pour atténuer les séquelles de ces années passées à combattre, il bénéficie d’un accompagnement psychosocial. Il participe aussi à des travaux manuels et s’adonne à des activités ludiques et sportives qui le changent du maniement des armes.

Sa réadaptation terminée, Ushindi est ramené dans son village auprès de membres de sa famille et commence à travailler avec ses cousins. « On s’est mis à cultiver du manioc. Je pouvais manger et vivre normalement, sans avoir à voler. » Des mots comme attaquer ou piller n’ont plus de sens pour lui ; ils appartiennent au passé.

Le prix de la liberté

Dans les villages, les informations circulent vite. Apprenant le retour d’Ushindi, des membres de son groupe armé sont venus le chercher. « Je leur ai dit que je ne voulais plus me battre. Ils étaient furieux, ils m’ont emmené et jeté dans un cachot. » Il montre les cicatrices sur son corps, preuve des sévices subis. « J’avais peur qu’ils me tuent. » Une nuit, Ushindi profite de l’inattention de ses gardiens pour s’échapper. Mais cette fois, il n’est pas seul. Plusieurs autres détenus et quelques combattants l’accompagnent, « mais tous des adultes », précise-t-il. « Je suis parti de mon côté, j’avais peur. J’ai marché une nuit et une journée entières. Je voulais atteindre le CTO le plus proche. Je savais qu’une fois là-bas, je serais sauvé. »

Ushindi a aujourd’hui 15 ans.

Province du Nord-Kivu, ville de Goma. CC BY-NC-ND/ ICRC / Wassy Kambale

La réinsertion, une autre forme d'épreuve

Pour la plupart de ces enfants plongés malgré eux dans les affres de la guerre, le retour à la vie civile est une épreuve. Les enfants ayant été associés à des groupes armés comme Ushindi doivent composer avec des séquelles psychosociologiques persistantes. « La majorité des enfants que nous accueillons sont blessés et traumatisés », explique Stéphane. En outre, ils ont souvent du mal à renouer des liens avec leur famille ou leur communauté.

« Il arrive que la famille refuse de reprendre l’enfant, à cause du préjudice qu’il lui cause, de l’hostilité de la communauté, ou encore d’une trop grande précarité », explique Charhazed Anane, responsable du programme de rétablissement des liens familiaux au CICR.

« Le CICR joue alors les médiateurs auprès des chefs communautaires. Par le dialogue, il s’emploie à développer les capacités locales en matière de protection des enfants et de réduction des risques d’enrôlement. »

Au cours de l'année 2017, Charhazed Anane et son équipe ont enregistré dans l’est et le centre du pays 176 enfants qui avaient été associés à des groupes armés en vue de les ramener à leurs familles. C’est déjà chose faite pour 90 d’entre eux.

Le CICR organise aussi des ateliers dans les villages pour sensibiliser les chefs communautaires aux défis que rencontrent les enfants à leur retour.

Dialoguer avec les groupes armés

« En République démocratique du Congo, nous dialoguons avec plusieurs groupes armés au sujet du recrutement d’enfants. Nous leur rappelons les obligations qui leur incombent au regard du droit international et les sensibilisons aux conséquences de l’enrôlement sur les enfants », fait remarquer Katherine Weir, responsable du programme du CICR pour la protection de la population civile en RDC.

Aujourd’hui, Ushindi ne vit pas avec sa famille car son village est toujours occupé par le groupe armé qui l’a enrôlé. Par crainte d’être à nouveau forcé de se battre, il vit encore au centre de transit en attendant que la paix revienne.

Voir la vidéo « RD Congo : les enfants perdus de Goma ».