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Yémen : des soins médicaux de pointe absents dans un pays au bord du gouffre

Changement climatique, crise économique, système de santé en ruines, conflit armé qui ne veut pas s’arrêter… dans ce cadre, les soins médicaux de pointe, comme ceux pouvant traiter différentes sortes de cancer, sont indisponibles.

De loin, on dirait des chiffons décolorés abandonnés dans le paysage désertique du Yémen. Mais cet amas précaire de tentes est en réalité un camp abritant quelque 12 500 personnes déplacées en raison d'un conflit qui dure depuis huit ans — et qui ne fait désormais plus la une de l'actualité, malgré une situation humanitaire qui empire.

Dans le camp de Swaïda, près de la ville de Marib, dans le nord du pays, le temps s'est arrêté. Pour ses habitants, tous les jours se ressemblent. Toujours les mêmes luttes, la même misère et les mêmes soucis, dans l'ombre de la guerre. La ligne de front la plus longue du pays se trouve à quelques kilomètres seulement.

La violence n'est pas le seul problème que ces personnes doivent affronter. En été, les températures peuvent atteindre 50 degrés et le camp est fréquemment malmené par des tempêtes de poussière. Ces derniers mois, des pluies saisonnières exceptionnellement abondantes ont provoqué des crues soudaines qui ont touché des centaines de milliers de personnes dans tout le pays, y compris à Marib.

En juin 2022, le CICR s'est rendu sur place, une visite qui n'a pas manqué d'attirer l'attention des habitants du camp.

Une personne a crié : « Vous avez apporté des médicaments ? »

Une autre voix angoissée a interpellé : « Mon père a eu une attaque il y a deux semaines, il a besoin d'un spécialiste, venez voir par vous-même. »

Le traitement du cancer dans les zones de conflit

Parmi toutes ces voix qui s'élevaient nous est parvenue celle de Fatima, 12 ans, qui nous a demandé d'aller voir sa mère. Nous l'avons suivie dans sa tente, où nous avons d'abord été frappés par l'odeur d'égout et d'eau stagnante qui y régnait.

Fatima a tiré le rideau de l'entrée, laissant voir sa mère, Moghniya, visiblement faible, allongée sur un matelas usé.

Cette mère de trois enfants est atteinte d'un cancer en phase terminale et recevait un traitement dans un centre de santé situé à des centaines de kilomètres. Or à cause de la violence, des difficultés économiques et de la détérioration des services de santé au Yémen, elle ne peut plus recevoir les soins dont elle a besoin. Elle est sans traitement depuis début 2022.

« Je ne pouvais pas payer les frais de transport ou supporter des voyages aussi longs entre les séances de traitement », raconte Moghniya, dont le mari l'a quittée.

C'est Fatima qui s'occupe de sa mère, ainsi que de son frère et de sa sœur. Comme beaucoup d'enfants au Yémen, elle a été obligée de grandir rapidement et a été privée de son éducation.

Fatima et sa famille sont originaires de Sanaa, dans le nord du Yémen. Ils en sont partis il y a cinq ans et ont passé les 18 derniers mois dans le camp, après avoir dû changer de lieu à plusieurs reprises.

« Avant, j'allais à l'école et j'ai atteint la quatrième année, puis j'ai dû arrêter quand ma mère est tombée malade — je voulais vraiment devenir médecin et soigner les gens, mais il a fallu que j'abandonne l'école. »

La situation de cette famille n'est que trop commune.


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Wagdi Maqtari /CICR

C’est Fatima qui s’occupe de sa mère, ainsi que de son frère et de sa sœur.

Selon les estimations, 4,2 millions de personnes ont été déplacées à cause du conflit qui sévit au Yémen, et beaucoup ont besoin d'accéder régulièrement et en urgence aux services de soins de santé, y compris aux soins spécialisés. Mais même les soins de base sont difficiles à trouver.

Les femmes et les enfants représentent 73 % des personnes dont la vie a été bouleversée.

Les femmes, qui ont dû quitter leur foyer et être séparées de leur mari, disposent de peu de moyens financiers, ce qui réduit encore leur accès aux services essentiels.

Plusieurs raisons expliquent cette absence des hommes. Parfois, ils partent pour trouver du travail afin de subvenir aux besoins de leur famille. La séparation peut aussi se produire au moment où les populations fuient leur foyer pour se mettre en sécurité. Enfin, certains hommes sont détenus ou simplement portés disparus.

Par ailleurs, les femmes et les filles qui vivent à proximité des lignes de front sont exposées à des agressions et au harcèlement lors de leurs déplacements et sont donc encore plus réticentes à se faire soigner. C'est ainsi que des femmes et des enfants comme Moghniya et Fatima se retrouvent à dépérir dans des camps sordides, sans possibilité d'en sortir.

Leur histoire devrait faire la une de l'actualité. Cette crise, qui s'aggrave de jour en jour, devrait figurer parmi les grands titres des bulletins d'information. Pourtant, il semble qu'elle ait disparu du champ de la conscience internationale.

Wagdi Maqtari /CICR

« Avant, j’allais à l’école et j’ai atteint la quatrième année, puis j’ai dû arrêter quand ma mère est tombée malade — je voulais vraiment devenir médecin et soigner les gens, mais il a fallu que j’abandonne l’école. »</h2>

Les engagements financiers et politiques mondiaux en matière d'aide ne parviennent pas à suivre le rythme des besoins croissants de la population du Yémen et l'insuffisance du financement de l'aide a contraint plusieurs organisations caritatives à réduire leurs activités, ce qui fait grossir le nombre de personnes sans accès à la nourriture, à l'eau potable, aux soins de santé et à l'éducation.

Au cours du premier semestre de 2022, le CICR a apporté une aide alimentaire et d'autres types d'aide à plus de 322 000 personnes. Nous soutenons 26 hôpitaux et 31 centres de soins de santé primaire dans tout le pays, ce qui nous permet d'aider environ 1,1 million de personnes. Mais tout cela n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan, un soulagement à court terme.

Le conflit qui fait rage depuis huit ans a épuisé la capacité des Yéménites à faire face à l'adversité. Fatima et Moghniya incarnent la situation de plus en plus tragique à laquelle est confronté ce pays. Leur désespoir se lit sur leur visage.

Pour elles et pour des millions d'autres, la communauté internationale doit démontrer son engagement à aider les personnes touchées par la crise au Yémen avant qu'il ne soit trop tard.

Deux questions à Carole Dromer, cheffe adjointe de l'Unité santé du CICR à Genève


Lors de crises humanitaires, accorde-t-on une attention suffisante aux soins oncologiques ou anticancéreux ?

Malheureusement, non. La plupart du temps, lors de crises aiguës, nous nous concentrons avant tout sur les soins en santé primaire, car nous voulons fournir des services vitaux à la majorité de la population. C'est une question de priorités.

En outre, les traitements contre le cancer font partie des formes de soins les plus avancées, qui comprennent des opérations chirurgicales complexes, des médicaments très spécifiques et des séances de radiothérapie, et très souvent, ces soins ne sont tout simplement pas disponibles. On ne peut trouver dans le pays ni le personnel qualifié ni le matériel ou les médicaments appropriés, sans parler des laboratoires ou des politiques de dépistage et de prévention.

C'est pourquoi vouloir créer par nous-mêmes un système de soins viable serait voué à l'échec. En fin de compte, seules les personnes aisées peuvent se payer une chimiothérapie ou une radiothérapie en allant à l'étranger. Par exemple, les Afghans vont en Inde ou au Pakistan pour se faire soigner.

Que fait le CICR pour améliorer la situation des traitements contre le cancer dans les zones touchées par des conflits armés ?

Récemment, nous avons mis en place un protocole simple qui permet de fournir des soins palliatifs dans les hôpitaux que nous soutenons. L'idée est de mettre à la disposition du personnel médical des antidouleurs puissants afin que leurs patients n'endurent pas de souffrances insupportables.

Pour éviter le recours à des médicaments de mauvaise qualité, nous importons généralement les médicaments au lieu de les acheter sur place. Mais la morphine et ses dérivés sont considérés comme des stupéfiants et font l'objet d'une législation restrictive et il peut se révéler difficile d'approvisionner régulièrement les structures sanitaires.

De même, sur le terrain, par exemple dans un camp de personnes déplacées, nos équipes informent les agents de santé que certaines personnes ont besoin d'un traitement contre le cancer. Si les structures locales ne sont pas en mesure de les accueillir, nous pouvons les évacuer plus loin. Mais là encore, nous ne pouvons le faire que si un système est en place.


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