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COVID-19 – Comment lutter contre l’infection : les enseignements à tirer des prisons philippines

Alors que le COVID-19 attire partout l’attention sur les maladies infectieuses, notre regard se porte sur l’un des lieux les plus dangereux pour la propagation de telles épidémies : les prisons, où une population dense et un accès (souvent) limité aux soins de santé augmentent considérablement les risques.

Le surpeuplement, une mauvaise ventilation et le piètre état des infrastructures, leur insalubrité et des conditions sanitaires et d'hygiène insuffisantes favorisent la propagation des maladies infectieuses – le nouveau coronavirus, comme la tuberculose, peut rapidement toucher un grand nombre de gens dans des lieux de détention. Que le COVID-19 soit causé par un virus et la tuberculose par une bactérie, l'un et l'autre peuvent avoir des effets dévastateurs sur les groupes vulnérables comme les personnes âgées et les malades chroniques.

On sait par exemple que la prévalence de la tuberculose est 100 fois supérieure dans les lieux de détention à ce qu'elle est dans la population. Et selon la base de données de World Prison Brief, les prisons des Philippines avaient, dans leur dernier rapport, le taux d'occupation le plus élevé au monde. Au 19 mars 2020, le taux de congestion dans les 467 prisons gérées par le Bureau of Jail Management and Penology (BJMP) est de 534 pour cent.

Le surpeuplement des prisons philippines pose un énorme problème depuis des années. Cette photo a été prise à l'intérieur de la prison de Manille début mars. L'état de préparation joue un rôle capital dans la lutte contre les maladies infectieuses, qui peuvent se propager très vite à l'intérieur des prisons et infecter non seulement les détenus, mais aussi le personnel pénitentiaire et les proches des détenus venus leur rendre visite. Jes AZNAR/CICR

L'infirmerie régionale de Calamba, province de Laguna, où sont accueillis les cas de tuberculose, est un bâtiment de quatre étages conçu pour assurer une ventilation naturelle suffisante, avec des cellules grillagées ; une cour équipée d'un terrain de basketball permet aux détenus de prendre le soleil. Les patients sont isolés selon leur état bactériologique pour éviter les contaminations croisées. Le port des masques est obligatoire à l'intérieur de l'infirmerie pour les détenus, les visiteurs et le personnel pénitentiaire. Le 16 mars 2020, l'infirmerie comptait 300 détenus malades – 272 hommes et 28 femmes. Neuf d'entre eux ont une tuberculose multirésistante. Photo : CICR

Un détenu, qui en est à son cinquième mois de traitement, donne un échantillon d'expectorations au personnel de santé de la prison. Cet échantillon sera examiné au laboratoire pour déterminer s'il est encore ou non infecté par la tuberculose. Photo : CICR

Les personnes âgées et celles qui ont une pathologie préexistante (hypertension, maladies du cœur, maladies du système respiratoire, cancer ou diabète) sont plus vulnérables à la tuberculose et à la pandémie de COVID-19. Jes AZNAR/CICR

 

« Il y a bien des années, alors que je postulais pour un travail, des examens radiologiques ont révélé que j'avais la tuberculose. J'ai suivi un traitement pendant six mois mais je ne l'ai pas terminé. Je suis détenu depuis sept ans dans un établissement surpeuplé. Un dépistage généralisé a été effectué, ainsi qu'un examen des expectorations. C'est alors qu'on s'est aperçu que j'avais maintenant une tuberculose multirésistante, parce que je n'avais pas terminé mon traitement lorsque j'ai contracté la maladie. Cela fait six mois que je suis sous traitement. Les quatre premiers mois, cela a été dur parce que nous avions des injections tous les jours et beaucoup de médicaments à prendre. Mais je tiens bon pour pouvoir guérir. Je suis mon traitement en espérant m'en sortir. » – « Rudy », détenu atteint de tuberculose multirésistante. Jes AZNAR/CICR

« J'ai contracté la tuberculose en 2003. J'ai pris mes médicaments pendant trois mois seulement. Je n'ai pas terminé le traitement parce que je me sentais déjà mieux. J'ai découvert que j'avais de nouveau la tuberculose en détention en 2015. J'ai eu des injections pendant deux mois, puis des comprimés pendant les sept mois suivants. Au début, cela allait mais, plus tard, je pouvais à peine marcher. J'ai pris sur moi pour survivre. Le personnel du BJMP m'a vraiment aidé. Ils ont immédiatement commencé le traitement pour moi et les autres détenus qui présentaient des symptômes de tuberculose. J'ai un enfant et je veux le retrouver à la sortie. C'est ce qui me motive. Et je prie Dieu qu'il me guérisse. Je me dis de tenir le coup encore un peu et je serai bientôt libre. J'espère vraiment pouvoir en venir à bout. » – « Joey », détenu de 44 ans qui a été guéri de la tuberculose à l'infirmerie de Calamba. Jes AZNAR/CICR

Une bonne alimentation tient une place particulière dans la prévention de la tuberculose, mais aussi pendant tout le traitement. Un dépistage précoce de la tuberculose chez les détenus est aussi d'une importance capitale pour la réussite du traitement et la réduction des risques de propagation de la maladie. « L'infirmerie nous a fourni tous les médicaments nécessaires pendant les six mois du traitement. Mais je demande encore à ma mère de m'apporter des fruits et des vitamines pour que je n'attrape plus la tuberculose. Maintenant, chaque fois que je repère dans notre dortoir quelqu'un qui présente les symptômes de la tuberculose – perte d'appétit, toux incessante – je lui demande : "combien de temps encore vas-tu supporter cela ? " Je l'accompagne. Je lui dis de manger autant que possible, et de boire beaucoup d'eau, plus de sept verres par jour si possible. » – « Mike », détenu traité pour la tuberculose à l'infirmerie de Calamba en 2014 et guéri depuis. Jes AZNAR/CICR

 

La tuberculose est curable – bien que la durée du traitement soit de six mois pour une tuberculose ordinaire, et de neuf mois à deux ans pour les formes pharmaco-résistantes. Ici, une infirmière consulte le dossier de chaque détenu atteint de tuberculose pour préparer les médicaments chaque matin. Chaque malade prend de deux à 24 comprimés par jour et, dans certains cas, reçoit en plus des antibiotiques par injection pendant deux à quatre mois. Photo : CICR

« Les effets secondaires peuvent être très difficiles à supporter, ce qui explique que des malades arrêtent parfois leur traitement : nausées, maux de tête, démangeaisons, douleurs, courbatures, raideur et parfois perte de l'ouïe. Je suis devenu sourd de l'oreille droite. Même si vous tirez un coup de fusil, je ne l'entendrai pas. La rifampicine diluée dans de l'eau me donnait aussi des démangeaisons. Mais je ne regrette pas d'avoir été au bout du traitement. Si je n'avais pas pris mes médicaments, je ne serais pas là avec vous à répondre à vos questions, je serais sans doute déjà mort. Mon corps était comme une bougie allumée qui s'éteint tout doucement. » – « Carlo », détenu guéri de la tuberculose. Jes AZNAR/CICR

« Ce qu'il y a de bien ici, c'est que les cas de tuberculose dans nos prisons sont isolés et traités à l'infirmerie. Nous les retirons d'une prison engorgée où il y a sûrement de nombreux cas de tuberculose. Les traiter à l'infirmerie, c'est un peu nettoyer la prison. C'est tout l'avantage de cette infirmerie : être un lieu où l'on soigne les détenus atteints de tuberculose. On les guérit de leur maladie. Ils y reçoivent une éducation sanitaire et des soins de santé. » – Daisy Ann Ancheta, infirmière du Programme national de lutte contre la tuberculose affectée à l'infirmerie régionale de Calamba depuis son ouverture en 2012. Jes AZNAR/CICR

Deux heures suffisent à un appareil GeneXpert pour dépister le bacille de la tuberculose dans les expectorations des malades. Il recherche aussi les souches résistantes à la rifampicine. L'infirmerie régionale de Calamba a deux appareils GeneXpert, dont un donné par le CICR, qui lui permettent d'isoler les détenus primo-infectés des tuberculeux résistant à la rifampicine et de les traiter séparément. Les cas résistant à la rifampicine subiront d'autres tests de laboratoire pour déterminer l'étendue de la pharmaco-résistance ; ces tests auront lieu au Centre médical de Batangas et au Laboratoire national de référence pour la tuberculose. Photo : CICR

« Lorsque j'ai appris que mon mari avait la tuberculose, mon seul désir pour lui était de le voir suivre un traitement. Peu importe le temps qu'il restera loin de nous s'il suit un traitement adéquat. Je lui rends visite deux fois par semaine. Cela me prend une heure pour m'y rendre. Nous parlons des bêtises que font nos petits-enfants. Je lui apporte aussi de la nourriture. Au début, j'avais peur d'aller le voir mais j'ai pensé qu'il serait triste si je ne le faisais pas. Alors, au lieu d'aller mieux, son état pourrait empirer. Cette idée m'a aidée à vaincre ma peur d'attraper la tuberculose. » – Une femme en visite auprès de son mari qui vient de terminer son traitement contre la tuberculose. Son mari, incarcéré à Batangas, a été transféré à l'infirmerie en octobre 2019 lorsque le diagnostic de tuberculose a été posé après l'un des dépistages généralisés. Jes AZNAR/CICR

« Nos autorités se sont rendu compte que, dans nos prisons engorgées, les détenus étaient plus vulnérables à la tuberculose. Elles ont donc ouvert ce lieu pour mieux traiter les détenus tuberculeux et enrayer la propagation de la tuberculose dans les prisons. Ici, ils sont suivis par du personnel médical et reçoivent des médicaments. Ils ont ainsi beaucoup plus de chances de se remettre. Ce n'est pas parce qu'ils sont en prison qu'ils ne doivent pas recevoir les mêmes soins de santé que ceux qui sont dehors. Il ne doit pas y avoir d'inégalité quant à la qualité des soins dispensés. Il ne devrait pas y avoir de différence. » – Elizabeth Garceron, directrice d'établissements pénitentiaires, à la tête de l'infirmerie régionale de Calamba contre la tuberculose. Jes AZNAR/CICR

À part la famille, c'est la foi qui aide de nombreux détenus atteints de tuberculose à tenir. Un détenu qui craint d'avoir à nouveau une tuberculose pharmaco-résistante, témoigne : « Je prie Dieu pour qu'il me guérisse. Je me dis : "tiens encore un peu et tu seras bientôt libre". Je le prie sans cesse et j'ai l'espoir de m'en sortir. » Jes AZNAR/CICR

« Nous avons privilégié le soutien à l'infirmerie parce que nous avons compris que le BJMP tentait de dispenser les meilleurs soins possibles aux détenus atteints de tuberculose. Le fait d'être derrière les barreaux induit déjà de grandes souffrances. Alors la maladie en prison est une épreuve supplémentaire. Certains, sinon la plupart des détenus, finiront par être libérés. S'ils sont malades à leur sortie de prison, ils peuvent infecter leurs proches et leurs collègues de travail. Comme le BJMP, le CICR est d'avis que les détenus méritent de recevoir les mêmes soins de santé que ceux qu'ils recevraient à l'extérieur. Les autorités pénitentiaires se heurtent à toutes sortes de limites. Le CICR engage tous les partenaires de la santé à aider les autorités pénitentiaires à dispenser de meilleurs soins aux détenus. » – Ramon Paulo Eustaquio, responsable de la santé sur le terrain, affecté par le CICR au soutien du programme de lutte contre la tuberculose dans les prisons. Photo : CICR

La lutte contre la tuberculose dans les prisons philippines peut nous éclairer sur l'action à mener contre le nouveau COVID-19 dans les prisons. Elle nous enseigne notamment l'importance des protocoles de contrôle de l'infection (dépistage rigoureux à l'entrée et dépistages généralisés à l'intérieur des lieux de détention) et de la création d'unités d'isolement pour les patients infectés afin d'enrayer la propagation de la maladie. Une infirmerie dédiée à l'isolement et au traitement des détenus tuberculeux dans la région de Calabarzon – qui compte certaines des prisons les plus surpeuplées des Philippines – est une première dans un pays dont le système carcéral est engorgé.

Ces facteurs rendent plus difficiles encore la prévention, le traitement et l'enraiement des maladies infectieuses. De plus, une proportion importante de la population carcérale est plus vulnérable en raison de pathologies préexistantes (hypertension, maladies du cœur, maladies du système respiratoire, cancer ou diabète) et de l'âge, facteurs qui, selon l'Organisation mondiale de la Santé, peuvent aggraver l'état de santé des personnes infectées par le COVID-19.

Il est crucial de soutenir cette initiative vu la densité de la population des 44 prisons disséminées dans toute cette région, qui continuent de poser des problèmes de logistique et de santé publique et de gêner la fourniture des soins de santé à un moment où la tuberculose est endémique et où sévit la pandémie de COVID-19.

 

Le CICR, dont le travail consiste notamment à visiter les établissements pénitentiaires pour veiller à ce que les détenus soient traités avec humanité, aide les autorités philippines à s'attaquer aux causes et aux conséquences de l'engorgement extrême des prisons, plaidant entre autres pour que les détenus aient accès à des soins de santé de qualité. Nous estimons qu'investir davantage dans les programmes de prévention de la tuberculose aux Philippines, c'est renforcer la capacité d'un des systèmes carcéraux les plus vulnérables au monde de lutter aussi contre d'autres maladies transmissibles.

Le CICR visite l'infirmerie régionale de Calamba, province de Laguna, qui accueille les détenus tuberculeux, depuis 2014. Il lui fournit du matériel (fournitures de laboratoire, équipement de protection personnel, fournitures et équipement pour les dépistages généralisés de tuberculose, etc.) et une assistance technique dans la lutte contre la tuberculose (supervision trimestrielle par l'équipe de lutte contre la tuberculose du CICR et contrôles annuels du programme par des consultants extérieurs, mise en relation avec le Ministère de la Santé, les autorités sanitaires provinciales et municipales et des partenaires tels que le Fonds mondial-Philippine Business for Social Progress (PBSP) et USAID, conseils quant aux changements à apporter au fonctionnement de l'infirmerie). En 2019, le CICR a aussi aidé à agrandir les cellules et à rénover les cuisines et le laboratoire.

Le CICR s'emploie continuellement à renforcer le système carcéral des Philippines en général par des activités visant notamment à améliorer l'accès des détenus aux soins de santé, le dépistage et la lutte contre la tuberculose. Il le fait en définissant ce que doivent contenir les « dossiers médicaux des détenus » et en établissant les procédures à appliquer pour le dépistage à l'entrée ; en réalisant des dépistages généralisés de tuberculose dans le cadre des efforts de dépistage précoce et en formant à ces fins le personnel de santé travaillant en milieu carcéral ; en améliorant, par une assistance en matériel et en équipements, les services et installations dédiés au dépistage de la tuberculose et à l'isolement et au traitement des détenus qui en sont atteints ; et en affinant le système de transfert aux établissements de santé publique.