Article

Déclaration du CICR aux Nations Unies sur les armes, 2017

Assemblée générale des Nations Unies, 72e session, Première Commission, Débat général sur tous les points de l'ordre du jour relatifs au désarmement et à la sécurité internationale. Déclaration du CICR.

Nous venons de vivre une année marquée par d’extraordinaires réussites qui ont couronné les efforts visant à débarrasser le monde des armes de destruction massive, ainsi que par des étapes majeures de l’existence de traités fondamentaux limitant ou interdisant l’utilisation de certaines armes en raison de leur coût humain d’un niveau inacceptable.

Ces réussites auraient été impossibles sans le courage, la détermination et l’action concertée des gouvernements, des organisations internationales et de la société civile qui se sont mobilisés, et notamment sans le concours de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires, que nous tenons à féliciter chaleureusement pour le prix Nobel de la paix qui lui a été décerné cette année. Ces réussites sont source d’espoir et devraient donner un nouvel élan aux initiatives visant à remédier aux conséquences humanitaires de certaines armes.

Le Comité international de la Croix‑Rouge (CICR) s’est vivement félicité de l’adoption du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, qui a été approuvé le 7 juillet par 122 États à l’issue d’une conférence de négociation convoquée par l’Assemblée générale des Nations Unies. Nous nous réjouissons que le préambule du Traité souligne le rôle joué par le Mouvement international de la Croix‑Rouge et du Croissant‑Rouge dans cette réalisation historique, ainsi que celui de l’Organisation des Nations Unies, de la société civile et des hibakusha.

Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires est une étape essentielle, et longuement attendue, de la réalisation de l’objectif universel d’un monde sans armes nucléaires. Reconnaissant les conséquences catastrophiques des armes nucléaires sur le plan humanitaire, le Traité interdit expressément et totalement ces armes en se fondant sur le droit international humanitaire (DIH). Il réaffirme que tout emploi d’armes nucléaires serait inacceptable au regard des principes de l’humanité et des exigences de la conscience publique. Les États parties s’engagent fermement à fournir une assistance aux victimes de l’utilisation ou de la mise à l’essai d’armes nucléaires, ainsi qu’à remettre en état l’environnement des zones ainsi contaminées. En outre, l’instrument prévoit des mesures visant à susciter l’adhésion de tous les États, y compris ceux qui sont détenteurs d’armes nucléaires ou sont associés à ce type d’armes.

Même s’il est évident que le Traité ne fera pas immédiatement disparaître les armes nucléaires, il renforce le tabou qui pèse sur leur emploi et a clairement un effet dissuasif sur leur prolifération. Il représente une étape concrète vers le respect des obligations et engagements internationaux pris de longue date en vue d’un désarmement nucléaire, en particulier les obligations et engagements prévus par l’article VI du Traité sur la non‑prolifération des armes nucléaires, qui demeure au cœur du régime mondial de non‑prolifération et de désarmement nucléaires.

Le CICR félicite les États qui ont signé et ratifié le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires depuis qu’il a été ouvert à la signature il y a trois semaines. Nous demandons instamment aux autres États de nous rejoindre du bon côté de l’Histoire en adhérant sans plus tarder à ce traité.

Le CICR appelle les États qui ne sont pas en mesure d’adhérer au Traité pour le moment, y compris les détenteurs de l’arme nucléaire et leurs alliés, à prendre de toute urgence des mesures afin de prévenir l’utilisation de telles armes d’ici à ce qu’ils s’acquittent de leurs obligations en matière de désarmement nucléaire.

Avec la montée des tensions régionales et internationales, le risque que l’arme nucléaire soit utilisée par accident, par erreur ou intentionnellement s’est nettement accru, jusqu’à un niveau jamais atteint depuis la Guerre froide. Cette situation est profondément inquiétante. Elle devrait imposer aux détenteurs de l’arme nucléaire et à leurs alliés de respecter d’urgence les engagements qu’ils ont pris de longue date en vue de réduire les dangers nucléaires, et notamment les engagements énoncés en 2010 dans le plan d’action de la Conférence des parties chargée d’examiner le Traité sur la non‑prolifération. Ceux‑ci portent entre autres sur la réduction du niveau de disponibilité opérationnelle des armes nucléaires dans le but de lever l’état de haute alerte de toutes ces armes (comme le prévoit la résolution relative à la levée de l’état d’alerte, adoptée par 174 États l’année dernière sur la base du rapport de la Première Commission présenté à la soixante et onzième session). Les engagements en matière de réduction des risques consistent également à diminuer le rôle et l’importance des armes nucléaires dans l’ensemble des concepts, doctrines et politiques militaires et sécuritaires. Pour réduire le risque nucléaire, il est également essentiel de prendre des mesures de confiance, par exemple l’établissement de centres communs d’alerte rapide.

Le président du CICR, Peter Maurer, a proposé que les initiatives de réduction des risques forment la base commune d’un dialogue entre les États qui ont adopté le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires et ceux qui ne sont pas encore prêts à le faire. Indépendamment de son avis sur ce traité d’interdiction, chaque État devrait reconnaître que tout risque de voir des armes nucléaires utilisées est inacceptable. Nous avons la preuve qu’un échange nucléaire, aussi limité soit-il, causerait d’indicibles souffrances humaines et aurait des répercussions mondiales durables et irrémédiables. Empêcher que des armes nucléaires ne soient employées revêt un intérêt vital pour tous les États et représente bel et bien un impératif humanitaire.

 

L’année 2017 marque le 20e anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention sur les armes chimiques, qui a été remarquablement couronnée de succès. Aujourd’hui, seuls cinq États n’y sont pas parties. Grâce aux efforts inlassables des États parties détenteurs de telles armes et au soutien de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, 95 % de tous les stocks d’armes chimiques déclarés ont été détruits, ce qui rend plus concrète la promesse faite par la Convention d’un monde exempt de ces armes atroces. Le CICR félicite la Fédération de Russie qui a récemment achevé de détruire l’intégralité de ses stocks.

L’interdiction totale de recourir à des armes chimiques est une norme du DIH coutumier qui lie tous les acteurs, étatiques ou non. Dans l’ensemble, cette interdiction a été largement respectée, grâce aussi au statut quasi universel et à la mise en œuvre fidèle de la Convention. L’utilisation récente et plusieurs fois confirmée d’armes chimiques en Syrie et en Iraq est une aberration qui doit être condamnée avec la plus grande fermeté par tous les États, comme devrait l’être d’ailleurs toute utilisation de telles armes par quelque acteur et dans quelque pays que ce soit. La façon dont la communauté internationale réagit face à des violations de l’interdiction des armes chimiques est essentielle pour défendre la norme ainsi violée et faire respecter le droit.

 

Si des innovations scientifiques et technologiques récentes offrent de belles perspectives pour l’humanité, leur utilisation comme moyens de guerre peut comporter des risques importants pour la protection des civils et défier des règles existantes du DIH. Le CICR se félicite des propositions formulées il y a peu dans le cadre de la Convention sur les armes biologiques, de la Convention sur certaines armes classiques et de la Première Commission, à laquelle nous participons aujourd’hui – des propositions qui portent sur les dispositions à prendre face à l’évolution récente des sciences et de la technologie, notamment à ses incidences sur les normes du droit international interdisant ou limitant l’utilisation de certaines armes.

Nul ne conteste que toute nouvelle technologie employée comme moyen de guerre doive pouvoir être utilisée, et doive être effectivement utilisée, dans le plus strict respect du DIH. Toutefois, les difficultés que présentent en matière de respect du DIH les systèmes d’armes autonomes et les cybercapacités — et, plus essentiellement, leurs profondes implications pour l’avenir de la guerre — confèrent un caractère d’urgence aux débats internationaux dont font l’objet ces nouveaux moyens de guerre en particulier.

Ces trois dernières années, les réunions d’experts consacrées aux systèmes d’armes « létales » autonomes, organisées dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques, ont recensé nombre des problèmes que soulèvent pareilles armes sur les plans humanitaire, juridique et éthique.

Il est ressorti des débats entourant la Convention sur certaines armes classiques que les États s’accordaient généralement à penser qu’il fallait conserver un contrôle humain sur les systèmes d’armes et le recours à la force. En effet, le cadre du contrôle humain fournit les données de départ nécessaires pour dégager des positions communes entre les États. La prochaine réunion du Groupe d’experts gouvernementaux sur les systèmes d’armes létales autonomes, convoquée dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques et présidée par l’Inde, sera l’occasion d’examiner plus avant dans quelles limites il faut contenir l’autonomie des systèmes d’armes pour respecter le DIH et satisfaire certaines préoccupations éthiques. Le CICR demande instamment à tous les États de saisir cette occasion.

Au cours de cette année, plusieurs pays ont fait savoir qu’ils avaient subi d’importantes cyberattaques qui avaient entravé le fonctionnement de réseaux électriques, d’installations médicales et d’une centrale nucléaire. Fort heureusement, ces utilisations hostiles du cyberespace n’ont pas eu de conséquences à grande échelle sur le plan humanitaire. Elles nous rappellent toutefois brutalement la vulnérabilité de l’infrastructure civile essentielle aux cyberattaques, ainsi que l’ampleur des conséquences humanitaires que peuvent avoir ces agressions.

Pour le CICR, il ne fait aucun doute que le DIH s’applique à l’utilisation des cybercapacités comme moyens et méthodes de guerre dans un contexte de conflit armé, et lui impose des restrictions. Pour l’essentiel, il interdit de lancer des cyberattaques contre des biens ou des réseaux civils, et interdit également les cyberattaques aveugles et disproportionnées. Or, la nature interconnectée du cyberespace est source d’importants problèmes lorsqu’il s’agit de protéger les civils contre des attaques lancées sans discrimination ou des dommages excessifs causés incidemment, puisque les services civils essentiels — hôpitaux, réseaux d’approvisionnement en eau et en électricité, télécommunications — dépendent de systèmes informatiques.

Soyons clairs, lorsqu’il affirme que le DIH s’applique aux cyberopérations, le CICR ne cautionne en aucune façon la cyberguerre, ni la militarisation du cyberespace. Tout usage de la force par un État, que ce soit dans le monde physique ou le cyberespace, demeure limité par la Charte des Nations Unies (jus ad bellum). Le fait est que — outre et nonobstant les exigences de la Charte — tout État qui choisit de se doter de cybercapacités militaires, à des fins défensives ou offensives, doit faire en sorte que ces ressources respectent le DIH (jusin bello).

Les caractéristiques uniques du cyberespace soulèvent des questions tout aussi uniques quant à l’interprétation des règles du DIH, questions auxquelles les États doivent apporter des réponses de toute urgence. Ainsi, le CICR regrette que le Cinquième Groupe d’experts gouvernementaux des Nations Unies chargé d’examiner les progrès de l’informatique et des télécommunications dans le contexte de la sécurité internationale n’ait pas été en mesure d’adopter un rapport de consensus à sa réunion finale tenue en juin dernier. Nous demandons aux États de relancer dans les instances appropriées le débat relatif aux problèmes graves que soulève la cyberguerre, dans le but de trouver un terrain d’entente sur la protection offerte par le DIH à l’utilisation civile du cyberespace. Le CICR est prêt à mettre son savoir‑faire au profit de tels débats.

 

Il n’en demeure pas moins que ce sont les armes conventionnelles qui continuent à causer l’essentiel des souffrances infligées aux civils dans les conflits armés. C’est là une évidence. Deux problèmes en particulier exigent l’action immédiate des États.

Premièrement, les transferts d’armes responsables sont une nécessité urgente alors que des guerres violentes font rage dans différentes parties du monde — des guerres au cours desquelles le CICR est témoin de toujours plus de souffrances dues à des attaques aveugles, ou même à des attaques directes, lancées contre la population civile, les hôpitaux et le personnel humanitaire. Les États qui soutiennent des parties à des conflits armés en leur fournissant des armes ont une responsabilité spéciale car ils donnent à ces acteurs des moyens de commettre des violations du droit international humanitaire. Ils doivent user de leur influence pour faire en sorte que les parties qu’ils soutiennent respectent le DIH. Cela suppose notamment qu’ils doivent mettre fin aux transferts d’armes lorsqu’il est manifeste que de graves violations sont commises ou risquent de l’être.

Le Traité sur le commerce des armes offre un plan d’action visant à ce que tous les États intervenant dans la chaîne d’approvisionnement en armes réduisent les souffrances humaines. Le CICR demande à tous les États qui ne l’ont pas encore fait de ratifier ce traité ou d’y adhérer. Outre qu’ils permettront à long terme de mieux protéger les civils et de rendre les communautés plus sûres, des transferts d’armes responsables jetteront les fondements de la paix, de la sécurité et de la stabilité aux niveaux régional et international. Les États doivent aussi prendre les mesures pratiques qu’ils se sont engagés à mettre en œuvre au titre d’autres instruments, tels que le Programme d’action des Nations Unies relatif aux armes légères. L’année prochaine, la troisième conférence d’examen du Programme d’action, qui sera présidée par la France, fournira l’occasion d’envisager des synergies avec le Traité sur le commerce des armes, y compris les meilleures pratiques visant à prévenir le détournement et la prolifération illicite d’armes légères et de petit calibre, ainsi que de promouvoir la transparence et l’obligation redditionnelle en matière de transferts d’armes.

Deuxièmement, du fait que les hostilités touchent de plus en plus les zones urbaines – quelque 50 millions de personnes souffrant des effets de la guerre dans les villes –, la protection des civils exige des parties aux conflits armés qu’elles reconsidèrent leur choix de moyens et méthodes de guerre, en particulier l’utilisation d’armes explosives dans des zones peuplées. Dans les combats en zone urbaine qui font rage au Moyen‑Orient et ailleurs, le CICR continue d’observer, en sa qualité d’acteur humanitaire de première ligne, les effets désastreux des armes lourdes explosives sur les populations civiles et leurs incidences dévastatrices sur les services essentiels à la survie de ces populations, qu’il s’agisse de soins médicaux ou d’approvisionnement en eau et en électricité. Il réitère ses appels aux parties pour qu’elles s’abstiennent d’utiliser des armes explosives à large impact dans des zones densément peuplées, car le risque est grand que ces armes frappent sans discrimination. Le Secrétaire général de l’ONU a lancé un appel similaire. Un nombre croissant d’États souscrivent à cette position, et nous prions instamment les autres États de faire de même. C’est un problème qui concerne tous les États, notamment parce que nous trouvons ces types d’armes dans l’arsenal de la plupart des pays du monde. Nous saluons tous les efforts visant à régler ce problème humanitaire urgent, y compris l’initiative pilotée par l’Autriche en vue d’élaborer une déclaration politique non contraignante qui recense les meilleures pratiques.

Pour conclure, Monsieur le Président,

Le 20e anniversaire de la signature de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel est un motif de célébration et une source d’inspiration. Ce traité a été adopté en 1997, alors que, dans le monde entier, des populations civiles étaient durement touchées par l’héritage mortel de décennies de recours généralisé aux mines antipersonnel. À l’époque, la plupart des États employaient ou stockaient encore de telles mines. Vingt ans plus tard, 162 États sont parties à la Convention et, grâce à leurs efforts concertés, plus de 51 millions de mines antipersonnel stockées ont été détruites et des milliers de kilomètres carrés de terres ont été déminés et restitués aux communautés pour qu’elles en fassent un usage productif. S’il est capital que le nombre annuel de victimes des mines ait considérablement chuté au cours des deux décennies écoulées, nous devrions tous, en revanche, nous inquiéter du fait que le nombre global de nouvelles victimes, lui, ait augmenté ces dernières années. Le CICR a été profondément préoccupé, notamment, d’apprendre que des États qui ne sont pas parties à la Convention et des groupes armés non étatiques ont continué d’utiliser des mines antipersonnel dans des conflits récents. L’expérience montre qu’en fin de compte, ce sont les civils qui en paieront le prix : pertes en vies humaines, membres amputés, perte de moyens de subsistance. L’emploi de mines antipersonnel ne saurait être toléré en aucune circonstance.

La Convention a montré que des dirigeants d’État résolus à agir et collaborant avec la société civile ainsi qu’avec le Mouvement international de la Croix‑Rouge et du Croissant‑Rouge peuvent répondre efficacement à une catastrophe humanitaire causée par une arme inacceptable en interdisant et en éliminant clairement l’arme en question, sur la base du DIH. Il reste toutefois beaucoup à faire pour débarrasser le monde des mines antipersonnel. Le CICR demande instamment aux États qui ne sont pas encore parties à la Convention d’y adhérer dans les meilleurs délais et, dans l’intervalle, de prendre part à la 16e réunion des États parties à la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnelqui aura lieu à Vienne en décembre