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Mexique : le CICR réclame l’adoption d’une loi sur les personnes disparues

Tribune de Juan Pedro Schaerer, chef de la délégation pour le Mexique, l'Amérique centrale et Cuba, publiée dans les journaux El País et Excélsior.

J'ai récemment fait la connaissance d'une mère mexicaine qui avait perdu toute trace de son fils depuis des années. Le jour de sa disparition, celui-ci était sorti de chez lui, comme à l'accoutumée, quand des inconnus l'avaient emmené de force sous les yeux des passants. Les témoins de la scène ont rapporté avoir entendu des cris et assisté à une bousculade, sans que personne ne réussisse toutefois à s'interposer. Les témoignages recueillis dans le dossier de l'affaire sont incomplets. Une plainte a été déposée mais elle s'est enlisée dans les vices de procédure et l'absence de preuves accablantes. À ce jour, le jeune homme est toujours porté disparu.

Déjà dramatique en soi, toute disparition est source d'angoisse pour les proches et bouleverse leur vie à bien des égards. Les familles passent des années à rechercher les leurs sans relâche, épuisant toutes les pistes, afin de ne pas céder au désespoir. Pour mettre fin à ces souffrances et pouvoir répondre de façon appropriée à cette tragédie, il est absolument indispensable de pouvoir compter sur une loi visant à prévenir la disparition de personnes, à améliorer la recherche des disparus et à sanctionner les auteurs du crime qu'est la disparition forcée.

Il y a plus de deux ans, l'État mexicain s'est engagé à adopter une loi qui permette de remédier aux conséquences des disparitions et de répondre aux besoins des victimes et de leurs familles. Cette démarche a débuté en 2015 par une réforme constitutionnelle qui a habilité le Congrès de l'Union à légiférer sur les disparitions forcées impliquant des agents gouvernementaux ou des particuliers, et à créer un système national de recherche des personnes disparues. À l'occasion de sa visite au Mexique au mois d'avril de la même année, le président du CICR, Peter Maurer, avait abordé le sujet avec le président Enrique Peña Nieto ainsi que d'autres hauts représentants des autorités mexicaines. Ceux-ci avaient alors indiqué à M. Maurer que cette loi était une priorité pour le dirigeant mexicain et son gouvernement. Depuis, le CICR suit les différentes étapes du processus d'élaboration de la loi, depuis l'exécutif jusqu'au législatif.

Le temps a passé et la nouvelle législation tant espérée n'a pas encore vu le jour. Faudra-t-il attendre encore deux ans pour qu'un cadre juridique relatif aux personnes disparues soit finalement approuvé ?
Face aux chiffres officiels estimant à plus de 30 000 le nombre de personnes disparues, les familles ont engagé un dialogue avec les autorités et exigé la mise en place de mécanismes véritablement opérationnels pour rechercher leurs proches, la réalisation d'enquêtes impartiales, effectives et immédiates sur ces cas, ainsi que la reconnaissance juridique du statut de disparu. Pour ces familles, au même titre que pour celles de migrants disparus au Mexique, l'adoption d'une loi en la matière revêt un caractère d'urgence et d'absolue nécessité.

Faute d'enquêtes qui aboutissent, les disparitions continuent au Mexique et frappent non seulement les Mexicains, mais également les migrants qui traversent le pays. En l'absence de mécanismes de recherche efficaces – ceux-là mêmes qui doivent être institués par la loi tant attendue –, des collectifs de familles ont entrepris de retrouver leurs proches à leurs risques et périls, et ont découvert des fosses contenant les restes de personnes non identifiés. Les chiffres sont éloquents : la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH) indique qu'entre les mois de janvier 2007 et septembre 2016, 855 fosses clandestines ont été mises à jour au Mexique, et 1 548 cadavres exhumés, dont seuls 796 ont pu être identifiés.

Le CICR a constaté des progrès notoires, marqués par des efforts de consensus et des engagements appréciables de la part de tous les acteurs, en vue, par exemple, de se doter d'une Commission nationale de recherche des personnes disparues. Celle-ci aurait à son service des policiers formés et qualifiés, et pourrait accéder aux bases de données et registres actuellement aux mains des autorités pour les mettre à jour. L'annonce de la création d'un registre national de personnes disparues et d'un registre de personnes décédées non identifiées constitue également une avancée.

Je suis conscient qu'une problématique aussi complexe ne saurait être résolue par l'adoption pure et simple d'une loi. Néanmoins, c'est là une étape capitale à franchir pour faire face aux conséquences humanitaires liées à la disparition de personnes au Mexique. Afin de garantir son efficacité, son application sera cruciale et impliquera l'élaboration des protocoles et règlements nécessaires. En outre, il sera important de prévoir un budget suffisant pour assurer le fonctionnement des mécanismes qui seront mis en place, mais également pour former les fonctionnaires et développer les outils technologiques capables de faciliter leurs recherches et l'identification des personnes décédées.

Seul un engagement politique de cette ampleur, soutenu par un renforcement des institutions existantes, permettra de mettre fin à cette situation, qui est à l'origine d'immenses souffrances pour des milliers de personnes, en particulier, et pour la société dans son ensemble.