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Sixième Conférence des États au Traité sur le Commerce des Armes

Statement of Peter Maurer, President of the ICRC, to the sixth Conference of States Parties to the Arms Trade Treaty.

Genève, 17 Août 2020 — La tenue, cette année, de la Conférence des États parties au Traité sur le commerce des armes (TCA) est assombrie par la pandémie de COVID-19 et nous regrettons de ne pas pouvoir nous réunir en personne. Je souhaite remercier spécialement le Président de la Conférence, l'ambassadeur Federico Villegas de l'Argentine, ainsi que les membres du Bureau du TCA et le Secrétariat du TCA, pour les efforts qu'ils ont déployés tout au long du processus préparatoire, en dépit de circonstances extrêmement difficiles, afin de faire progresser les importants travaux de ce traité.

Le CICR travaille sur les lignes de front des conflits armés et il constate à quel point la pandémie – qui constitue une menace dramatique pour la vie dans les pays déchirés par la guerre – vient encore aggraver les souffrances humaines causées par la disponibilité généralisée des armes. Le COVID-19 génère de nouveaux besoins humanitaires et exacerbe les risques de protection déjà existants. Dans les pays aux structures ébranlées par la guerre, la population – hommes, femmes et enfants pris entre les feux des combattants – est particulièrement vulnérable à la pandémie actuelle, qui fait peser un fardeau supplémentaire sur les prestataires de soins et les infrastructures sanitaires.

Au Soudan du Sud, les hôpitaux soutenus par le CICR avaient atteint en avril déjà les limites de leurs capacités d'accueil en raison du nombre élevé de patients blessés par balles. En Syrie et au Yémen, après de nombreuses années de conflit armé, la moitié des établissements médicaux ne fonctionnent plus et les systèmes de santé sont trop affaiblis pour pouvoir répondre efficacement à la pandémie.

L'accès aux soins de santé vitaux est limité ou empêché par la persistance de la violence armée, ou même – comme cela s'est produit il y a quelques semaines en Afghanistan – par des attaques visant directement les services de santé.

Face aux conflits armés prolongés et aux autres situations de violence sévissant dans de nombreuses régions du monde – en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Asie –, je suis préoccupé de constater qu'un approvisionnement régulier en armes classiques et en munitions continue de faciliter la commission de graves violations du droit international humanitaire (DIH) et du droit des droits de l'homme. Or, en établissant une norme mondiale pour des transferts responsables d'armes, c'est précisément cela que le TCA visait à empêcher.

Les conflits en cours à travers le monde engendrent d'immenses souffrances humaines, dont nous sommes témoins jour après jour. Ces souffrances confèrent un caractère urgent à l'adhésion de tous les États au TCA et à la mise en œuvre la plus scrupuleuse possible de ses dispositions.

Les récentes avancées vers l'adhésion universelle au TCA sont encourageantes. Je tiens à féliciter tout particulièrement les cinq États – Afghanistan, Chine, Maldives, Namibie, Niue et São Tomé-et-Príncipe – qui ont adhéré au traité depuis la dernière Conférence des États parties.

Le nombre croissant d'États parties au TCA ainsi que leur diversité attestent de la portée universelle de cet instrument. Tous les États sont touchés par le commerce des armes insuffisamment contrôlé, car il alimente les conflits et l'insécurité, provoque des déplacements de populations à l'intérieur et à l'extérieur des frontières nationales et déstabilise des régions tout entières.

Aujourd'hui, parmi les 25 plus grands fournisseurs des principales armes classiques, seuls quatre demeurent en dehors du TCA. La participation des principaux exportateurs et importateurs d'armements montre que l'objectif poursuivi – un commerce responsable des armes – est compatible avec les objectifs économiques, de politique étrangère et de sécurité.

En effet, s'il y a une chose à retenir de l'histoire récente, c'est que les livraisons d'armes qui facilitent de graves violations du DIH ou du droit des droits de l'homme ne font pas avancer la cause de la paix et de la sécurité. Dans toutes les décisions en matière de transferts d'armes, l'atténuation des souffrances humaines doit primer sur toute autre considération.

J'encourage les 31 États signataires qui ne l'ont pas encore fait à ratifier rapidement ce traité crucial, et j'engage tous les États non encore parties à y adhérer dans les meilleurs délais. Le CICR peut fournir un appui technique pour aider les États à mener à bien leur processus de ratification.

Certes, le TCA est un outil pratique pour réduire le coût humain de la guerre. Néanmoins, ce traité ne sera à la hauteur de ses promesses que si les États parties s'acquittent fidèlement des obligations qu'il leur impose, conformément à son objectif humanitaire. À cet égard, je demeure gravement préoccupé par l'apparente disparité entre, d'une part, l'obligation – inscrite dans le traité – de garantir le respect du DIH dans les décisions en matière de transferts d'armes et, d'autre part, les pratiques suivies par un trop grand nombre d'États dans ce domaine. Cette disparité met en cause la crédibilité et l'efficacité du traité.

Les critères stricts établis par les articles 6 et 7 du traité visent à garantir que les armes ne se retrouvent pas dans les mains de personnes dont on peut craindre qu'elles les utilisent pour commettre de graves violations du DIH ou du droit des droits de l'homme, ou des actes graves de violence sexiste. Ces critères doivent être appliqués de manière cohérente, objective et non discriminatoire par les décideurs à tous les niveaux, y compris aux plus hauts niveaux.

Évaluer le risque de violations n'est pas une tâche facile. Le CICR a fourni des orientations aux États en ce qui concerne les décisions en matière de transferts d'armes. Son Guide pratique, notamment, propose des indicateurs permettant d'évaluer le risque que les transferts d'armes soient utilisés pour violer le DIH ou le droit des droits de l'homme. Le CICR est prêt – dans le cadre de son mandat, de sa politique et de ses compétences – à soutenir les efforts visant une mise en œuvre du traité la plus scrupuleuse possible.

L'échange d'expériences pratiques relatives à la mise en œuvre du TCA – y compris le partage ouvert d'informations sur la manière d'évaluer concrètement les risques et sur d'autres mesures destinées à contrôler et atténuer les impacts des transferts d'armes et à prévenir les détournements – est important pour assurer la transparence du commerce des armes (qui est l'un des objectifs principaux du TCA).

Un niveau élevé d'ouverture et la présentation en temps utile de rapports complets, précis et transparents sur la mise en œuvre du TCA viennent témoigner de l'engagement des États parties en faveur d'un commerce responsable des armes. Cet engagement est indispensable pour créer le climat de confiance nécessaire au succès du traité.

Dans les moments de crise, nous voyons plus clairement que jamais les faiblesses de nos systèmes mondiaux. La dimension mondiale de la pandémie de COVID-19 montre douloureusement à quel point la fragilité des contextes touchés par les conflits armés et d'autres situations de violence constitue un risque pour chacun de nous.

La pandémie met en évidence la nécessité d'atténuer et de prévenir les risques sanitaires en s'attaquant aux vulnérabilités et aux problèmes systémiques sous-jacents. Elle nous incite également à reconsidérer le rôle et la valeur attribués aux armes pour garantir la santé et le bien-être des êtres humains. Les souffrances et les incertitudes causées par cette pandémie sont telles qu'il est troublant de voir de précieuses ressources continuer d'être englouties dans l'accumulation d'armements, alors qu'elles sont désespérément nécessaires pour assurer les soins de santé et l'aide humanitaire.

La crise sanitaire actuelle offre une occasion unique de construire collectivement des systèmes de santé plus robustes et un monde plus durable et plus résilient. Les menaces mondiales exigent des réponses mondiales et une solidarité mondiale. Les mécanismes multilatéraux qui, tels que le TCA, visent à réduire la prolifération et l'impact des armes sont essentiels pour répondre aux problèmes humanitaires qu'aucun pays ne peut surmonter seul.

Peter Maurer's statement on 6th Arms Trade Treaty

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