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République centrafricaine : les familles de personnes disparues, entre deuil et espoir

À la suite des événements de 2013 qui ont vu la République centrafricaine basculer dans une spirale de violence, de nombreuses familles sont restées sans nouvelles de leurs proches. Plongées dans une attente insupportable, ces familles sont partagées entre l’espoir de revoir un jour leurs êtres chers et l’angoisse de ne jamais savoir ce qui s’est passé. Leur seul souhait est de connaitre leur sort pour pouvoir enfin faire le deuil, si les nouvelles sont mauvaises.

Pour Floride, mère de trois enfants, la mésaventure a commencé le matin du 23 décembre 2013. Malgré les violences qui régnaient en ville, Serge, son mari, est parti travailler à 8 heures comme tous les matins pour pouvoir nourrir sa famille et payer les factures. Lorsqu'il n'est pas rentré, Floride a alerté ses parents et collègues, mais personne ne savait où il était. À ce jour, les recherches n'ont mené nulle part. Sept ans après cette disparition brutale, Floride n'arrive toujours pas à tourner la page.

 Mon mari était un homme souriant et sociable. C'était mon partenaire, mon complice. Nous avions prévu de construire une maison.

Floride a perdu les traces de son mari depuis 7 ans

Floride n'a plus de nouvelles de son mari depuis sept ans, son seul souhait aujourd'hui est de connaitre son sort afin de pouvoir donner une réponse à ses enfants. Christelle Boua/CICR

Elle attend inlassablement de recevoir la moindre nouvelle pour qu'elle puisse donner une réponse à leurs enfants.

Depuis qu'il est parti, j'ai perdu la joie de vivre. Je continue toujours de le porter dans mon cœur. Tout ce que je veux, c'est connaître la vérité sur sa disparition. Ma plus grande tristesse serait de ne pas pouvoir répondre à mes enfants s'ils me demandaient où est la tombe de leur père.

Tout comme Floride et ses enfants, François est sans nouvelles de son cousin Shadrack, disparu en août 2017. Orphelin de père et âgé de seulement 15 ans, Shadrack a été enlevé par des hommes inconnus. Encore aujourd'hui, son sort reste incertain.

Il est parti comme une fumée et depuis lors, toute la famille souffre de sa disparition », explique François, cousin de Shadrack, disparu depuis 2017

« Il est parti comme une fumée et depuis lors, toute la famille souffre de sa disparition », explique François, cousin de Shadrack, disparu depuis 2017. Christelle Boua/CICR

Shadrack adorait aller à la pêche après l'école afin de soutenir sa mère, veuve. Son rêve était de faire de longues études et devenir un cadre comme son cousin.

Il est parti comme une fumée et depuis lors, toute la famille souffre de sa disparition.

Le sentiment d'angoisse ne quitte plus la famille. « Même s'il est mort, qu'on nous le dise ! Cela nous permettra d'organiser les funérailles, faire le deuil afin de l'oublier. C'est tellement pénible de perdre quelqu'un qui commençait déjà à soutenir la famille. Son projet était de venir à la capitale afin de poursuivre ses études », confie-t-il avec amertume.

La disparition d'un proche est une terrible tragédie pour les familles, les communautés et des sociétés entières. Outre les souffrances infligées par la disparition d'un être aimé qui subsistent aussi longtemps que le sort de la personne disparue n'a pu être établi, de multiples difficultés, découlant directement de la disparition de leur proche, viennent souvent assaillir les familles : difficultés économiques, marginalisation, stigmatisation, manque de statut juridique ou administratif ou encore problèmes de santé physique et mentale.

Selon Hervé Sévérin Lindamo, président exécutif national de l'Association des victimes (AVED), la crise centrafricaine a causé la disparition de nombreuses personnes. Son association travaille avec plus de 50 familles, mais personne ne connaît le nombre réel de personnes disparues dans le pays. Certaines familles pensent que soit personne ne peut les aider à retrouver leurs proches soit ne connaissent pas les services disponibles.

Nous sollicitons la communauté nationale et internationale à appuyer les organisations qui assistent ces familles qui vivent entre deuil et espoir. Nous encourageons les familles à se rapprocher de nous pour que nous puissions les aider avec les recherches.

En République centrafricaine, les activités du programme de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge centrafricaine (CRCA), avec l'appui du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), visent à prévenir les disparitions et les séparations et à rétablir le contact entre les membres d'une famille séparée par le conflit ou des situations de violence. Le rôle des volontaires et du personnel de la CRCA et du CICR est d'écouter ces familles qui cherchent un proche et de recueillir les informations qui permettraient de retrouver ces personnes disparues.

Parfois, à la suite des recherches réalisées, nous arrivons à retrouver des personnes et apporter des réponses. Malheureusement, cela n'est pas toujours possible. Il est donc important de ne pas oublier les familles qui restent sans nouvelles. À travers cette Journée des personnes disparues, nous souhaitons commémorer avec ces familles l'absence de nouvelles de leurs proches, se souvenir avec elles et rappeler leur souffrance mais aussi leur courage,

explique Francesca Estier, déléguée protection du CICR en Centrafrique.

Les familles ont le droit de connaître le sort de leurs proches disparus.